Les illusions sur les prix du brut

Avi Krawitz

Cette semaine, Philippe Mellier a lancé un défi à l’industrie, et aux sightholders en particulier. Le PDG de la De Beers a affirmé à Bloomberg News que la société prévoit d’augmenter les prix du brut de 5 % par an pour atteindre les objectifs fixés par sa société-mère, Anglo American. [:]
Anglo souhaite que sa division diamantaire augmente son « rendement sur capital investi », passant de 11 %, chiffre rapporté en 2013, à 15 % d’ici 2016. Autrement dit, Anglo attend de la De Beers qu’elle exploite son capital plus efficacement. Avec des coûts d’extraction relativement stables, Philippe Mellier et son équipe peuvent parfaitement améliorer la rentabilité en augmentant les ventes. La société prévoit également une stabilité de sa production dans un avenir proche, aux alentours de 32 millions de carats. La croissance des ventes devrait alors provenir de hausses de prix uniformes et constantes, plutôt que d’une augmentation du volume.

[two_third]« Nous connaissons la tendance à long terme, nous savons que la demande va dépasser l’offre, a expliqué Philippe Mellier. L’un de nos objectifs est de stabiliser les prix et d’éliminer la volatilité. »

Ceci dit, l’objectif de 5 % de M. Mellier pourrait se révéler légèrement agressif, même s’il peut parfois être réalisable. Les dirigeants d’ALROSA travaillent avec des prévisions de hausse annuelle de 3 % pour les prix du brut.[/two_third][one_third_last]

« La croissance des ventes devrait alors provenir de hausses de prix uniformes et constantes, plutôt que d’une augmentation du volume. »

[/one_third_last]

La De Beers a fixé son rythme en 2013, faisant état d’une augmentation de ses prix du brut de 5 % pendant l’année. M. Mellier a affirmé à Bloomberg que la société avait déjà augmenté ses prix de 5 % en 2014. Selon lui, aucune autre hausse n’est prévue cette année.

Voilà qui va ravir les fabricants, victimes des importantes hausses des prix du brut – dont ils sont en partie responsables – appliquées ces quatre derniers mois. En fait, Philippe Mellier sous-évalue peut-être l’ampleur de cette progression en 2014. Rapaport estime que l’augmentation est comprise entre 7 % et 10 % depuis janvier, ce qui pourrait laisser un peu de marge à la De Beers pour baisser ses prix en cas de besoin lors des prochains sights, et malgré tout maintenir son objectif de 5 % sur l’année.

Rapaport estime certainement que le marché du brut reculera au deuxième trimestre. Certains signes montrent déjà que la demande a ralenti. Les premiers rapports après le sight de la De Beers, du 5 au 9 mai, ont montré que la vente a été plus réduite que les trois premières de l’année et que les prix sont restés relativement stables – voire légèrement inférieurs pour certaines marchandises. Les échanges se sont tempérés sur le marché secondaire depuis que la De Beers a augmenté ses prix début avril et que les premiums ont chuté.

[two_third]

Plusieurs raisons nous font penser que le marché du brut restera prudent et que les prix perdront quelques points en pourcentage dans les cinq à six prochains mois.

En premier lieu, les prix du brut ont trop augmenté et de façon trop rapide au premier trimestre. La demande a nécessairement augmenté après que les fabricants ont ralenti leurs achats de brut au quatrième trimestre 2013. Pour satisfaire les commandes de taillé des joailliers qui refaisaient leurs stocks après les fêtes de Noël et du Nouvel An chinois, ils ont alors acheté avec frénésie. Cet élan a pris fin, mais peut-être que des augmentations plus modestes, sur une période plus longue, auraient été plus supportables.

[/two_third][one_third_last]

« Le marché du brut restera prudent et les prix perdront quelques points en pourcentage dans les cinq à six prochains mois. »

[/one_third_last]

Une fois de plus, le calendrier de notre industrie fait apparaître un motif cyclique. Un premier trimestre solide est généralement suivi d’une période de consolidation aux deuxième et troisième trimestres. On pouvait donc largement s’attendre à un ralentissement au mois d’avril, avec des échanges affectés par les différentes périodes de vacances sur les marchés. De nombreux fabricants en Inde ferment pendant les congés scolaires du mois de mai. La demande de brut est donc atone.

Autre motif de ralentissement prévu sur le marché du brut, le fait que la demande de taillé n’a pas garanti les hausses de prix du brut qui ont eu lieu. Le marché du taillé s’est indubitablement amélioré en 2014 par rapport à l’année précédente, mais la demande reste sélective. Les prix des pierres certifiées, mesurés par l’indice RapNet (RAPI™), ont augmenté dans toutes les catégories au cours des quatre premiers mois de l’année, malgré les baisses observées en avril (voir le rapport mensuel de Rapaport de mai 2014). Toutefois, seuls les 0,30 à 0,50 carat ont progressé de plus de 5 % en 2014, affichant la même marge de progression que les prix moyens du brut. Le RAPI pour les diamants de 1 carat a progressé de 1,8 % entre janvier et avril et reste pourtant en retrait de 3 % par rapport à l’année précédente.

[two_third]Les fabricants martèlent depuis longtemps qu’il y a une distorsion entre les prix du brut et du taillé. Ils remarquent donc que, même si les ventes de taillé ont augmenté, la rentabilité n’a pas suivi. En outre, les banques qui prêtent à l’industrie ont durci leurs conditions de crédit, y compris en Inde. Les liquidités sont plus limitées et les fabricants devraient donc réduire leurs achats de brut.

Certes, une hausse annuelle de 5 % pourrait contribuer à améliorer la rentabilité de la De Beers et son retour sur capital. Mais elle n’assurera pas nécessairement des bénéfices pour la fabrication. Les sightholders finiront par refuser le brut dont le prix n’est pas justifié.[/two_third][one_third_last]

« Les fabricants martèlent depuis longtemps qu’il y a une distorsion entre les prix du brut et du taillé. »

[/one_third_last]

D’après le discours de Monsieur Mellier, le secteur, aussi bien que les conditions de marché, permettront à la De Beers d’augmenter régulièrement ses prix, au niveau annoncé. Mais pour cela, la demande de taillé devra augmenter encore davantage.

Dans ses déclarations à Bloomberg, Philippe Mellier explique que la De Beers prévoit une hausse de la demande mondiale de 4 % à 4,5 % en 2014, entraînée par une croissance d’un peu moins de 10 % aux États-Unis et un « rythme satisfaisant » en Chine. Il pourrait s’agir là aussi d’estimations ambitieuses car le marché de la consommation de bijoux en diamants n’a pas beaucoup changé en 2014. Les consommateurs sont réticents face à des prix trop élevés ou préfèrent des bijoux de qualité inférieure, qui correspondent mieux à leur budget. De la même façon, au fur et à mesure que les marchés d’Extrême-Orient arrivent à maturité, ces consommateurs se tournent vers des diamants plus petits et moins chers, ce qui explique l’engouement pour les 0,30 à 0,50 carat et les puretés SI depuis un an ou deux.

[two_third]La De Beers a certainement compris qu’une seule catégorie ne fait pas tout un marché. Mais la demande sera-t-elle suffisante dans d’autres domaines pour justifier la hausse annuelle annoncée de 5 % ? Il y a là une difficulté que les clients de la De Beers vont devoir affronter, la direction du minier cherchant à satisfaire les besoins des actionnaires plutôt que des sightholders.

La De Beers ressentira aussi cette tension lorsqu’elle tentera d’appliquer une hausse constante des prix sur un marché volatil. Dans un tel environnement, la société stimulera ses revenus – et son retour sur capital – plus efficacement si elle exploite ses autres unités commerciales, comme Forevermark, Element Six et son tout récent service de certification, plutôt que son cœur de métier, avec l’extraction minière et la vente de brut. À long terme, la demande prendra peut-être le pas sur l’offre, mais les hausses des prix du brut qui en résulteront ne seront qu’une illusion si la rentabilité n’est pas au rendez-vous pour les fabricants et les négociants du marché intermédiaire.[/two_third][one_third_last]

« Le marché de la consommation de bijoux en diamants n’a pas beaucoup changé en 2014. Les consommateurs sont réticents face à des prix trop élevés ou préfèrent des bijoux de qualité inférieure, qui correspondent mieux à leur budget. »

[/one_third_last]

Source Rapaport