Préparer Anvers à la croissance

Avi Krawitz

Entretien avec Marcel Pruwer, Président de l’Antwerp Diamond Bourse.[:]

L’Antwerp Diamond Bourse est l’une des quatre bourses de la Federation of Belgium Diamond Bourses. Mise en difficulté par de nouveaux centres concurrents et un marché volatil, la bourse est au centre des efforts pour développer la position d’Anvers dans l’industrie. Rapaport News s’est entretenu avec Marcel Pruwer, le président de l’Antwerp Diamond Bourse, sur ces défis et sa stratégie pour stimuler la croissance.

Quel est votre parcours dans l’industrie diamantaire ?

J’ai grandi à Londres, où j’ai travaillé dans le textile et les assurances, ainsi que dans le commerce international. Je suis entré sur le marché diamantaire lorsque j’ai déménagé en Belgique. Je triais et certifiais du brut et du taillé. Je me suis ensuite installé à mon compte comme courtier de brut et de taillé, une activité qui existe toujours aujourd’hui.

IES, dont je suis le directeur général, est un groupe de conseil belge, qui s’est d’abord spécialisé dans le développement commercial et la planification stratégique. Lorsque la De Beers a lancé son initiative des fournisseurs privilégiés en 2000, et avec la découverte des diamants canadiens, le travail de conseil a suscité beaucoup d’intérêt au sein de l’industrie. C’est de là que notre activité s’est développée. Nous évaluons les changements en cours sur le marché et nous aidons des sociétés à évoluer dans cet environnement dynamique et à développer de nouvelles activités.

Je suis directeur de l’Antwerp Diamond Bourse depuis 2009 et président depuis 2013.

Quel est le rôle des différentes bourses diamantaires à Anvers ?

L’Antwerp Diamond Bourse, ou Beurs Voor Diamanthandel, regroupe 1 200 membres. Elle se consacre principalement au négoce de taillé, même si nous comptons parmi nous de nombreux négociants de brut. L’Antwerpsche Diamantkring traite du brut et l’Antwerp Diamond Club travaille principalement avec du taillé. La Vrije Diamanthande ne dispose pas de salle de marché, mais elle a des bureaux au club, à partir desquels elle répond à ses membres.

Il y a quelques années, nous avons lancé le programme Fusion 4 pour assurer une coopération plus stratégique entre les bourses anversoises, dans le but d’affronter les difficultés de l’industrie et d’assurer la croissance à long terme du secteur diamantaire d’Anvers.

Avec l’évolution de l’activité, les échanges ont migré des salles de marché aux bureaux. Nous avons relancé l’activité dans les salles de marché, en organisant de nouveaux événements –chose que les autres centres ont copiée depuis.

L’époque où les bourses fonctionnaient à la manière d’un « Club de gentlemen » pour les négociants est révolue. Nous devons créer de la valeur visible pour nos membres, protéger et promouvoir le marché et être prêts à appliquer des mesures disciplinaires sévères pour protéger l’activité.

Quelle est la stratégie pour développer l’industrie diamantaire anversoise ?

L’héritage diamantaire d’Anvers, vieux de 600 ans, nous offre une valeur ajoutée très attrayante pour la communauté des professionnels (B2B) et pour les consommateurs du monde entier. Véritable centre de négoce, nous sommes situés à un carrefour logistique et physique, au cœur de l’Europe, ce qui nous assure un accès direct à plus de 500 millions de personnes. Ces facteurs comptent tous pour notre support marketing, car ils véhiculent un héritage, de l’authenticité et une opportunité de marque qui est bonne pour Anvers et le commerce mondial.

Notre rôle principal et nos contributions sont axés sur le financement, les marchés actifs du brut et du taillé, notre longue expérience des diamants, l’accessibilité et la conformité. Pour les renforcer et asseoir notre position sur le marché mondial, nous consolidons notre secteur du brut et continuons à attirer de nouveaux producteurs pour qu’ils vendent leurs marchandises ici. Nous élargissons également les échanges de taillé grâce à de nouvelles initiatives et assumons notre rôle dans la banque et la finance.

Toutefois, cela ne garantit pas la continuité et la croissance. Nous devons comprendre les changements démographiques, mais aussi ceux induits par la technologie, qui affectent les comportements des consommateurs, et savoir comment ils évolueront dans les années à venir.

La croissance en Chine et en Inde, tout comme les nouveaux moyens d’échanger en ligne, assurent une clientèle plus vaste, qui a une identité différente, achète des articles différents et de manière différente. Les gammes doivent donc évoluer et l’industrie s’adapter au développement de produits et aux chaînes d’approvisionnement.

L’industrie mondiale a besoin d’histoires neuves pour élargir ses occasions de profits potentiels et nous devons améliorer nos marges pour trouver des liquidités et être plus attractifs face aux banques. À Anvers, nous cherchons à créer de la valeur pour nos fournisseurs et clients et à capter une part appropriée de l’ensemble des profits, de manière à renforcer la filière mondiale.

Nous ciblons les questions de conformité et d’éthique, le design, la création de marques, mais aussi l’efficacité, l’innovation et la créativité. Nous devons aboutir à un modèle d’activité fort mais créatif, au sein duquel les gens seront heureux de travailler à Anvers. Qu’il s’agisse de brut ou de taillé, il nous faut un cadre attrayant pour que les fournisseurs passent par Anvers et que les acheteurs viennent à nous.

Est-ce plus difficile depuis que d’autres centres se sont développés ?

Nous connaissons tous les modèles migratoires de l’industrie. Mais nous avons aussi de nouveaux gros clients qui arrivent à Anvers. Quant aux grands miniers, fabricants et négociants, ils disent qu’ils préfèrent travailler ici.

Le Antwerp World Diamond Centre (AWDC), qui représente le secteur au niveau gouvernemental, travaille dur pour garantir de bonnes conditions fiscales et commerciales, afin de maintenir l’avantage concurrentiel d’Anvers, tout en assurant de la crédibilité à la filière mondiale.

Comment jugez-vous le marché en 2014 ?

Cette année a été difficile. Même si certains ont pu écouler des marchandises, les roulements de stock et les tarifs ont pesé sur les centres de taille. Les marges et les liquidités sont en berne et le manque de transparence engendre de l’incertitude.

Aujourd’hui, les grands miniers se disent préoccupés par les liquidités sur le marché. Les banques ne peuvent plus leur prêter comme avant, car certains ne respectent plus leurs critères. Les miniers se retrouvent brusquement confrontés à une stratégie commerciale beaucoup moins lisible qu’avant.

Les liquidités et l’attractivité bancaire du marché posent de gros problèmes à tous les centres diamantaires. Nous devons admettre que ces problèmes ont un lien direct avec la rentabilité du secteur intermédiaire, ainsi qu’avec la gouvernance et la réputation du marché ou la direction et la représentation du secteur dans le monde.

Quel a été l’effet de la fermeture de la Banque diamantaire anversoise (ADB) sur le marché ?

Tout d’abord, il faut rappeler que nous parlons de la liquidation structurée des activités d’ADB, avec des échéanciers de remboursement agréés. ADB ne se contente pas d’exercer à Anvers, elle touche donc tout le monde. Lorsqu’une banque annonce qu’elle réduit ses lignes de crédit ou qu’elle ferme, l’écho se fait entendre dans les autres banques diamantaires et influe sur les perspectives du marché des capitaux dans son ensemble. À Anvers, nous surveillons cela de près, car la banque et la finance sont essentielles au rôle de cette ville dans l’industrie.

Actuellement, ADB prête environ 1,6 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) au marché. Nous envisageons de garantir la continuité en élargissant les facilités de financement proposées à la filière diamantaire grâce à des solutions à la fois traditionnelles et alternatives.

Le crédit bancaire accordé à l’industrie anversoise avoisine actuellement les 4,97 milliards de dollars (4 milliards d’euros), dont environ 1,2 milliard de dollars (1 milliard d’euros) proviennent de prêts indirects, un financement alternatif. Les difficultés bancaires actuelles nous ont amenés à repenser considérablement nos options de financement. Le prêt bancaire aux PME, quel que soit le secteur, ne fonctionne pas bien. Le secteur intermédiaire doit donc prouver qu’il est innovant, dynamique et rentable.


Quelles sont vos plus grandes craintes pour l’industrie ?

Il me semble que nous manquons de vision stratégique. Nous ne parvenons pas à réinventer l’avenir de l’industrie ni à exécuter efficacement les bonnes stratégies. L’industrie est fragmentée, car il existe désormais de nombreux intervenants légitimes, dont les priorités, aussi bien que les intérêts diffèrent.

Nous devons développer et mettre en place des objectifs qui profiteront à tous et nous protégeront tous.

Nous pourrions pour cela parvenir à une bonne représentation mondiale, grâce à une stratégie de promotion générique. La World Diamond Mark, développée sous l’égide de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB), pourrait être immédiatement mise en œuvre. Si cette marque parvient à rassembler les parties prenantes, elle a une excellente occasion d’offrir un support promotionnel durable, qui générera la croissance des ventes chez les consommateurs et améliorera les profits de l’industrie.

Quels sont, selon vous, les plus gros défis de l’industrie ?

Nous avons besoin de dirigeants forts, qui parviennent à évincer rapidement et délibérément les acteurs dont le comportement discrédite l’industrie ou la met en danger.

Nous devons également affronter une difficulté fondamentale : enfin réaliser notre potentiel de profit. Depuis 10 ans, le marché du luxe connaît une croissance explosive. Or, le secteur de la fabrication des diamants n’en a pas pris sa part. Le marché aurait dû obtenir des gains qui auraient renforcé ses capitaux et permis de réinvestir dans l’avenir. Ça n’a pas été le cas.

Pour améliorer nos profits, il nous faut des chaînes d’approvisionnement qui créent de la valeur économique, assurent une commercialisation créative, diffusent une histoire bien plus séduisante et élèvent nos normes éthiques et l’intégrité de notre bilan. Nous devons nous aligner sur les concepts modernes de gestion et de commerce.

Le monde de la grande consommation évolue. Les saisons et les marchés individuels ont perdu en importance. Les dépenses de luxe liées aux voyages sont colossales, tandis que les ventes en ligne progressent à pas de géants, le marketing numérique ayant créé une nouvelle relation entre la marque et le consommateur. Nous devons évaluer ce que notre industrie réalise dans cette sphère et nous y adapter.

Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie anversoise dans les 5 à 10 ans ?

Dans cinq ans, notre activité sera méconnaissable. L’industrie sera axée sur l’innovation, la créativité et les logiciels. Les diamants et les bijoux seront devenus une part indispensable du design et de l’histoire du produit et la proposition au client sera bien plus riche.

Nous évoluons dans une sphère du luxe en pleine croissance, qui représente des milliers de milliards de dollars. En étudiant les principaux aspects de l’industrie en termes de création de valeur et de transformation, d’élasticité des prix et de lacunes de l’innovation et de l’entrepreneuriat, IES estime, avec prudence, que les profits supplémentaires pourraient être compris entre 1 milliard et 3 milliards de dollars. Ces montants pourraient se concentrer sur le segment de la taille et du négoce, grâce à la mise en place d’une science des chaînes d’approvisionnement et à l’amélioration de la conception, du marketing et de la promotion. Pour y parvenir, l’industrie doit intensifier ses efforts en matière d’entrepreneuriat, de commercialisation et de gestion des réputations.

Anvers doit saisir l’avantage dans les domaines pour lesquels elle peut créer de la valeur, y compris avec de nouvelles gammes d’activité. Nos structures physiques et fiscales seront ainsi considérablement améliorées, pour devenir plus attrayantes en ce XXIe siècle. Très bientôt, Anvers se transformera en un marché très différent, plus ajusté à son objectif, agile et robuste, avec des lignes d’activité solides et un rôle dynamique, précis et incontournable dans l’industrie mondiale.

Source Rapaport