Promesses et inquiétudes sur les transactions de Harry Winston

Edahn Golan

La route du désinvestissement est longue et tortueuse lorsqu’elle permet de passer de pertes ancrées, associées à de fortes dettes, à des bénéfices, des acquisitions de poids et des rendements intéressants ; elle est d’ailleurs aussi précaire que la route de glace menant aux mines de diamants du Canada.

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Comment Harry Winston Diamonds, bientôt rebaptisé Dominion Diamonds, a-t-il pu évincer la De Beers pour l’achat d’Ekati ? Quelles en seront les conséquences pour l’industrie ? En quoi le milliard de dollars destiné au bureau de commercialisation a-t-il du sens ? Qu’adviendra-t-il du fonds en diamants DAA ? À quel nouvel acteur du marché du luxe devrions-nous maintenant nous intéresser ?

Devant la De Beers à Ekati

Plusieurs sociétés ont participé au premier tour d’enchères relatif à la part de 80 % de BHP Billiton dans Ekati. Quatre d’entre elles seulement (la De Beers, KKR, Stornoway et Harry Winston) ont atteint le deuxième tour.

KKR et la De Beers n’ont pas pu accéder au troisième et dernier tour. À ce stade, selon une source du marché, Stornoway aurait proposé entre 500 et 600 millions de dollars (550 millions de dollars, semble-t-il). Harry Winston a dépassé ce plafond, en avançant plus de 700 millions de dollars.

Les semaines suivantes, tandis que BHP et Harry Winston entamaient les négociations finales, le prix a été ramené à 500 millions de dollars, soit moins que l’offre de Stornoway.

Avant de prendre sa décision, BHP a étudié certains points, notamment sa propre situation au Canada. La société investit dans sa mine de potasse et la politique qui consiste à dépasser l’industrie du diamant a apparemment eu gain de cause. Au final, BHP a préféré la société affichant une visibilité supérieure, propriétaire de différentes mines (mais sans expérience de l’exploitation) à une structure moins connue, mais disposant d’une équipe minière chevronnée.

Lors des deux dernières étapes, Harry Winston, en situation d’endettement, ne semblait pas prêt de remporter l’enchère. Les faits nous ont donné tort. Reste à savoir comment la société va pouvoir débourser 500 millions de dollars…

Le joaillier a cherché à se financer par tous les moyens et ses dirigeants ont parcouru le monde, et notamment les pays d’Asie, pour rassembler les fonds nécessaires. Vu son fort endettement, il était logique de vendre le bureau de commercialisation du luxe. Malheureusement, les marques populaires haut de gamme se comportent bien à la bourse et toute société publique a à cœur de garantir la valeur de ses actions. Perdre une marque revient à affaiblir sa force de négociation. D’ailleurs, des sources sur le marché affirment que la plupart des offres pour le bureau de commercialisation atteignaient environ 350 millions de dollars ; il fallait donc rajouter 150 millions de dollars, que les banques n’ont pas voulu apporter.

Bienvenue à Swatch

Swatch possède de nombreuses marques de montres haut de gamme mais aucune ne pèse autant que les diamants des montres Harry Winston. Les 750 millions, assortis de 250 millions de dollars de dette (le triple de la plupart des autres offres) est un montant convenable pour Swatch si l’on considère les éléments suivants. En premier lieu, Swatch veut une gamme de montres en diamants haut de gamme. De plus, Harry Winston possède une manufacture à Genève, qui tourne à moins de la moitié de sa capacité. Swatch pourrait renforcer ces opérations et, grâce à ses excellentes capacités de marketing, propulser ses revenus à hauteur des 20 % minimum affichés par d’autres marques haut de gamme de Swatch. Enfin, même si la marge bénéficiaire de Harry Winston, Inc. était estimée à 5,7 % en 2012, la disparition du financement par emprunt rajouterait quelques points en pourcentage à ses résultats.

Selon Barron, Nick Hayek, le PDG de Swatch, a déclaré aux analystes que dans quatre ou cinq ans, Harry Winston pourrait afficher 1 milliard de francs suisses (1,07 milliard de dollars) de chiffre d’affaires annuel et une marge bénéficiaire d’environ 25 %. Cela remet le prix en perspective.

La joaillerie haut de gamme constitue un autre avantage. Swatch vend des bijoux depuis de nombreuses années, sans pourtant avoir jamais atteint un niveau qui ferait dire à Marilyn Monroe : « Diamonds are a girl’s best friend »[1]. Avec une vitrine prometteuse sur la 5ème Avenue, les résultats de Swatch pourraient bien être renforcés.

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Quelles conséquences pour le DAA ?

Harry Winston travaille depuis quelque temps sur son fonds en diamants, le Diamond Assets Advisors (DAA). Pour l’essentiel, le fonds doit financer les achats de diamants, lesquels, une fois vendus dans des magasins Harry Winston, généreraient des recettes dont une partie reviendrait au fonds pour produire un bénéfice.

Ce projet, qui cadre avec les activités de vente de la société, reviendra au groupe Swatch ; l’horloger ne sera donc pas seulement un très gros acheteur de diamants et un joaillier haut de gamme, mais il pourra aussi s’impliquer dans un fonds en diamants.

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« L’horloger pourra aussi s’impliquer dans un fonds en diamants. »

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Les problèmes à prévoir

Chuck Fipke et Stewart Blusson détiennent chacun 10 % d’Ekati et des ressources environnantes, baptisées « zone tampon ». Ils bénéficient ainsi d’un droit de premier refus dans le cas où BHP souhaiterait vendre la mine, ce qui leur donne une chance de répondre à l’offre.

Aujourd’hui, Chuck Fipke prétend que le financement par emprunt de Harry Winston en vue de l’acquisition l’a gêné dans sa capacité à obtenir son propre financement.

Néanmoins, d’autres questions d’importance majeure interpellent l’industrie. Si elle prend le contrôle d’Ekati et s’appuie sur son trésor de guerre de 250 millions de dollars (qui en fait le favori pour le rachat des 60 % de Rio Tinto dans Diavik), la société bientôt renommée Dominion pourrait devenir un acteur majeur du brut, assurant plus de 15 % de l’offre mondiale. Elle arriverait ainsi en troisième position, derrière la De Beers et ALROSA.

Bien que copropriétaires d’une grande mine, aucun d’eux n’a jusqu’à présent réussi à la gérer seul. Cette activité difficile exige confiance, délégation des pouvoirs et compétences. « Ils ont beaucoup à apprendre » quant à la gestion des mines, a affirmé un initié. « Ils n’ont pas de projets à long terme, ce qui est pourtant nécessaire pour gérer une mine et des ventes à grande échelle », a-t-il ajouté.

La vente, domaine qui relève de leurs compétences, constitue un autre chapitre du dossier. La plupart des négociants de brut qui ont déjà acheté à Harry Winston ne sont pas fous amoureux de la société, pour employer des termes polis. Les critiques portent aussi bien sur leur légendaire manque de flexibilité que sur un congédiement sévère des clients. D’autres plaintes, bien pires celles-là, ont également été soulevées.

Mettant cela en exergue, les clients, même au bas du marché, désavouaient Harry Winston à l’époque où tout le monde, y compris Rio, continuait à vendre du brut. Il faut y voir le signe d’un manque de confiance et un problème que les dirigeants devront aborder de front. Il conviendra également de développer un système de contrats à long terme, en proposant les marchandises au cours des tenders de BHP (l’équipe d’Anvers fait partie de la transaction) ou former un système de combinaisons, par exemple en associant des contrats à long terme et des tenders servant à la divulgation des prix.

Notons aussi que des opérations marketing bien plus complexes seront nécessaires : il faudra associer une analyse et des plans à long terme à une compréhension bien plus approfondie de l’industrie que ce que l’on voit aujourd’hui. Rien ne sert de pressurer les clients, ils finissent par fuir s’ils trouvent des solutions de rechange.

« Je ne suis pas certain qu’un léopard puisse décider de changer ses taches », a ironisé notre source. Le fait que l’industrie ait trouvé en Swatch un excellent partenaire, aux capacités marketing éprouvées, constitue une bonne nouvelle. J’espère que Dominion sera à la hauteur et que, grâce à sa force dominante, la structure pourra à la fois entraîner l’industrie et la stimuler.

Idexonline


[1] Les diamants sont les meilleurs amis des femmes.

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