Pipeline diamants 2013 : morosité, avec quelques étincelles

Chaim Even-Zohar

Dans l’ensemble, les résultats du secteur diamantaire en 2013 sont comparables à ceux de 2012 : le brut a assuré une contribution totale de 15,56 milliards de dollars (15,5 milliards de dollars en 2012). Une fois taillées, les pierres ont représenté 21,6 milliards de dollars (20,7 milliards de dollars en 2012), en prix de gros du taillé (PWP). [:]Les ventes mondiales de bijoux en diamants ont progressé de 3 % à 4 %, passant de 72,1 milliards de dollars à 74,48 milliards de dollars, très proches du niveau des 75 milliards de dollars. L’histoire de la filière s’écrit toutefois au sein de la chaîne de valeur : les performances de l’industrie ont considérablement progressé entre 2012 et 2013. En matière de consommation, la réussite n’a pas été égale pour tous. La Chine a profité d’un essor considérable, que nous estimons à 12 % pour la vente au détail. Mais la demande évolue. Le marché chinois se rapproche du modèle américain : préférences de plus en plus marquées pour les diamants de qualité inférieure, vendus en masse. Les États-Unis et le Japon ont connu une certaine croissance. En Inde, par contre, la demande de taillé pour le marché national des bijoux a reculé de 5 % environ. 

[two_third]Les grands défis de l’industrie en 2013 étaient liés à des pressions internes plutôt qu’externes. Parmi elles, figuraient des facilités de financement réduites et le retrait de certaines banques. La situation a favorisé un virage vers l’Inde et ses entrepreneurs (cinq nouveaux sightholders de la DTC sont indiens). Autre problème, la présence croissante de diamants synthétiques : davantage de pierres sont serties sur des bijoux mais le nombre de diamants non déclarés diminue dans les échanges, des certifications erronées circulent et des doutes se font sentir en matière d’intégrité et de conformité. Toutes ces questions n’ont fait qu’aggraver la distorsion durable entre les prix du brut et du taillé dans diverses catégories.[/two_third][one_third_last]

« Toutes ces questions n’ont fait qu’aggraver la distorsion durable entre les prix du brut et du taillé dans diverses catégories. »

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Notre chiffre pour la production du brut dépasse d’environ 1 milliard de dollars les données officielles du Kimberley Process (KP). L’écart est dû, en partie, au fait que la production interdite par le KP en Côte d’Ivoire, au Venezuela et en RCA s’échange à travers des circuits parallèles. Les sanctions permanentes sur les diamants du Zimbabwe – associées à ce qui apparaît parfois comme des attentes en aval, quasiment paranoïaques, sur l’identification des sources du taillé – n’ont pas amélioré la transparence de la filière. Les problèmes d’intégrité des producteurs dans certains pays (Angola, RDC et autres) ont également amené à une déclaration sous-évaluée des chiffres de production. En admettant que la production de 2013 soit officiellement estimée à 14,01 milliards de dollars (pour 122 millions de carats), notre approximation prudente serait de 15,14 milliards de dollars (pour 135 millions de carats). La moyenne officielle de 114,82 dollars par carat semble justifiée.

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Des stocks réduits

Les stocks de brut et de taillé sont passés de 14,5 milliards de dollars à 13,7 milliards de dollars, soit une baisse de 800 à 900 millions de dollars. Les premiers mois de 2014 montrent que cette tendance se poursuit cette année. Il en va de même avec le recul des prêts bancaires : de 16 milliards de dollars en 2012, ils ont été réduits à 15,4 milliards de dollars en 2013. Ces chiffres devraient baisser encore pour atteindre 14,7 milliards de dollars en fin d’année. Ce recul a pourtant dépassé les prévisions des banques. En 2013, les professionnels ont ressenti une crise de liquidités qui devrait s’exacerber en 2014. 

Reste à savoir qui de la poule ou de l’œuf est venu en premier. Une pénurie de liquidités (absence de crédit) engendre généralement une baisse des achats de brut et des stocks. S’en suit un recul des prix du brut. Indépendamment de la demande de détail, l’expérience montre qu’une forte disponibilité du crédit (bon marché) influence fortement le développement de la filière.

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Pourtant, c’est le résultat qui compte. Nos modèles économiques (Tacy Ltd. et Pharos Beam Consulting LLP) montrent clairement que le secteur de la fabrication et du négoce, entre achats de brut et ventes de taillé, qui a globalement perdu 400 millions de dollars en 2012, a su inverser la tendance et retrouver une rentabilité de même ordre en 2013. La marge est minime, mais toutefois meilleure que celle des deux années précédentes, au cours desquelles l’industrie avait, en réalité, perdu de l’argent.

Malgré un recul des prix du brut au second semestre 2013, les prix du taillé sont généralement restés assez stables. En 2013, les difficultés comptables étaient surtout liées aux fluctuations des devises (rouble, roupie, rand), plutôt qu’à la volatilité des prix.

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« Le secteur de la fabrication et du négoce a su inverser la tendance et retrouver une rentabilité de même ordre en 2013. La marge est minime. »

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Production : volume stable et prix en légère baisse

Les travaux annuels de Tacy Ltd. proposent des valeurs, mais s’attachent à ne pas analyser les volumes.Du côté de l’offre, nous estimons que la production mondiale est restée assez stable, à environ 135 millions de carats. Le plus gros fournisseur en volume est, bien entendu, ALROSA. Le minier a vendu environ 5 millions de carats de plus en 2013, passant de 33,2 millions en 2012 à 38 millions l’année dernière. Notons un fait remarquable : l’essor était principalement dû aux ventes de brut de qualité, malgré un prix par carat en baisse. En 2013, ALROSA a écoulé 26,7 millions de carats de brut de qualité, au prix moyen de 126,10 dollars/ct (134,30 dollars/ct en 2012), et quelque 11,3 millions de carats de brut industriel à 9 dollars/ct (10,1 dollars/ct en 2012). Sur les 9 % de baisse moyenne des prix, seuls 4 % sont attribuables à un ralentissement du marché. Les 5 % restants sont liés à des changements dans la composition du chiffre d’affaires.

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L’une des difficultés rencontrées lors de l’analyse de la dynamique de l’offre et de la demande concerne les niveaux de stocks des Russes et leurs politiques de retrait. La direction d’ALROSA a récemment admis qu’à la fin 2013, elle possédait 17,7 millions de carats de stocks (30 % de qualité industrielle) et qu’elle entendait réduire ce chiffre de 2 millions de carats par an, au cours des deux à trois prochaines années. En 2013, les ventes issues des stocks dépassaient cet objectif. Ces réserves ne comprennent pas celles détenues par le Gokhran.

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La plupart des producteurs ont prévu d’accroître leurs objectifs de production et de vente ; la production mondiale devrait progresser de 140 millions de carats cette année. Les hausses de la demande seront très certainement compensées par une augmentation de la production. L’appréciation des cours du brut et du taillé ne devrait donc pas être significative.

Le tableau brossé pour cette année ressemblera fortement à celui de l’année dernière. Le manque de stabilité des taux de change influera sur les performances des producteurs. La De Beers, et d’autres, devront s’efforcer d’optimiser (augmenter) les prix. La De Beers était connue pour pratiquer les prix les plus bas du marché, le statut de sightholder de la DTC était donc très exclusif et recherché. La société semble actuellement disposée à réduire les marges différentielles qui auront un effet sur la fidélité des clients envers le producteur. La DTC insiste désormais sur les « performances passées » d’un client (son historique d’achat), comme facteur essentiel pour être admis à de futures attributions.

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« La plupart des producteurs ont prévu d’accroître leurs objectifs de production et de vente ; la production mondiale devrait progresser de 140 millions de carats cette année. »

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Au niveau des prix, l’interrogation porte sur la volonté des producteurs de faire preuve de flexibilité en abaissant à nouveau leurs tarifs lorsque ce sera nécessaire. En 2013, les prix des producteurs semblaient assez conformes aux conditions en vigueur sur le marché du brut. Cela s’applique aux principaux acteurs.

Recherche titres et liquidités

Les chiffres laissent présager peu d’opportunités pour que les acteurs augmentent leurs niveaux de titres. L’absence de rentabilité reste en effet problématique (les cyniques considèrent les exclusions ou « coupes claires » des banques comme une sorte d’afflux de titres dans le secteur. C’est illogique, l’argent manquait déjà avant les défaillances.) Au moins une dizaine de projets cherchent à dénicher d’autres sources de liquidités, notamment en attirant des investisseurs étrangers au marché ou en créant des plates-formes d’échange alternatives, sur lesquelles peuvent être négociés des contrats financiers à terme en diamants – à l’instar de nombreuses autres matières premières.

Nos recherches n’ont pas encore montré d’effet significatif du marché d’investissement sur la dynamique globale de l’offre et de la demande. Nous continuerons malgré tout à surveiller cette nouvelle source de demande et de fonds. En 2013, les banquiers étrangers (suisses) se montraient de plus en plus présents dans les centres de taille, achetant aussi du taillé pour le compte de leurs clients. Il ne s’agit pas seulement d’une stratégie de diversification ; ils sont certainement aussi motivés par le fait de pouvoir conserver discrètement ces investissements.

Le recyclage entre dans les mœurs

[two_third]Le recyclage des diamants (leur rachat aux consommateurs) est devenu monnaie courante en 2013 et partie intégrante et permanente de l’offre – même si les chiffres ont reculé d’environ 20 % par rapport à 2012. Cette niche reste très rentable. Nos estimations basses indiquent que les diamants recyclés (au prix de vente du taillé) remis en circulation ont représenté environ 960 millions de dollars en 2013. L’une des plus grandes sociétés de recyclage, White Pines, a le sentiment que cette activité a pâti de la fusion en masse de l’or aux États-Unis. Ce facteur, entre autres, a particulièrement réduit les volumes de carats de marchandises indiennes entrés sur le marché américain. Dans ces catégories, l’approvisionnement est en recul d’environ 25 %, après avoir atteint des niveaux très élevés.[/two_third][one_third_last]

« Le recyclage des diamants (leur rachat aux consommateurs) est devenu monnaie courante en 2013 et partie intégrante et permanente de l’offre. »

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Les volumes progressent pourtant pour les grosses marchandises, jusqu’à 3 carats, et à un rythme rapide. White Pines, qui emploie 15 acheteurs à plein temps en quête de bijoux en diamants d’occasion, s’est développée de 50 % l’année dernière et pourrait reproduire cette performance en 2014. Toutefois, la majeure partie des marchandises recyclées concerne de petites pierres et tous les acteurs ne sont pas aussi efficaces ou expérimentés sur ce marché. Nous acceptons donc les estimations d’une baisse globale de 20 %.

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D’après nos précédentes estimations, les bijoux en diamant aux États-Unis pourraient bien atteindre mille milliards de dollars à la valeur de détail. Selon un expert londonien, après un calcul griffonné rapidement au dos d’une enveloppe, « même si un bijou en diamants n’est recyclé qu’une fois tous les 30 ans, et ce chiffre est probablement sous-évalué, cela laisse un potentiel de 8 milliards de dollars de diamants recyclés par an, uniquement aux États-Unis. » Les diamants recyclés continueront de connaître l’une des plus fortes croissances dans la filière. Nos estimations de 2013, légèrement inférieures à 1 milliard de dollars (en prix de gros) pourraient même être modestes.

Régulation de la vente des diamants synthétiques

[two_third]Que cela vous plaise ou non, il est indubitable que les diamants synthétiques ont monopolisé le débat en 2013. Notre premier rapport, sorti début 2012, évoquant des ventes massives de diamants synthétiques de qualité, non déclarés, à New York, puis à Anvers et ailleurs, a entraîné une multiplication des débats. Le secteur a découvert la nécessité de débusquer les diamants synthétiques – et les détecteurs sont devenus un équipement particulièrement prisé dans les centres diamantaires. Selon nous, la production de masse de diamants synthétiques de qualité n’a pas encore démarré.[/two_third][one_third_last]

« Selon nous, la production de masse de diamants synthétiques de qualité n’a pas encore démarré. »

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L’affaire est extrêmement sensible. J’aimerais vous faire part d’une théorie intéressante relative à la publicité des diamants synthétiques. Une récente étude académique, portant sur l’impact des diamants synthétiques au Botswana, indique : « il a été avancé que le Botswana a tout intérêt à adopter les normes mondiales dans toute la chaîne de valeur, pour distinguer les diamants issus de mines des diamants synthétiques. Toutefois, il est peu probable que la communauté internationale soutienne une telle norme, à moins que l’on puisse démontrer qu’une fraude a lieu. » Certains producteurs de diamants synthétiques sont en faveur de cette théorie.

Les pierres synthétiques ne présentent aucun risque pour la santé, la sécurité n’est pas remise en cause, ce ne sont ni des produits alimentaires, ni des médicaments exigeant une norme ou un contrôle gouvernemental. Dès lors, la logique veut que, pour que l’industrie adopte d’elle-même des règles de déclaration éthique qu’elle s’imposerait, et qui devraient aussi être intégrées dans une réglementation gouvernementale, il faudrait une menace sérieuse pour la population – et prouver que le public risque d’être trompé si ces règles obligatoires ne sont pas appliquées. Le Professeur Roman Grynberg, l’un des auteurs de l’étude du Botswana Institute for Development Policy Analysis, dispose de preuves conséquentes pour étayer cette position.

Voilà qui donne matière à réflexion. La publicité désagréable et nauséabonde qui a été faite autour de « l’épidémie » de diamants synthétiques non déclarés en 2013 pourrait donc devenir, si ce n’est déjà fait, l’élan qui permettra au législateur d’entrer en action. L’effet sera positif ou négatif, selon où l’on se place.

Les défis internes

Le graphique de la filière est évocateur. L’année dernière, l’industrie a été confrontée à d’énormes défis et a connu une période globalement difficile – même s’il n’y a pas eu de problèmes graves du côté de la demande. Les difficultés venaient de l’intérieur.

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Notre intention n’est pas de dire qu’il existe un lien de cause à effet. Pourtant, il semblerait qu’aux moments difficiles, l’intégrité de la filière subisse aussi des pressions. Des acteurs peu scrupuleux appliquent des pratiques contraires à l’éthique, entre vente de marchandises non déclarées, dissimulation de synthétiques, falsifications de certificats (par exemple en surclassant les pierres), défauts de paiement, etc. Heureusement, ces fraudeurs ne sont pas légion – ils sont connus et visibles, mais souvent « intouchables ».

[two_third]Pour l’industrie, lorsqu’une « société respectable » est en concurrence avec une « société fraudeuse », le plus souvent, c’est cette dernière qui remporte la mise. Ces sociétés faussent la concurrence – et les autres tentent de lutter alors que les dés sont pipés dès le départ. Toute la filière est concernée. Et tout le monde y perd.

Grand merci, la majeure partie des professionnels sont dignes de ce que la De Beers appelle « être à la hauteur des diamants ». Notre secteur est scintillant et son avenir resplendit. Mais une fois par an, lorsque l’on regarde les performances de l’année passée, il est utile de se rappeler que notre destin n’est pas acquis. Nos principaux problèmes sont pour la plupart internes – et c’est un grand avantage, voire un privilège pur et simple. Cela signifie que nous pouvons les traiter efficacement nous-mêmes. Ne ratons pas cette opportunité.[/two_third][one_third_last]

« Grand merci, la majeure partie des professionnels sont dignes de ce que la De Beers appelle « être à la hauteur des diamants ». Notre secteur est scintillant et son avenir resplendit. »

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Source Idexonline