Discours de Peter Meeus à l’assemblée annuelle du World Diamond Congress

Peter Meeus

Monsieur le Président,

Vos Excellences les ministres des Mines,

Ambassadeur Nhlapo,

Mesdames et Messieurs,[:]

Tout d’abord, permettez-moi d’excuser Ahmed Ben Sulayem, qui ne peut pas participer à cet important rassemblement. Il devait venir, mais a été contraint d’annuler son voyage. Il me demande de vous transmettre ses plus sincères salutations, ainsi que le message suivant au nom du DMCC, l’autorité gouvernementale à Dubaï, et du DDE, le Dubai Diamond Exchange, qui représente l’industrie et dont j’ai l’honneur de présider le conseil d’administration.

Le World Diamond Council est de toute évidence à la croisée des chemins. Il doit décider quelle décision prendre maintenant qu’un grand président comme Eli Izhakoff démissionne après un si long mandat. M. Paz, nous vous souhaitons de relever ce nouveau défi avec succès.

Eli a accompli un travail remarquable pour le WDC, et nous lui en sommes reconnaissants. Nous l’avons déjà remercié lors de la conférence de Dubaï en mars, et nous voulons être sûrs de lui exprimer la même gratitude aujourd’hui.

M. Paz, nous avons toujours manifesté notre intérêt et notre désir de participer plus activement au conseil d’administration de votre organisation. Nous espérons que votre conseil reconsidérera bientôt son refus d’accepter le DDE en tant que membre à part entière de votre organisation. J’étais déjà sincère en le demandant l’an passé, lors de ce même forum, mais ma requête n’était de toute évidence pas assez claire. C’est pourquoi je la renouvelle aujourd’hui. Soyez convaincu que nos intentions sont positives. Nous avons peut-être des idées qui ne font pas toujours l’unanimité, M. Paz. Mais l’unanimité n’est pas une obligation : si tout le monde est toujours d’accord, la démocratie est imparfaite.

Ce qui nous amène à un premier commentaire sur la route qui s’ouvre au WDC. Comme nous l’avons déjà souligné l’an passé, pour nombre d’entre nous, ce qu’il représente n’est toujours pas clair. Rien n’est plus évident après la dernière discussion qui a eu lieu lors d’un forum au QG de l’OCDE, à Paris, la semaine dernière.

Le DMCC y était présent parce que nous participons à l’élaboration des directives de l’OCDE sur l’achat d’or en RDC. Nous ne nous attendions toutefois pas à une connaissance et à une compréhension aussi limitées du circuit des diamants dans les salles de réunion parisiennes. Des concepts tels que le mélange, le tri et l’agrégation semblaient totalement inconnus du public. Certains participants semblaient penser qu’un pli de brut run of mine est vendu tel quel au grossiste, qui le vend alors au fabriquant, qui le pose comme ça sur son disque de polissage et vend ensuite le résultat au détaillant de taillé, qui le vend enfin au consommateur. Le public saisit mal la complexité de notre industrie.

La question que ce rassemblement a mise en évidence est celle de savoir qui le WDC représente, et qui il ne représente pas. Représentez-vous également les organisations de détaillants américaines, et si c’est le cas, pourquoi aucun de vos représentants n’était présent à Paris ? Sont-ils avec nous ou pas ? Alors qu’un KP2 est en cours d’élaboration dans certains QG parisiens, nous ne sommes pas hors sujet, n’est-ce pas ?

Une autre question, M. le Président. Le WDC représente-t-il également l’industrie minière africaine, et si tel est le cas, cela se reflète-t-il d’une manière ou d’une autre dans vos structures ? Je suis très heureux de voir que nos amis les ministres Shabanghu et Mpofu sont présents, mais je ne comprends pas bien le rapport avec votre structure. Défendons-nous en même temps les intérêts des mineurs qui travaillent dans les alluvions et ceux des consommateurs américains, et si tel est le cas, ces intérêts sont-ils les mêmes ? Peuvent-ils seulement s’aligner ? Parce que si vous essayez de défendre les intérêts de tout le monde, au bout du compte, vous risquez de finir par ne plus représenter personne.

C’est intéressant que cette réunion ait eu lieu à Paris, capitale mondiale du luxe. Nous avons conseillé au public présent à l’OCDE d’aller faire un tour chez Louis Vuitton pour voir qui étaient les acheteurs. On y voit énormément d’Asiatiques, qui repartent littéralement avec des sacs remplis de sacs. Pas d’Occidentaux. C’est le nouvel ordre du monde. Si l’on considère une perspective globale, on observe de grandes disparités dans les sources de croissance de l’industrie du luxe. L’Asie représente une croissance de 22 % en 2012, les pays du Golfe 16 %, l’Europe 5 % et les États-Unis 8 %.

Car même si le WDC affirme représenter le commerce de détail, nous ne voyons pas ici de représentants de Chow Tai Fook, Luk Fook, Chow Sang Sang, Gitanjali, Joyallukas, Altinbas ou Damas. Leur point de vue serait pourtant précieux pour comprendre ce qui se passe dans la tête des consommateurs dans leurs parties du globe. Et s’il faudrait ou non prendre cela en compte lorsque nous nous engageons à contrôler davantage les mécanismes de la chaîne logistique.

Car si l’Afrique y était déjà sous-représentée, je n’ai vu à Paris que peu d’Indiens, et pas de Russes, de Chinois ou de Hongkongais, de Japonais, de Trucs ou de Taiwanais. Le KP n’était-il pas au départ un exercice visant à inclure tout le monde, et non à les exclure ? C’est peut-être une tradition dans cette capitale française, mais cela n’amènera pas forcément les mêmes résultats. Pouvons-nous nous permettre de négliger à la fois la clientèle orientale grandissante et les capacités de productions africaines ?

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Aujourd’hui, l’Afrique détient environ 2/3 des diamants en valeur, et environ 60 % en carats. Mais les Africains brillaient eux aussi par leur absence, à l’exception du Congolais Maurice Miema, qui a pu arriver vers midi. Sans lui, aucun producteur africain n’aurait été présent. Pouvons-nous vraiment mener un débat décisif si les pays producteurs de diamants ne sont pas impliqués ?

Enfin et surtout, nous avons entendu dire çà et là qu’il s’agissait d’une initiative financée par les Occidentaux ? Voilà qui est un peu déroutant. Certains affirment que le véritable objectif du WDC n’est autre que le contrôle des minerais africains, et n’a rien à voir avec les problèmes des consommateurs. Car si l’on parle d’achat et de consommation « moraux », n’oublions pas que pendant des dizaines d’années, et toujours à l’époque où je suis entré dans cette industrie il y a deux ans, les consommateurs américains, qui représentaient alors plus de 50 % de la demande mondiale, achetaient leurs diamants au régime de l’apartheid en Afrique du Sud et au prétendu « empire du mal », mes amis russes, assis près de moi.

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Certains affirment que cette initiative vise à se mettre sur un pied d’égalité avec de grandes puissances comme la Chine ou la Russie, qui construisent des infrastructures en Afrique en échange de l’accès aux minerais. Cet argument est-il valide d’une manière ou d’une autre, ou parlons-nous vraiment des consommateurs ?

Ou l’objectif d’un KP2 est-il d’être un instrument de réforme sociale et de développement ? Et dans ce cas, ne devrions-nous pas y travailler main dans la main ? Après tout, comme nous devrions tous le savoir, le KP s’est construit en Afrique, avec le soutien des Africains. Et c’est justement grâce à l’implication des Africains que ce fut un tel succès. Dans l’ensemble, le KP a régulé la production de brut. Pouvons-nous en dire autant de la production de n’importe quel autre minerai ? Y a-t-il un autre minerai bénéficiant d’un système de certification légalement exécutoire pour réguler sa production, en violation totale des principes de l’OMC, mais exécutoire parce que telle est la volonté de ses fondateurs africains ?

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« Pouvons-nous vraiment mener un débat décisif si les pays producteurs de diamants ne sont pas impliqués ? « 

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Bien sûr, le KP n’est pas parfait. Mais lorsque nous avons rencontré le représentant de l’OCDE à Bruxelles l’an passé, il a admis que le KP était unique en cela qu’ils préféraient travailler sur la base du volontariat que d’imposer une législation qui prendrait des années à être mise en place. L’approche de l’OCDE est plus une question d’implication et d’encouragement actif que de réelle application. J’ai parfois l’impression toute personnelle que c’est comme un catéchisme, un code semi-religieux dictant ce qui est bien et mal, quelque chose de plus fort que notre KP avec ses règles et procédures à appliquer. Un système plus axé sur l’éducation, qui admet les pécheurs et les péchés, tandis qu’avec le KP, tout manquement est un délit dont la punition mène à la confiscation des biens.

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Du point de vue du WDC, alors que le KP essaie de se réinventer, n’est-il pas grand temps aussi, Monsieur le Président, qu’au bout de 12 ans, nous nous professionnalisions ? Si nous avons un KP2, alors n’est-il pas également temps de mettre en place un WDC2 ? Étudions les rapports de 2012 de l’OCDE sur les diamants du conflit. J’en ai quelques exemplaires. Vous verrez que leurs sources sont toutes des ONG. Pas une seule étude du WDC n’est citée. À une époque, la DTC prenait à cœur la défense des enjeux des diamantaires, mais nous savons que ce temps est révolu. La DTC n’a plus le monopole, et rien n’est venu la remplacer.

Quand les ONG ont publié 50 études depuis la mise en place du KP, nous n’en avons pas mené une seule. N’est-il donc pas normal que les études de l’OCDE ne reflètent que le point de vue des ONG sur ces questions ? Elles semblent avoir des fonds pour payer des chercheurs qui mèneront des recherches, tandis que nous restons à discuter entre nous. La compétition entre les différents acteurs de notre secteur est-elle tellement forte que nous ne puissions pas unir nos forces vers un objectif commun, celui de nous défendre contre des attaques injustes ?

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 » N’est-il donc pas normal que les études de l’OCDE ne reflètent que le point de vue des ONG sur ces questions ? Elles semblent avoir des fonds pour payer des chercheurs qui mèneront des recherches, tandis que nous restons à discuter entre nous. »

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Ce qui m’amène à mon dernier point. Je suis désolé de prendre autant de temps. Après l’inauguration de la Zimbabwe Diamond Conference aux chutes Victoria l’an passé, vous avez, Monsieur le Président, fait une importante déclaration que nous sommes nombreux à avoir soutenue, y compris le DMCC. Vous avez affirmé que le conseil du WDC essaierait de lever les sanctions sur les diamants du Zimbabwe. Nous avons tous vu Gillian Milovanovic, la présidente du KP, applaudir cette annonce. Elle a été enregistrée, et nous pouvons tous la voir sur YouTube.

La rumeur court néanmoins que vous n’avez pas obtenu le soutien de vos électeurs au conseil. On murmure que les mêmes détaillants occidentaux sont opposés à votre proposition. Nous nous rappelons bien, nous, que vous avez pris cette initiative courageuse, applaudie par toute la salle, parce que votre visite vous avait permis de réaliser que l’une des raisons pour lesquelles le Zimbabwe a tant de mal à respecter les normes minimales du KP, ce sont justement ces sanctions. C’est à cause de ces sanctions que les diamants ne peuvent pas être convenablement financés, transportés, assurés, et que les mineurs sont contraints à les vendre à un prix inférieur à celui du marché. Vous avez vu cela, Monsieur le Président, et vous vous êtes engagé…

Une initiative que votre conseil, dont nous ne faisons pas partie, du moins pas encore, n’a pas soutenue… Difficile de comprendre, Monsieur le Président, si vous avez également à cœur les intérêts des producteurs africains qui ont vigoureusement défendu cette position.

En bref, et pour conclure, Monsieur le Président, il est temps que le WDC se regarde dans un miroir. Le WDC est-il un seul organe qui défend les intérêts de l’industrie dans le monde entier, ou cela nécessite-t-il plus d’un organe ? J’espère que vous avez posé cette question existentielle à votre conseil hier, et nous avons tous hâte d’en savoir davantage.

Merci.

Pour lus d’information, visitez le site du Dubai Diamond Exchange website