Snakes & Ladders, au jeu des hauts et des bas

Avi Krawitz

«… Le jeu Snakes and Ladders saisit, comme aucune autre activité ne peut espérer le faire, une vérité éternelle : pour chaque échelle que l’on espère monter, il y a un serpent qui vous attend et, pour chaque serpent qui vous mord, une échelle vous permettra de remonter», a écrit Salman Rushdie dans Les enfants de minuit.Lire la suite...[:]

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À l’approche de l’Année du serpent en Chine, l’industrie est bien consciente des dualités du secteur. En 2012, même si la croissance a ralenti en Chine et en Inde, le vaste marché de consommation américain a été source de stabilité. En revanche, la croissance phénoménale de l’Est ces dernières années a éclipsé les nouvelles positives en provenance des États-Unis et soutenue l’industrie mondiale à travers la récession.

Ces dernières années au moins, les fournisseurs de taillé ont noté un transfert de la demande, d’ouest en est, l’un compensant la faiblesse de l’autre. La saisonnalité joue aussi un rôle : la demande s’accentue à Noël, puis au Nouvel An chinois et à la Saint-Valentin ou lors d’autres occasions comme la fête du travail ou les Semaines d’Or en octobre, sans oublier le festival indien de Diwali. ‎

Actuellement, l’industrie attend le Nouvel An chinois, qui commence le 13 février, dans l’espoir d’insuffler un peu d’optimisme sur le marché, de stimuler la croissance et d’améliorer les perspectives. ‎

Reste à savoir si la saison sera à la hauteur des attentes.

Le pays ne devrait pas retrouver la croissance économique à deux chiffres constatée ces dix dernières années. Au contraire, la Banque mondiale prévoit pour l’économie chinoise une progression de 8,4 % en 2013, contre les 7,9 % prévus en 2012, avant que le gouvernement ne publie sa lecture officielle après la mise sous presse vendredi. La dernière période objet d’une déclaration a montré la plus faible croissance trimestrielle en trois ans et demi, à 7,4 % au troisième trimestre.

La progression des ventes au détail, évaluée à 15 % par an environ, sera encouragée ; en effet, l’économie chinoise vient de connaître un ralentissement et la réforme portant sur la distribution des revenus stimule la consommation.

Tout dépendra de la politique du gouvernement ; il faudra aussi déterminer si les nouveaux dirigeants chinois, qui prennent le relais après dix ans de pouvoir ininterrompu, appliqueront des réformes visant à réprimer la corruption, réduire la forte disparité des revenus, adopter une monnaie de marché ouvert et accélérer la transition, entre un marché axé sur le consommateur et une économie dirigée sur l’investissement. Beaucoup s’attendent à ce que Xi Jinping, le nouveau premier ministre, cherche à rassurer les incrédules la première année. D’éventuelles réformes sociales, portant par exemple sur un système de soins de santé et de retraites efficace, pourraient débloquer des liquidités que les consommateurs dépenseraient dans l’espace de vente au détail au lieu de les épargner.   ‎

Certes, la croissance économique chinoise repose toujours sur les exportations et la confiance des consommateurs est largement influencée par l’environnement économique mondial. Une nouvelle année de croissance molle et d’atermoiements politiques en Europe, son principal marché, et leur optimisme pourrait en pâtir, comme en 2012. Les perspectives des États-Unis pourraient aussi avoir un rôle à jouer.

Une demande limitée

L’industrie table donc sur un marché chinois stable mais prudent en 2013. La progression devrait se renforcer en 2014, une fois installées les stratégies politiques et économiques et lorsque la confiance mondiale sera, espérons-le, remise d’aplomb. ‎

Les perspectives à long terme justifient à elles seules que les diamantaires poursuivent leurs efforts vers l’est en 2013. Rio Tinto espère que la Chine représentera jusqu’à 29 % de la demande mondiale de bijoux en diamants d’ici 2020, légèrement en dessous des Américains, avec 33 %. Les opportunités ne manquent pas et le pays reste encore relativement inexploré en termes de consommation de diamants et de bijoux en diamants.

Attention tout de même à bien adapter son attitude aux différences régionales. Certes, les grandes villes évoluent en matière de notoriété de marque et de sophistication du luxe ; de plus en plus de marques internationales s’installent à Pékin et à Shanghai, mais le volume est plutôt stimulé par les ventes de produits génériques dans les villes de niveau 3 et 4, où la croissance économique est plus rapide. Ces possibilités d’expansion ont permis à Chow Tai Fook, un grand bijoutier de la région, de maintenir une augmentation des ventes de 7 % en glissement annuel au cours de son premier semestre fiscal récent, alors même que les ventes en magasins comparables chutaient de 1,7 %.
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Dans les grandes villes, les marques prennent de plus en plus de place, malgré des difficultés pour les grands noms du diamant d’accentuer leur présence dans le pays. Winston Chow, directeur adjoint de Chow Sang Sang, le deuxième plus grand bijoutier du pays, a affirmé dans une récente conférence en ligne organisée par JewelryNews Asia que les bijoux de marque ne représentent qu’une petite partie des ventes de diamants en Chine ; le bridal reste la principale motivation de ces achats.

Winston Chow, tout comme d’autres intervenants, dont le directeur commercial de Rio Tinto pour les diamants, Jean-Marc Lieberherr, et Rajesh Lakhani, le vice-président de Kiran Gems, a remarqué que la consommation de diamants a toujours été assez limitée en Chine. La demande porte plutôt sur les solitaires et le marché est dominé par des marchandises de taille moyenne en H-K, VS-SI ; quant aux consommateurs, expliquent-ils, ils sont très sensibles aux prix et plutôt conservateurs. ‎

L’attrait de la mode

Rio Tinto s’est malgré embusqué dans une voie où l’offre devrait progresser ; Jean-Marc Lieberherr a évoqué un intérêt croissant pour le design et l’emploi des diamants comme accessoires sur le prêt-à-porter. « Les bijoux de mode ne sont pas encore très développés, il y a là une formidable opportunité pour les détaillants », a-t-il expliqué. Puisque l’offre de pierres de qualité utilisées pour fabriquer des solitaires ne devrait pas répondre à la demande chinoise croissante pour ces marchandises, il a souligné : « les Chinois vont devoir élargir la gamme des diamants qu’ils utilisent. »

Fin 2010, Rio Tinto a signé un partenariat avec Chow Tai Fook pour développer le marché local des bijoux de mode. Jean-Marc Lieberherr a affirmé qu’à ce jour, le projet avait dépassé les attentes.   ‎

L’attirance pour les bijoux de mode va de pair avec la croissance de la classe moyenne chinoise, des consommateurs de plus en plus mondains et avertis des tendances. À ce sujet, les détaillants de Hong Kong ont d’ailleurs exprimé leurs craintes qu’un nombre croissant de touristes de Chine continentale se rendent en Europe ou aux États-Unis plutôt qu’à Hong Kong pour faire leurs achats de luxe. ‎

Les marques de luxe partout dans le monde ont également pris acte de ce fait. À Noël 2012, Bulgari a enveloppé ses magasins de New York, Tokyo et Rome d’un serpent géant illuminé. Au-delà d’attirer des clients vers sa collection Serpenti, le joaillier haut de gamme visait clairement l’après-Noël, en ciblant les consommateurs et touristes chinois dans ces villes, avant le Nouvel An en février. ‎

Grimper à l’échelle

Cibler les consommateurs chinois à l’étranger est plus simple que de faire du marketing en Chine. Un rapport de L2 Think Tank rappelle que le gouvernement chinois continue d’imposer des restrictions sur la publicité pour les produits de luxe traditionnels, dans une tentative pour réduire les craintes des citoyens face à un écart de richesses toujours plus grand. De même, les pouvoirs publics resserrent leur contrôle sur Internet et les contenus mobiles, a observé L2, soulignant que le succès des marques de prestige en Chine est inévitablement lié à leurs compétences dans le domaine du numérique. ‎

La Chine reste donc un marché difficile à pénétrer pour les entreprises et les marques internationales, aussi bien que pour les fournisseurs de diamants. Reste à savoir si ces restrictions seront assouplies en 2013. Cela ne pourrait que favoriser la croissance. ‎

L’année 2013 pourrait donc être aussi bien marquée par les serpents que par les échelles pour l’économie chinoise et l’industrie du diamant. Pour paraphraser Salman Rushdie, ce jeu réalise implicitement la dualité du haut face au bas (aux États-Unis, il est connu sous le nom de Chutes & Ladders  [1]). Il a expliqué : « La rationalité tangible des échelles contrebalance la sinuosité occulte du serpent, de sorte que dans l’opposition entre l’escalier et le cobra, nous constatons, de façon métaphorique, toutes les oppositions imaginables. » ‎

Telle pourrait bien être l’histoire de la Chine en 2013. Et, tout comme dans le jeu, qui se termine lorsqu’un joueur atteint le sommet, la demande de diamants dans ce pays va continuer à se développer, entre hauts et bas.

Source Rapaport

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[1] Des chutes et des échelles