Les labos certifient les diamants, mais qui certifie les labos ?

Rob Bates

Le JCK a envoyé un diamant à un quatuor de laboratoires pour évaluer leur homogénéité (ou son absence). Les résultats ont été surprenants. [:] Ils permettent d’observer la façon dont le marché considère le processus de certification, intrinsèquement subjectif.

En 1955, le laboratoire du Gemological Institute of America a publié son premier rapport de certification. Il devait servir d’indicateur indépendant pour accroître la confiance du public dans l’industrie. Pourtant, au cours des années qui ont suivi, le système des laboratoires et des rapports de classement n’a pas conservé la confiance de tout le monde.

Certes, il existe encore de nombreux laboratoires de classement respectés. Certains se sont pourtant forgé une solide réputation de générosité (et même au sein de ce sous-groupe, certains, notamment un laboratoire à l’étranger, ont la réputation d’être très généreux.) Sur le marché, les commentaires abondent au sujet des normes qui varient en fonction du laboratoire. Il peut même arriver qu’une branche d’un laboratoire soit considérée plus conciliante qu’une autre.

« Le problème est à son apogée, et il ne va pas aller en s’améliorant », se plaint Donald A. Palmieri, président du Gem Certification and Assurance Laboratory (GCAL), à New York.

Donald Palmieri, qui critique souvent ses concurrents, affirme être régulièrement sollicité par des négociants pour évaluer des diamants : ce serait, d’une certaine manière, le moyen d’obtenir leur fidélité. Il affirme ne pas accepter ces offres, mais reste persuadé que d’autres le font. « De nombreux laboratoires font ce qu’ils ont à faire pour décrocher des contrats », explique-t-il.

Mark Moeller, le président de R.F. Moeller, une chaîne de trois boutiques basée à Minneapolis, a déclaré ceci : « Ces jours-ci, les classements partent dans tous les sens, et pour toute la gamme. »

« Tout le monde rivalise pour définir la norme, explique-t-il. Comment peut-on être cohérent quand il existe autant de laboratoires ? Ils ne font que réagir aux requêtes de leurs clients en se montrant plus cléments. C’est devenu un sujet de plaisanterie : si vous n’aimez pas le résultat de la certification, rabotez-la un peu et représentez la pierre. »

La question prend une telle place pour les professionnels que Martin Rapaport, le président de Rapaport Corp., a organisé trois forums annuels portant sur la certification, lors du JCK Las Vegas. Un quatrième est prévu au salon de cette année, le dimanche 2 juin. Lors du premier, une bijoutière a demandé aux participants comment réagir lorsqu’un client se présente en arborant un rapport d’un laboratoire qu’elle juge trop indulgent. Expliquant son dilemme, elle a ajouté qu’elle détestait médire de la concurrence mais qu’elle avait le sentiment que le client n’était pas vraiment satisfait. Personne n’a su lui répondre.

Mark Moeller explique être aux prises avec ce problème depuis un certain temps. Il en a conclu ceci : « Si vous ne pouvez pas lutter, associez-vous. » Fatigué de voir son concurrent attirer des clients grâce à des rapports issus d’un laboratoire qu’il juge « plus clément », il a commencé par les proposer lui aussi.

« Nous rations beaucoup de ventes, a-t-il affirmé. Et nous n’agissons ainsi que si tout le reste a échoué et que le client n’est attiré que par le prix. Nous sommes honnêtes : nous lui expliquons que ce classement est plus clément. Généralement, il s’en fiche. S’il veut un 2 carats avec un budget de 18 000 $, suis-je censé l’envoyer balader ? »

Ainsi, Mark Moeller a envoyé au JCK deux rapports portant sur le même diamant de 2 ct. Celui d’AGS le classe K VS1 (environ 11 200 $ chez Rapaport). L’autre, le « laboratoire clément », le classe J VVS2 (environ 14 000 $ sur Rap. Stones). Toutefois, les pierres assorties d’un rapport du laboratoire clément sont proposées avec un rabais allant jusqu’à 30 % par rapport à celles classées par des laboratoires plus respectés. Les consommateurs ont donc un moyen de savoir qu’ils achètent un J VVS2 au prix d’un K VS1.

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[two_third]Le problème réside en partie dans le fait que ce classement est, par nature, subjectif. Parfois, les évaluateurs d’un même laboratoire peuvent être en désaccord. Il faut savoir que de plus en plus de pierres sont classées et que les laboratoires s’agrandissent et ouvrent des succursales internationales. Il peut donc être difficile de maintenir des normes au niveau mondial. Certains craignent aussi que ces normes incohérentes touchent d’autres opérations, comme la recherche de traitements et de diamants synthétiques.[/two_third]

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« Le problème réside en partie dans le fait que ce classement est, par nature, subjectif. »

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Pour déterminer la cohérence des divers rapports, le JCK a fait envoyer un même diamant, par un négociant new-yorkais, à plusieurs grands laboratoires. Contrairement à une expérience similaire menée au milieu des années 90, où la pierre avait reçu trois classements différents de trois laboratoires différents, celle-ci a été classée de façon pratiquement identique par les quatre laboratoires. Un seul a donné un classement supérieur pour la couleur, mais cette variation entrait dans la tolérance généralement admise (et le négociant a, naturellement, accepté le classement supérieur).

Malgré le caractère principalement interne du problème, il a, par moments, attiré l’attention des médias grand public. Dans un épisode de Dateline NBC de 2005, un journaliste achetait à un détaillant de premier plan un diamant décrit comme étant sans défaut. Une fois certifié, sa pureté s’est révélée être beaucoup plus faible. Le rapport a également constaté de plus fortes disparités dans le classement des laboratoires que le JCK ; l’une des pierres avait même reçu plusieurs certifications de la part d’une seule organisation.

Compte tenu de l’importance des laboratoires pour l’industrie, comment peut-elle veiller à ce que les évaluateurs soient plus cohérents… et plus précis ? Il existe plusieurs écoles de pensée à ce sujet.

Classer les diamants grâce à une machine

Des machines ont été conçues pour classer automatiquement la couleur et, dans un moindre degré, la pureté des diamants. De nombreux laboratoires y ont d’ailleurs recours. Jerry Ehrenwald, le président et PDG de l’International Gemological Institute, a prédit, lors du forum Rapaport de 2011 à Las Vegas qu’« au cours de la prochaine décennie, il y aura des machines qui classeront la couleur et la pureté. Elles vont signer l’arrêt de mort de tous les laboratoires. » Jerry Ehrenwald et d’autres remarquent cependant que les laboratoires de certification resteront nécessaires pour détecter les pierres traitées et synthétiques.

[two_third]Forevermark s’est engouffrée dans cette voie. Stephen Lussier, le PDG de la marque De Beers, qui chamboule les conventions en classant ses propres diamants, affirme avoir régulièrement recours aux machines pour évaluer la couleur.

« La machine est actuellement notre outil le plus fiable pour classer la couleur, affirme-t-il. L’expérience nous a montré que même le meilleur professionnel n’aura raison que huit fois sur dix. Les yeux ne peuvent pas se concentrer toute la journée, d’où la nécessité de recueillir plusieurs avis. »

Il affirme que sa société travaille également sur un dispositif capable de classer la pureté. « La cohérence est l’aspect le plus important pour nous, a-t-il ajouté. Le classement est en partie affaire de science et en partie affaire d’émotion. Vous n’éliminerez jamais complètement les humains. Mais nous misons sur la technologie car l’homme n’est pas infaillible. »[/two_third]

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« Stephen Lussier, le PDG de la marque De Beers, qui chamboule les conventions en classant ses propres diamants, affirme avoir régulièrement recours aux machines pour évaluer la couleur. »

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Le GIA emploie également un dispositif exclusif, « dans une certaine mesure », pour son classement des couleurs, explique son porte-parole, Stephen Morriseau.

Quant au directeur exécutif du laboratoire American Gem Society, Peter Yantzer, il affirme que son laboratoire a utilisé un appareil de certification de couleurs pendant une période, mais découvert qu’il perdait en cohérence au fil du temps. Il considère pourtant qu’une autre réponse est possible ; elle consisterait à photographier tous les diamants classés près d’une gamme des grandes nuances de couleurs. Un programme informatique ou similaire pourrait ensuite faire concorder les photos à la gamme.

Solliciter un organisme indépendant pour évaluer et certifier les laboratoires

Il existe bien des associations qui évaluent et certifient régulièrement les laboratoires qui analysent la préparation des aliments ou des scènes de crime, par exemple. Elles sont, en un sens, des vérificateurs tiers de vérificateurs tiers. Mais peu d’acteurs de notre industrie en profitent (la seule exception est le GCAL, qui est certifié par un organisme appelé le Laboratory Accreditation Bureau.)

Citons également l’Organisation internationale de normalisation, qui a évalué un certain nombre de laboratoires de l’industrie, y compris IGI, HRD Antwerp et GCAL. Le Tiffany Gemological Laboratory, que le détaillant utilise pour certifier ses propres diamants, respecte aussi les normes ISO.

Informer le public sur la façon dont le marché considère les différents rapports

À bien des égards, le marché a déjà développé une solution basée sur le marché : dans l’industrie, certaines « certif » valent moins que d’autres. Ainsi, le service de cotation RapNet a constaté que certains rapports montraient un écart de prix allant jusqu’à 30 %. PolishedPrices.com publie une évaluation similaire sur son site.

Peter Yantzer a demandé à ce que ces indices soient rendus publics pour les consommateurs. Cela existe déjà pour le classement des monnaies, explique-t-il : « Il suffit de consulter les prix des indices en ligne. L’industrie les ajuste en fonction de la cohérence et de la qualité du classement du laboratoire. C’est ainsi que l’industrie gère les classements inexacts. Mais les consommateurs ne le savent pas. Et les détaillants leur disent que tous les laboratoires ont été créés égaux. Cette information doit être publiée là où elle sera visible pour les consommateurs, explique Peter Yantzer. Bien sûr, beaucoup ne s’en soucient pas. Mais cela pourrait en intéresser certains. »

Veiller à ce que les laboratoires offrent des garanties

Donald Palmieri croit en une autre solution : amener les laboratoires à garantir leurs classements, comme lui le fait, avec une garantie de « tolérance zéro ». Quand le GCAL appartenait au Collector’s Universe, coté en bourse, il garantissait ses conclusions avec une tolérance d’un grade. Aujourd’hui, ils ne sont plus associés et le laboratoire ne s’accorde même plus ce degré de tolérance. « Pourquoi ne pas engager un laboratoire qui soutiendrait ses classements ? demande Donald Palmieri. C’est ce que doit faire un détaillant. » (Il admet l’existence de pierres dites « borderline », mais elles sont rares et peuvent dès lors être étiquetées comme telles.)

Peter Yantzer explique que son laboratoire envisage une garantie similaire. « Je pense qu’il est possible de créer un véritable certificat », dit-il, bien que lui accepte une tolérance d’un grade. Il s’interroge toutefois sur l’identité de celui qui établirait la précision ultime du classement. « Il faudrait un groupe de classificateurs à long terme », dit-il.

Amener les associations de l’industrie à sévir

Lors de son forum, Rapaport a exhorté l’industrie à sanctionner les laboratoires qui attribuent régulièrement plus d’un grade d’écart. « Nous devons affirmer qu’il n’est plus acceptable d’annoncer deux couleurs d’écart », dit-il. Il parle ainsi au nom de beaucoup quand il prétend que l’industrie doit se pencher sérieusement sur ce qui sort de ces laboratoires. « En ce moment, dit-il, il n’existe pas de ligne rouge. »

Source JCK Online