Les leçons à tirer d’un mauvais café à Las Vegas

Edahn Golan

La file d’attente matinale au Starbucks est très longue. Elle rassemble joailliers optimistes, grossistes motivés, membres fatigués de la presse spécialisée, outilleurs avides et beaucoup de personnel marketing. [:] Dans la majeure partie du monde civilisé, le cappuccino du Starbucks est une offense, dans certains endroits, c’est même un crime passible de sanctions. L’eau est bouillante, elle brûle le café lorsqu’elle s’écoule. Dans certaines régions d’Italie, vous pourriez même être fouetté pour ce crime bien plus grave que l’adultère (bien sûr), l’évasion fiscale (évidemment) et peut-être même des chaussettes dépareillées.

L’espresso, un terme italien qui signifie probablement « rapide et amer », correspond à une très petite tasse de café et à un véritable mode de vie : c’est une boisson rapide, prise debout au bar, assortie d’une brève conversation, avant de rentrer au bureau ou à la maison, rasséréné.

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Las Vegas n’a absolument rien de l’espresso italien, c’est plutôt un cappuccino de Starbucks. Tout y est trop chaud, excessif à tout point de vue, mis en avant par un superbe marketing à défaut de réelle substance et, surtout, affreusement cher. En bref, il faut attirer Howard Schultz dans notre industrie, surtout si cela pouvait l’empêcher de détruire du bon café et nous permettre malgré tout de profiter de notre dose nécessaire de caféine.

Dans la file d’attente du café, la conversation dévie des événements sociaux de la veille (cocktails, boîtes, dîners d’affaires et pertes aux tables de blackjack) aux programmes et réunions de la journée. Les professionnels sont surtout occupés à recueillir des informations : prix, conditions de paiement, intervenants et leurs rôles, articles présentés et leur localisation, séances de formation recommandées, etc. Très peu abordent la possibilité de propulser la catégorie bijoux en diamants à un point où elle rognerait sur la part de marché des sacs à main ou des gadgets tendance. Personne n’évoque non plus l’économie de l’industrie.

Les fondamentaux de l’économie sont constamment remis en question. Les banques exigent davantage de garanties en échange des crédits accordés, les miniers veulent augmenter les prix de leur brut, les fabricants écartent une partie de leurs revenus du secteur pour équilibrer et protéger leurs avoirs, les joailliers sont lésés par les prix sauvages de l’or, Bâle III exige plus de transparence, ce qui effraie tout le monde… On demande désormais aux professionnels de jongler et de se courber de toutes les façons possibles, simplement pour joindre les deux bouts. Quant aux détaillants, bénis soient-ils, ils sont totalement insouciants de tout cela. Il leur suffit que des clients entrent dans leurs boutiques et génèrent du chiffre d’affaires. Ils restent totalement ignorants des montants qu’ils apportent et qui permettent de faire subsister le mécanisme sauvage de l’industrie.
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« Les banques exigent davantage de garanties en échange des crédits accordés, les miniers veulent augmenter les prix de leur brut, les fabricants écartent une partie de leurs revenus du secteur pour équilibrer et protéger leurs avoirs, les joailliers sont lésés par les prix sauvages de l’or, Bâle III exige plus de transparence, ce qui effraie tout le monde… »

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Alors, évidemment, un mauvais café après une longue file d’attente, à 7h30 à Las Vegas, après une nuit de festivités, n’a pas de quoi améliorer les choses. Se jaugeant dans l’espace des expositions, les exposants concurrents échangent des paroles amicales, ce sont des frères d’armes après tout. Les journalistes s’entassent dans la salle de presse pour le petit déjeuner, recueillent les CD des communiqués de presse, certains écrivent leurs reportages et d’autres encore échangent des informations.

La salle de presse permet une vue grandiose sur les hôtels et le désert en toile de fond, un décor tout à fait à-propos. Il associe paillettes et poussière, artificiel et naturel, fraîcheur forcée et chaleur sèche qui augmente au fil du jour, factice et réel… on y voit une manifestation de la volonté de la Terre, comme de sa résignation.

Ce que l’on crée ou ce qu’on laisse en l’état, voilà le cœur de l’industrie du diamants, des bijoux et de son économie. Nous essayons de les façonner, mais certaines choses restent telles quelles, jusqu’à ce que nous décidions de nous y intéresser.

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Nous devons améliorer la transparence pour mieux huiler les mécanismes de l’industrie. Il nous faut plus de marketing pour être plus compétitifs et attirer les revenus discrétionnaires des consommateurs. Nous devons innover pour demeurer pertinents. Nous devons comprendre le fonctionnement des différentes sections de la filière car il influe sur d’autres secteurs de l’industrie. Enfin, nous devons pouvoir collaborer avec les gouvernements car les nouvelles dispositions législatives et réglementaires partout dans le monde ont un effet sur notre activité à long terme, le plus souvent négatif. Et puis, nous devons pouvoir boire un meilleur café pour traverser tout cela, sinon quel est l’intérêt ?

Les salons de Las Vegas sont sans doute les plus importants dans l’industrie aujourd’hui. Ils permettent de négocier, de se rencontrer, d’échanger des idées, d’être présenté à de nouveaux contacts, d’apprendre et de vendre au plus grand marché, à une échelle exceptionnelle.

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« Améliorer la transparence, plus de marketing, innover, comprendre le fonctionnement des différentes sections de la filière, collaborer avec les gouvernements… »

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Dans la file d’attente pour aller écouter Maroon 5, un grand soulagement et un plaisir après tout ce dur labeur, une foule nombreuse progresse lentement. On y parle très peu de l’activité, l’occasion est plutôt aux rencontres et au bavardage. En leur for intérieur, beaucoup faisaient déjà le bilan du salon, évaluaient le travail de suivi nécessaire, se remémoraient les commandes à traiter et réfléchissaient sur la façon de faire bon usage des leçons tirées.

Tandis que je me glissais sans vergogne dans la file VIP (grâce à mes amis VIP), je me demandais plutôt qui pourrait réfléchir au plan macro, au schéma global des choses et au chemin qui reste à parcourir ? Existe-t-il un visionnaire et une locomotive comme Howard Schultz qui tirerait tout le monde vers l’avant et élargirait la catégorie des bijoux en diamants ? Mieux vaut espérer, faute de quoi il ne nous restera plus qu’ à inventer cette personne.

Source Idexonline