Diamants du Zimbabwe : quand la fiction devient réalité

Mathew Nyaungwa

Un article récent s’est révélé très intéressant : il cite le ministre des Mines du Zimbabwe, Obert Mpofu, qui aurait déclaré que son pays d’Afrique australe était destiné à « dominer » le marché mondial du diamant.[:]

Son affirmation s’appuyait sur les dernières données du Kimberley Process (KP), qui présentaient le Zimbabwe comme le cinquième plus gros producteur de diamants au monde après la Russie, le Botswana, la République démocratique du Congo et le Canada.

Le pays a produit 8,5 millions de carats en 2011, contre 8,4 millions de carats enregistrés en 2010.
« Nous avons récemment reçu la certification du KP (pour exporter des diamants), mais nous avons déjà étonné le marché mondial à la fois en termes de production et de demande », a indiqué M. Mpofu, cité par The Herald.
« Nos bijoux sont une force avec laquelle il faut compter. Si, ces dernières années, nous n’avions pas été freinés dans la vente de nos diamants par l’Occident, nous pourrions être l’un des premiers pays au monde en termes de production. » Il est vrai que la demande a été forte pour les diamants de Marange, en particulier aux Émirats arabes unis, mais cela ne signifie pas que les pierres du Zimbabwe sont amenées à « dominer » le monde.

À en juger par les chiffres publiés par le KP, il est raisonnable de conclure que les diamants de Marange ont été jugés de piètre qualité. Harare a exporté 7,7 millions de carats en 2011, d’une valeur de 422,9 millions de dollars, pour un prix moyen de 54,31 dollars/ct.
Il s’agit d’un chiffre scandaleusement faible si on le compare à ceux de la Namibie, qui a vendu 1,4 million de carats à un prix moyen de 572,93 dollars/ct, obtenant ainsi 800 millions de dollars durant la même période.
L’Afrique du Sud a également exporté pour 6,6 millions de carats (à un prix moyen de 205,94 dollars/ct), pour une valeur de 1,3 milliard de dollars. La Namibie et l’Afrique du Sud ont obtenu des prix supérieurs par carat grâce au niveau supérieur de leurs pierres.
Nous ne voulons même pas comparer les diamants du Zimbabwe à ceux du Botswana, car cela reviendrait à comparer une cuillère à café à une pelle.

En fait, la comparaison est trop tentante pour que nous l’ignorions. Les diamants du Botswana ont enregistré un prix moyen de 217,77 dollars/ct en 2011, devant la Russie avec 117,82 dollars/ct. D’ailleurs, la Russie est le premier producteur mondial de diamants en volume.
Les Zimbabwéens ne peuvent pas se permettre de crier victoire pour la simple raison que leur pays a été classé cinquième producteur mondial de diamants en volume. Ce qui importe au final, c’est la valeur des pierres obtenues.

Même s’il n’est peut-être pas le mieux placé pour commenter impartialement le sujet du Zimbabwe, Philippe Mellier, PDG de la De Beers, a déclaré en février dernier que les grandes quantités de brut provenant des mines de Marange auraient peu d’impact sur la demande pour les pierres de la De Beers ou sur ses prix. « Il y aura de la concurrence de la part du Zimbabwe mais je ne pense pas que ces diamants auront un impact significatif sur le marché », a-t-il déclaré à Rapaport. « Nous savons que les pierres de ce pays sont de qualité inférieure et notamment par rapport à celles de la De Beers ; je pense que nous restons donc tout à fait compétitifs. »

Sino-Zimbabwe Diamonds, une co-entreprise entre la Zimbabwe Development Corporation et des investisseurs chinois, a cessé ses activités à Marange, déclarant que leur concession ne contenait pas suffisamment de diamants et qu’ils étaient d’une qualité insuffisante pour une exploitation minière commerciale. « Nous avons fini de tester le potentiel du bloc (de la concession). Les diamants ne sont pas viables pour une extraction commerciale. La qualité des pierres de la région est médiocre. Nous ne nous attendions pas à ce que tous soient de qualité industrielle », a déclaré Grant Rau, à l’époque géologue en chef chez Sino-Zimbabwe Diamonds. Or, le président de ZMDC, Godwills Masimirembwa, a déclaré que la région avait un potentiel, comme toute autre concession de diamants à Marange. « Sino-Zimbabwe et nous-mêmes devons collaborer et approfondir l’exploration. La zone disponible est immense. Elle contient des diamants et l’exploration a encore été très limitée. De par sa nature même, cette ressource nécessite de l’exploration et il faut y consacrer de l’argent », a-t-il expliqué.

Le jeu du reproche

Au lieu d’accepter la réalité, à savoir que la majorité des diamants de Marange sont de piètre qualité, le ministre Obert Mpofu a déclaré que le Zimbabwe ne pouvait pas optimiser les avantages de ses pierres en raison des sanctions imposées par l’Occident.
Les États-Unis et leurs alliés ont imposé des sanctions aux sociétés extrayant des diamants de Marange en partenariat avec ZMDC, les accusant de « brandir la machine répressive » du parti politique du président Robert Mugabe. « En étudiant le prix de nos diamants cités dans le rapport du KP, on constate aisément que nous vendons des diamants à bas prix en raison des sanctions qui ont été imposées à nos sociétés diamantaires », a-t-il expliqué. « En dépit de la certification du KP, il est devenu difficile pour nos sociétés productrices à [Marange] de vendre leurs pierres. »

Sérieusement, en quoi les sanctions affectent-elles le prix des diamants du Zimbabwe ?

Par ailleurs, l’opinion publique imaginait que les sanctions appliquées aux diamants de Marange étaient contournées, comme l’a confirmé le ministre M. Mpofu dans une interview exclusive accordée à Cable News Network (CNN) en mars dernier. Il a ainsi déclaré que, malgré les efforts de l’Occident pour paralyser l’économie via l’imposition de sanctions aux entreprises d’extraction de diamants, le Zimbabwe mettrait l’accent sur le commerce avec les pays amis, sur une base gagnant-gagnant. « Les entreprises minières du pays sont sur la liste noire. Marange Resources, Mbada et ZMDC sont toutes soumises à des sanctions, » a déclaré Obert Mpofu. « Nous traiterons avec les pays amis mais, si nous commençons à divulguer les destinataires de nos ventes et les prix pratiqués, que pensez-vous qu’il arrivera à nos sociétés ? Ils (l’Occident) vont geler leur argent ; à l’heure où je parle, les fonds de ZMDC sont bloqués par les États-Unis. »

Vantardise

La réalité est parfois têtue et ce constat doit être très amer : nous nous souvenons très bien de ce que M. Mpofu a déclaré l’an dernier, alors que le KP avait levé une interdiction sur les exportations de diamants de Marange. Il a expliqué à l’époque que le Zimbabwe n’aurait plus besoin de mendier l’aide des bailleurs de fonds puisqu’il prévoyait un coup de pouce de 2 milliards de dollars à son budget annuel grâce aux pierres.
Cette déclaration a en quelque sorte donné de faux espoir à beaucoup (y compris au ministre des Finances Tendai Biti) qui avaient désespérément besoin d’entendre cela, compte tenu de l’horreur économique que le pays traversait depuis plus d’une décennie.
Or, étant donné que le Zimbabwe a mis ses diamants aux enchères, l’état des pierres de Marange a pu être constaté au grand jour et le pays n’est pas parvenu à réunir les milliards somptueusement annoncés.

Pour certains, la médiocrité de la situation témoigne de l’usage des revenus issus des diamants pour financer des activités gouvernementales parallèles. Quoi qu’il en soit, on peut dire de façon quasi-certaine que les diamants de Marange se sont vendus pour une bouchée de pain en raison de leur piètre qualité, et non à cause des sanctions.
Le même argument peut être avancé au vu des résultats des diamants de la RDC l’année dernière. Ce pays d’Afrique centrale a été le troisième producteur de diamants au monde en volume, avec une production de 19,2 millions de carats en 2011, et a réussi à exporter 18,8 millions de carats (à un prix moyen de 17,77 dollars/ct) pour une valeur de 334 millions de dollars. Même si elle a largement devancé le Zimbabwe en termes de volume de pierres produites et exportées, la RDC affiche des revenus moindres, confirmant ainsi l’argument selon lequel, avec les diamants, tout est affaire de qualité, et pas nécessairement de quantité.

Et aucune propagande ne changera cet état de fait.

Source Rough & Polished