Avec la Russie, l’industrie doit montrer qu’elle a retenu la leçon des diamants du conflit

Rob Bates

Au cours d’une rencontre de l’industrie lors de la semaine du 21 mars, un vieil ami m’a reproché mon récent article, dans lequel je qualifiais d’« échappatoire » l’autorisation d’importer des diamants russes taillés dans d’autres pays.

Il ne s’agit pas d’une échappatoire, a soutenu cette personne, mais bien de la volonté du gouvernement américain. Celui-ci a spécifiquement exclu les marchandises « sensiblement transformées » (autrement dit taillées) de sa définition des diamants d’origine russe. Voilà une distinction bien étrange – et contre-intuitive. Même l’ordre émis par le Service américain des douanes et de la protection des frontières en 2019, interdisant les diamants de Marange, n’en faisait pas mention. Mais ce sont bien les termes que le gouvernement a utilisés dans ce cas.

Mon ami n’a pas tort. Cela fait plus d’un mois que la Russie a entamé son invasion brutale de l’Ukraine et, pour autant que je sache, aucun pays n’a délivré d’interdiction totale des diamants extraits en Russie. (Les États-Unis sont l’un des rares pays à appeler à l’interdiction des diamants russes et leur interdiction ne concerne qu’une très petite quantité de pierres.) Les groupes des droits de l’homme à la Coalition de la société civile du Kimberley Process n’appellent même pas le système de certification à les interdire. Il semblerait que chacun se renvoie la balle en disant : « Toi le premier ».

Pourtant, même si, légalement, rien n’a vraiment changé, culturellement, la situation a été bouleversée.

Récemment, Signet, Brilliant Earth et, vendredi 25 mars, Tiffany – trois sociétés réputées pour leur maîtrise de l’approvisionnement de diamants naturels – ont affirmé qu’elles n’achèteraient plus de pierres russes. Les termes de ces déclarations sont assez flous – par exemple, une société a déclaré qu’elle « demanderait » à ses fournisseurs de cesser d’envoyer des marchandises russes, mais sans utiliser le terme « obliger ». Il est certain que des avocats ont reçu de grosses sommes d’argent pour affiner ces textes.

Néanmoins, ces bijoutiers – et bien d’autres – ne s’arrêtent pas aux limites de la loi actuelle, ce qui est bien. Ces sociétés cotées en bourse doivent gérer le risque. Au cours de la semaine du 14 mars, Jewelers of America avait établi trois types de risques potentiels en cas d’achat de marchandises russes : « un risque éthique, un risque pour la réputation et un risque juridique ».

Ce cadre me paraît utile. Étudions chaque aspect, un par un.

Tout d’abord, voyons les considérations éthiques. Je ne veux pas être moralisateur car je n’ai pas les mêmes intérêts dans cette situation que mes lecteurs. Je n’ai pas d’usines à gérer, ni d’employés à nourrir. Nous devons tous faire appel à notre conscience en la matière.

L’industrie essaie depuis des années de convaincre les consommateurs que « les diamants font le bien ». Si elle croit vraiment à ce message, si elle veut réellement montrer au monde qu’elle vaut mieux que sa réputation, si elle veut vraiment prouver que cette industrie se soucie des personnes et non des bénéfices, elle peut au moins empêcher les diamants de faire le mal.

Les diamants d’ALROSA n’ont rien de répréhensible. La question est de savoir : qui en tire profit ? Pour l’instant, ces pierres aident son propriétaire à 33 %, le gouvernement russe, à mener une guerre brutale contre l’Ukraine. À chaque fois que vous achetez une pierre nouvellement extraite par ALROSA, vous risquez d’aider à financer ce massacre. En réalité, les liens d’ALROSA avec l’armée russe semblent plus étroits qu’on ne le pensait à l’origine. Et si la Russie lance des cyberattaques contre les États-Unis, comme cela est prévu, vous y participerez aussi involontairement.

Un contrepoint peut être opposé à cette question éthique : ne pas acheter des diamants extraits en Russie pourrait faire du tort à des travailleurs innocents des mines et aux tailleurs indiens. En effet, léser des travailleurs pauvres n’est pas anodin, ce n’est pas une chose abstraite que l’on peut ignorer. Les sanctions pourraient également nuire à l’économie américaine. Aucune de ces éventuelles conséquences ne doit être minimisée ni oubliée lors des discussions.

Malheureusement, les outils permettant de mettre fin à cette guerre ou de s’en éloigner, pour tous ceux qui sont sincèrement révulsés par l’invasion russe, semblent bien peu nombreux. Les conséquences d’une interdiction russe ne seraient peut-être pas justes mais les retombées sur la population innocente de l’Ukraine sont bien pires.

D’autres estiment que les diamants russes seront simplement vendus ailleurs ou que les tailleurs mentiront, ce qui rendra toute interdiction inutile. C’est une possibilité mais on ne peut pas affirmer en même temps que l’interdiction ne changera rien et qu’elle nuira à des personnes innocentes. De plus, les usines ont d’autres alternatives. L’année dernière, lorsque l’approvisionnement a été réduit (sans lien avec la politique), certains tailleurs indiens ont commencé à produire des diamants synthétiques pour continuer à faire tourner leurs usines.

Quels que soient les effets de ces sanctions, un homme en porte toute la responsabilité : le président russe Vladimir Poutine. Il sait qu’en continuant son invasion, il risque de faire du mal à des personnes innocentes en Russie et en Inde. Il ne se soucie évidemment pas du sort de l’industrie diamantaire, ni des dégâts subis par la Russie et l’Ukraine. Espérons que le bon sens prévaudra et qu’il mettra fin à ses opérations et sauvera ce qui reste de son pays. Ses récentes décisions ne sont pas formidables. Mais si ces désordres vous perturbent, sachez qui blâmer. Il est à l’origine de cette situation. Il peut y mettre un terme.

En ce qui concerne le risque pour la réputation, le fait de continuer à vendre des diamants russes pourrait poser de gros problèmes de relations publiques dans l’industrie, dont l’image n’est déjà pas extraordinaire.

Pour l’instant, l’industrie diamantaire pourrait – ironiquement – profiter de l’idée répandue chez les consommateurs que tous les diamants sont produits en Afrique par des artisans payés un dollar par jour. Ironiquement toujours, elle pensait autrefois qu’il était bon d’informer les consommateurs que les diamants venaient de Russie.

La plupart ne savent toujours pas que la Russie est un important producteur de diamants mais cela pourrait changer rapidement. La prééminence d’ALROSA n’est pas un secret, pas plus que son appartenance pour un tiers au gouvernement russe. L’invasion de l’Ukraine est une actualité très visible, le « silence » supposé de l’industrie a déjà été critiqué dans la presse et au moins une société de diamants synthétiques en profite pour attirer l’attention sur elle.

Pour l’instant, les bijoutiers affirment que les clients ne posent pas beaucoup de questions sur les diamants russes. Il faut donc agir maintenant, avant que cela ne devienne un problème, tout comme il vaut mieux cesser de commettre un crime avant que la police ne vous mette le grappin dessus.

Le président Joe Biden a récemment évoqué la possibilité de cyberattaques contre les États-Unis. Beaucoup considèrent déjà Vladimir Poutine comme un nouvel Hitler. Si les cyberattaques russes font des blessés aux États-Unis, il sera comparé à Oussama ben Laden. L’industrie doit toujours gérer les retombées des diamants du conflit – un problème apparu il y a 20 ans et que peu de consommateurs comprennent vraiment. Vous pensez que les diamants du conflit sont délétères ? Essayez de vendre un diamant Hitler/ben Laden ! Les acheteurs n’auront aucun mal à comprendre la situation et se tiendront à l’écart.

Enfin, considérons les risques juridiques.

Les sanctions sont généralement faibles au début, puis s’intensifient. En premier lieu, le gouvernement américain a légèrement sanctionné ALROSA. Il a ensuite sanctionné les diamants achetés directement à la Russie mais autorisé ceux extraits en Russie et taillés ailleurs. L’objectif, m’a-t-on dit, est de laisser à l’industrie une chance de s’organiser avant la prochaine vague de sanctions.

Le marché doit utiliser ce temps judicieusement car il est très probable que de nouvelles sanctions vont intervenir. À moins que le gouvernement russe n’inverse sa trajectoire actuelle, le gouvernement américain ne devrait pas dévier.

Il suffit au gouvernement américain de biffer deux mots de sa définition des diamants d’origine russe – transformation substantielle – et tout le monde diamantaire sera chamboulé. L’industrie doit se préparer à cette éventualité. Les éventuelles interdictions pourraient inclure une période de carence, qui permettrait de réécrire les contrats en cours. Mais peut-être n’y en aura-t-il pas.

Si les États-Unis engagent une action contre les diamants russes, j’espère qu’ils agiront de façon précautionneuse et réfléchie. Selon moi, le gouvernement américain n’a pas toujours su gérer la régulation de l’industrie. Souvenez-vous de la section 1502 de la loi Dodd-Franck qui, comme certains refusent toujours de l’admettre, a considérablement nui à la République démocratique du Congo.

Une interdiction mal pensée des importations russes pourrait provoquer un chaos du même ordre. Mais il me semble que les sociétés avisées se préparent déjà à n’importe quelle éventualité. Et si ce n’est pas le cas, elles devraient le faire.

Mais ne nous limitons au côté négatif. Une interdiction pourrait donner lieu à une action plus que nécessaire. Faisons l’analogie avec les confinements de la Covid-19. Au départ, la situation était douloureuse et effrayante. Mais ils ont fini par donner à certains joailliers le coup de pouce dont ils avaient besoin pour vendre davantage en ligne. Depuis, les avantages ont été évidents.

Peut-être cette crise va-t-elle inciter l’industrie à prendre au sérieux le suivi de l’origine, qui est une question latente depuis que le public a entendu parler des diamants du conflit il y a près de 25 ans. Le marché doit progresser sur ce chemin car ce genre de situation ne cesse de se présenter. Diverses solutions commerciales existent déjà sur le marché. Savoir d’où vient sa marchandise doit devenir une pratique habituelle dans l’industrie.

Cette démarche pourrait nécessiter davantage de formalités administratives et pourrait même changer le mode de fonctionnement du marché. Mais si j’avais dit à un négociant des années 30 : « Un jour, vous devrez envoyer chaque diamant à un laboratoire pour le faire certifier », il se serait sûrement lamenté et plaint. Aujourd’hui, personne n’y réfléchit à deux fois.

Ne vaudrait-il pas mieux que l’industrie s’auto-régule ? Bien sûr, mais à l’exception de quelques grandes marques, rien n’a été fait jusqu’à présent. Les diamants russes circulent librement. Les grandes associations internationales sont divisées sur la façon de traiter la Russie. Certaines craintes apparaissent aussi sur le plan juridique lorsque des marques ou des groupes engagent ou recommandent des actions qui dépassent les critères de la loi applicable. Je ne pense pas que quelqu’un intenterait un procès à ce sujet mais les avocats sont, par nature, prudents. De plus, si une seule société ne respecte pas les conditions, le terrain de jeu devient inégal et récompense les mauvais acteurs.

Les décisions des gouvernements ont pour but de préciser les situations. Les personnes peuvent débattre sans fin sur LinkedIn à propos de la moralité d’interdire les diamants d’extraction russe. Au final, il faut respecter la loi, faute de quoi on se confronte aux conséquences.

Il est probablement impossible d’interdire totalement les diamants russes aux frontières américaines. Même si de nombreux fabricants (mais pas tous) parviennent à séparer les diamants en fonction de leur origine, je ne pense pas que l’on puisse un jour tester l’origine de chaque pierre d’un grand pli de mêlé et je ne pense pas non plus que cela soit particulièrement constructif.

Il y a quelque temps, je me suis entretenu avec du personnel de SCS Global Services et ils m’ont expliqué leur protocole pour tester les crevettes. (Cette industrie comporte aussi apparemment des éléments néfastes.) Ils ne testent pas chaque crevette d’un boisseau mais s’intéressent plutôt à des échantillons aléatoires issus de boisseaux aléatoires. Leurs systèmes de suivi des diamants naturels et synthétiques fonctionnent de la même façon.

Cette garantie n’est pas infaillible. Mais elle est acceptable et montre que des problèmes qui paraissent insolvables peuvent avoir au moins des solutions adéquates. (Après tout, les crevettes sont petites. Ce sont des crevettes.) Et même si le mêlé peut occasionner une importante activité, il n’est probablement pas utile de souligner l’origine d’une pierre d’un point qui coûte très peu cher. Ce sont des questions dont nous devons commencer à discuter.

J’espère que l’industrie et le gouvernement s’associeront pour établir une interdiction d’importation qui fonctionne, qui engloberait la plupart des diamants, des pierres ou des métaux précieux extraits, taillés ou créés en laboratoire en Russie ou vendus par un organisme russe.

Le gouvernement doit pouvoir envisager des réponses qui tiennent compte de facteurs comme la grosseur, la date et les difficultés de suivi de la production artisanale. Et l’industrie doit admettre que ce problème est durable.

Toutes les directives doivent être pratiques mais aussi compréhensibles, sans jargon. Les cerveaux de certains bijoutiers disjonctent lorsqu’ils lisent les lettres OCDE.

Pour le moment, en l’absence de toute réglementation américaine, le marché doit prendre une décision. Les grands bijoutiers auront peut-être les ressources pour éviter d’acheter des diamants russes mais les petites boutiques risquent de rencontrer plus de difficultés. Elles pourraient devoir s’entretenir avec des experts de l’approvisionnement et consulter les outils et systèmes de suivi existants. Pour les indépendants, le protocole de garantie de la source du US Jewelry Council est probablement la meilleure solution. J’espère pouvoir élargir les listes de ressources dans les semaines à venir et les lecteurs sont invités à proposer leur contribution et de possibles solutions, soit au bas de l’article, soit par e-mail.

Certains de ces systèmes dépendent des assurances des fournisseurs. Bien entendu, les fournisseurs ne disent peut-être pas toujours la vérité –mais si vous ne faites pas confiance à vos fournisseurs, faut-il vraiment leur acheter des marchandises ?

Au final, nous ne devons pas ignorer ce problème. Les enjeux sont trop importants. La question est trop vaste et elle ne va faire que s’amplifier.

Source JCK Online