Les trimestres se suivent et ne se ressemblent pas

Avi Krawitz

Le premier trimestre 2015 a été rude pour l’industrie diamantaire mais certainement pas ennuyeux – comme un certain auteur me l’a suggéré à tort dans une conversation cette semaine. [:]Il a au moins permis de rappeler, sur un ton maussade, la rapidité avec laquelle les conditions de marché peuvent changer. À la même époque il y a tout juste un an, le marché venait d’achever un premier trimestre relativement solide et rentable. Au contraire, l’humeur en 2015 est sans conteste à la morosité.

En règle générale, le premier trimestre a tendance à se concentrer sur les échanges puisqu’une demande stable des consommateurs pendant les périodes de Noël et du Nouvel An chinois incite les détaillants de bijoux à se réapprovisionner. Cette opération joue sur la demande de taillé, ce qui se retrouve ensuite sur le marché du brut, comme c’était le cas en 2014.

À cette époque l’année dernière, les fournisseurs de taillé profitaient de meilleures marges bénéficiaires car les prix du brut avaient baissé au quatrième trimestre 2013 – lorsque les fabricants avaient fait pression en refusant un approvisionnement. Avec des achats de brut moins cher, la production de taillé qui est arrivée sur le marché trois mois plus tard a entraîné une période de rentabilité à court terme, les prix du taillé ayant augmenté par la suite.

Malheureusement, les bonnes périodes n’ont pas duré. Les prix du taillé baissent constamment depuis le deuxième trimestre 2014<, comme l’a indiqué le rapport mensuel de Rapaport d’avril 2015 « Réajustement des stocks », publié au cours de la semaine du 30 mars 2015.

Il s’est passé beaucoup de choses depuis lors, qui ont fait du premier trimestre 2015 un trimestre différent.

En premier lieu, il n’y a pas eu de correction des prix du brut au quatrième trimestre 2014, qui aurait pu engendrer plus de rentabilité, comme cela a été le cas l’année dernière. En revanche, les prix du brut chez les fournisseurs sous contrat se sont maintenus jusqu’au cycle de novembre. Les fabricants ont commencé à refuser des marchandises en décembre et ont continué à le faire pendant le sight de la semaine du 23 mars. Les prix du brut ont reculé depuis, mais l’approvisionnement en baisse de la De Beers et d’ALROSA devrait rester faible et les prix relativement stables dans les mois à venir.

La deuxième différence tient au fait que la croissance de la demande des consommateurs a ralenti, en particulier en Grande Chine puisque l’économie de cette partie du monde devient plus mature. Il faut ajouter à cela l’effet de la campagne anticorruption de la Chine sur les ventes de luxe et le ralentissement de l’expansion des détaillants vers les villes de niveau III et IV. Ces deux facteurs imposent davantage de pression sur la demande de gros. Tandis que la vente de bijoux en diamants au détail est passée d’une croissance à deux chiffres à un rythme de 5 % à 7 % en 2014, un goulot d’étranglement s’est naturellement formé sur le marché.

En conséquence, les détaillants de bijoux disposaient de stocks suffisants tout au long de 2014, en particulier après des achats volumineux au premier trimestre de l’année dernière. À mesure que les prix du taillé ont baissé, ils ont hésité à se constituer un stock supplémentaire, le marché partant à la baisse. De plus, les ventes de Noël se sont révélées assez décevantes aux États-Unis. Malgré des annonces positives sur l’économie, les Américains de la classe moyenne continuent d’avoir des difficultés et dépensent moins pour des articles discrétionnaires.

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Les données sur les ventes de bijoux aux États-Unis, recueillies par Rapaport News, montrent une faiblesse ces cinq derniers mois, donnant une certaine léthargie chez les joailliers indépendants, qui avaient déjà réduit leurs exigences de stock ces dernières années. En plus de cela, les grands détaillants de bijoux ont clôturé l’exercice fiscal avec des stocks plus volumineux que ceux de l’année précédente et de nombreux grands noms aux États-Unis et en Extrême-Orient transforment davantage leur approvisionnement en interne. Signet Jewelers, Chow Tai Fook, Chow Sang Sang et Tiffany & Co. disposent tous d’importantes installations de taille.

Le secteur du retail attend donc moins du marché diamantaire que l’année dernière.

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« Le secteur du retail attend donc moins du marché diamantaire que l’année dernière. »

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Le troisième développement important est la baisse du crédit bancaire, qui a eu un effet sur les niveaux des liquidités. ABN Amro et d’autres banques ont réduit leurs financements des achats de brut, passant de 100 % à 70 % à compter du 1er janvier 2014. Cette décision n’a commencé à avoir un véritable impact sur les liquidités qu’à partir du deuxième trimestre de l’année. En outre, la Banque diamantaire anversoise a depuis commencé à démanteler ses opérations, retirant son exposition de 1,4 milliard de dollars à l’industrie.

Les fabricants et les négociants n’ont plus accès au crédit bancaire dont ils disposaient il y a un an. Erik Jens, le PDG de la division Clients de diamants et bijoux d’ABN Amro, a souligné, dans un entretien avec Rapaport News publié la semaine dernière, que les banques considèrent l’industrie diamantaire à haut risque. Elles estiment que le marché doit obtenir d’autres sources de revenus pour compenser la baisse des prêts du secteur bancaire à l’industrie.

Jusqu’à présent, l’industrie n’y est pas parvenue de manière significative et les niveaux de liquidités moindres qui s’ensuivent imposent des pressions supplémentaires sur les prix du taillé.

Tant que les diamantaires ont de l’argent en banque, ils ne sont pas pressés de vendre car ils ont des liquidités pour payer les travailleurs, acheter du brut et poursuivre leurs opérations. Toutefois, dès que l’argent vient à manquer, ce qui se passe dans l’environnement actuel qui associe faiblesse de la demande et financement bancaire resserré, les fabricants sont obligés de vendre leurs marchandises moins cher pour obtenir des liquidités. Cette réalité n’avait pas percé l’année dernière, dans la même mesure qu’en 2015.

Le fait que les sightholders aient refusé environ 30 % de leur approvisionnement de brut en mars – juste avant l’annonce du nouveau contrat de la De Beers, rien de moins – témoigne de l’absence de liquidités et de la demande sur le marché.

[two_third]En conséquence, le plus gros changement entre cette année et l’année dernière en fin de premier trimestre, tient peut-être aux attentes du marché. En 2014, beaucoup s’attendaient à ce que le deuxième trimestre soit calme, comme c’est la cas habituellement à cette période de l’année. Toutefois, ils étaient rares à avoir prévu une tendance à la baisse qui se prolongerait jusqu’en avril 2015. Il existe actuellement une tension entre des menaces de pénuries d’approvisionnement, une demande médiocre et la baisse des crédits bancaires qui contraint le marché diamantaire et promet des perspectives mornes pour les mois à venir.[/two_third]
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« ABN Amro et d’autres banques ont réduit leurs financements des achats de brut, passant de 100 % à 70 % à compter du 1er janvier 2014″

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Le cycle va sans conteste s’inverser. Avec une baisse de l’approvisionnement et de la transformation du brut, les pénuries vont finir par aider à stabiliser le marché et stimuler la demande. Quant aux récentes réductions des prix du brut et celles qui sont attendues, elles devraient amener une période de rentabilité supérieure lorsque la demande de taillé se reprendra, à peu près comme cela s’est passé il y a tout juste un an. Il faudra peut-être un petit peu plus longtemps pour que cela arrive car peu de personnes espèrent que la demande de gros de taillé s’améliore à court terme.

Entre-temps, l’industrie continue d’affronter un environnement commercial contrasté par rapport à il y a un an. Ce faisant, elle doit améliorer les niveaux de liquidités en faisant progresser la demande et son accès au crédit afin de les maintenir à long terme. La tâche n’est pas facile dans un marché actuellement tendu, mais certainement pas ennuyeux.

Source Rapaport