« Si les consommateurs n’ont plus foi dans les diamants, tous les produits, qu’ils soient naturels ou synthétiques, seront durement touchés », avertit Sanjay Kothari, porte-parole du NDMC

Aruna Gaitonde

Passée d’une industrie familiale à l’un des plus grands secteurs de la fabrication diamantaire au monde, l’industrie indienne suscitait, jusqu’il y a peu, l’émerveillement partout dans le monde du fait de son système de fonctionnement reposant sur la confiance.[:]

Aujourd’hui, l’incident qui a impliqué Alibaba pourrait servir de prise de conscience pour un secteur qui se trouve à un carrefour de son développement. L’industrie indienne paye-t-elle le prix de son énorme croissance de ces derniers temps ou subit-elle l’influence des nouveaux entrepreneurs extérieurs qui arrivent dans un milieu où tout le monde se connaissait personnellement ?

Dans un entretien avec Rough&Polished, Sanjay Kothari, ancien président du GJEPC et actuel porte-parole du Natural Diamond Monitoring Committee (NDMC), évoque les récents incidents qui ont perturbé la tranquillité de l’industrie diamantaire indienne.

Les actualités récentes et plutôt choquantes relatives à Alibaba, les listings du portail en ligne et les e-mails envoyés par une société à des millions d’acheteurs potentiels pour leur proposer des pierres de laboratoire CVD avec des certificats de diamants naturels du GIA… Que pouvez-vous nous en dire ?

Il nous semble qu’Alibaba a immédiatement engagé des mesures préventives et a fermé le listing des sociétés. Actuellement, la liste ne figure plus sur leur portail.

On peut aussi s’inquiéter du fait qu’une société indienne, International Trading Corporation (ITC), de Delhi, soit associée à cette arnaque. En quoi cela affectera-t-il la réputation de l’industrie indienne selon vous ? Quelles étapes le NDMC a-t-il engagées pour enquêter sur l’affaire ? Si c’est vrai, comment le comité compte-t-il agir ?

Je suis d’accord, ces nouvelles sont extrêmement perturbantes pour toute l’industrie. Cet incident, ce n’est pas seulement une arnaque, c’est surtout un moyen de tromper les consommateurs vulnérables, ce qui est inacceptable. Le promoteur avait déjà été impliqué dans des fraudes par le passé.

Malheureusement, comme cette société n’est membre ni du GJEPC ni de la BDB, notre champ d’action est limité.

N’oublions pas qu’Alibaba a engagé des actions immédiates pour rayer la société des listes de son portail. Nous pensons qu’Alibaba devrait également agir contre le fraudeur car sa réputation est en jeu dans une certaine mesure.

Pourriez-vous nous résumer la réunion du NDMC et de ses associés du 19 janvier 2016 ? Quelles ont été les solutions proposées par le comité, étant donné les problèmes divers et fréquents associés aux diamants synthétiques ou de laboratoire ?

Pour l’heure, nous surveillons la situation de près. La dernière étude date d’il y a deux ans et, au GJEPC comme dans l’industrie, nous nous devons de connaître les développements en matière de diamants synthétiques de laboratoire, comme la valeur et le volume de la production. Nous avons donc de nouveau désigné Bonas and Co pour étudier la situation. Ils devraient nous apporter leurs conclusions dans les trois mois.

Pour nos lecteurs, pourriez-vous nous dire comment est née l’idée du NDMC et à quel moment ? Quels sont ses objectifs et ses activités pour protéger l’industrie des diamants naturels de la contamination des synthétiques, etc. ? Et comment le Comité entend-il maintenir la confiance des consommateurs dans l’industrie dans son ensemble ?

Ce comité a été constitué il y a quelques années par le GJEPC, au début de la production commerciale des synthétiques. Il rassemble des membres de toutes les associations comme le GJEPC, la BDB, la MDMA et le GJF. Son objectif, comme son nom l’indique, est de surveiller la menace que représentent les diamants synthétiques pour les diamants naturels, mais aussi de sauvegarder l’industrie des diamants naturels qui existe depuis des décennies. Nous vérifions qu’elle ne soit ni lésée ni remise en cause d’une quelconque façon par les diamants synthétiques.

Que les choses soient claires, nous ne sommes pas contre l’industrie des diamants synthétiques. Mais il est impératif que ce secteur fonctionne de manière éthique, en respectant des conditions de « déclaration » lors de la vente du produit.

Notre principal objectif est de nous assurer que le consommateur ne reçoive pas de diamants synthétiques s’il pense acheter des diamants naturels. Nous ne voulons pas qu’il soit trompé sur la marchandise.

Nous œuvrons pour appliquer des pratiques commerciales équitables.

Pourriez-vous nous détailler les étapes engagées dans de précédents dossiers de sociétés indiennes impliquées dans l’affaire de « surclassement » des certificats du GIA/TCS ? Le mélange récent de diamants synthétiques avec des diamants naturels sans déclaration a également nui à l’industrie. Quelles étapes le NDMC a-t-il engagées contre les parties impliquées et pour atténuer ce problème de l’industrie ?

sanjay_kothariEn ce qui concerne le problème du GIA/TCS, l’affaire est entre les mains de la justice et celles des parties. En tant qu’organisme commercial, nous la suivons de près.

Au NDMC, nous avons engagé des actions contre quelques sociétés et quelques personnes qui ont été reconnues coupables d’avoir vendu des diamants synthétiques sans déclaration, en les faisant passer pour des diamants naturels.

Après des opérations de due diligence, le comité propose une audience équitable à toutes les parties. Une action adéquate a été engagée en respectant les statuts de tous les organismes.

La simple interdiction de négocier à la Bharat Diamond Bourse est-elle une mesure suffisante ou faudrait-il engager des étapes juridiques plus sévères pour empêcher les fraudeurs de se prêter à des opérations illégales ? Le NDMC a-t-il pensé à des démarches plus efficaces pour l’avenir ?

Nous engageons des actions dans le cadre de nos compétences. Au-delà, nous n’avons pas une grande marge de manœuvre en tant qu’association, nous ne sommes ni la police ni un tribunal. Il revient ensuite à chaque société ou chaque personne de porter plainte si elle a été trompée. Nous essayons de les encourager à le faire et nous proposons toute l’aide nécessaire, dans les limites applicables.

Nous comprenons que le NDMC travaille avec des fabricants de « machines de détection » pour produire des appareils abordables pour tous les acteurs de l’industrie. En quoi cela éviterait-il, selon vous, que des personnes peu scrupuleuses soient tentées de « mélanger » des diamants synthétiques et des diamants naturels, en particulier dans la catégorie des « Smalls » ? En outre, ces « mélanges » peuvent intervenir n’importe quand, chez les négociants, pendant la création des assortiments, jusque chez les kharigars/fabricants de bijoux, etc.

Oui, le NDMC propose une plate-forme aux sociétés qui développent des machines de détection. Nous encourageons également les membres à utiliser ces machines. Le NDMC a récemment organisé le DDES pour rassembler tous les fabricants de machines de détection sur une même plate-forme. L’industrie a aussi pu découvrir différents systèmes. Nous pensons qu’après ces efforts du NDMC, aujourd’hui, les gens vérifient les plis de diamants, soit dans leurs bureaux, soit dans des laboratoires. Grâce à cela, les affaires de mélange ont considérablement diminué.

Étant donné que c’est la confiance des consommateurs qui est en jeu, à qui incombe la responsabilité de maintenir des diamants naturels authentiques dans la filière ? Les négociants de taillé, les fabricants de bijoux, les grossistes ou les détaillants ? Le certificat d’un tiers serait-il utile ? Comment pourrait-on en assurer l’inviolabilité ?

Je pense que la responsabilité en revient à chacun, à chaque étape, des fabricants jusqu’aux consommateurs. Toute la filière doit être irréprochable et il faut maintenir une offre adaptée de diamants naturels. Les contrevenants doivent rendre des comptes.

Une évaluation par un tiers pourrait être une bonne chose mais si je veux travailler de manière éthique, je dois assurer une vigilance de chaque instant. Il faut surveiller sa réputation et son entreprise si l’on veut continuer à travailler et parvenir à la croissance.

Les laboratoires de certification, comme par exemple le GIA dans deux affaires récentes, doivent-ils se montrer plus fermes et réfléchir à de meilleures façons de prodiguer leurs services sans failles, afin qu’ils ne fassent pas l’objet de détournements ? Avez-vous des suggestions ?

Le GIA fait de son mieux pour sauvegarder les intérêts de toute l’activité diamantaire. Il y a toujours moyen de s’améliorer et nous leur apportons des retours d’informations et des suggestions. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux.

Pour une industrie aussi énorme que l’industrie indienne des bijoux et des diamants, qui reposait sur la confiance jusqu’à il n’y a pas si longtemps, quelles garanties avons-nous à l’heure actuelle que ces fraudes ne vont pas se répéter ? La taille énorme de l’industrie la rend-elle vulnérable à de tels incidents ?

Il y a des tricheurs dans toutes les industries et les individus peu scrupuleux augmentent parallèlement au volume. Chaque société et chaque association doit prendre garde à cela pour préserver son activité.

Tout le monde sait que des fraudes et des problèmes de même ampleur, voire pires, se produisent aussi dans d’autres pays mais ils ne prennent pas les mêmes proportions qu’ici. Pensez-vous que le battage médiatique et le sensationnalisme de la presse ont nui à l’industrie diamantaire indienne ?

Étant donné que nous sommes le plus grand fournisseur de diamants au monde, il est évident que nous sommes toujours en ligne de mire.

On dirait bien que les diamants de laboratoire sont destinés à durer. Faut-il les considérer comme une « menace » ? On sait que l’industrie indienne n’est pas contre les synthétiques ou les diamants de laboratoire en soi mais qu’elle demande des « déclarations » des synthétiques pour que les deux activités cohabitent harmonieusement. Qu’en dites-vous ?

Je l’ai dit, nous ne sommes pas réfractaires à l’industrie des diamants de laboratoire. Bien entendu, ils vont durer. Le seul problème reste le fait qu’ils soient mélangés et vendus en tant que diamants naturels. Nous nous opposons fermement à cette pratique.

Je pense que, si l’on agit avec éthique, il y a de la place pour les deux produits. Les consommateurs achèteront l’un ou l’autre, en fonction de leur budget et des prix.

Je crois aussi que si les consommateurs n’ont plus foi dans les diamants, tous les produits, qu’ils soient naturels ou synthétiques, seront durement touchés. Il faut bien se souvenir que nous ne vendons pas des articles essentiels à la vie, des produits d’importance vitale. Nous proposons un article de luxe, il faut donc le préserver à tout prix pour notre propre survie. C’est pourquoi je crois vraiment qu’il faut punir les contrevenants.

Source Rough & Polished