L’Inde a sa place

Avi Krawitz

Le salon annuel international de la joaillerie en Inde (IIJS) a, de façon assez surprenante, donné le ton à l’évolution du marché mondial du diamant ces deux dernières années, allant à l’encontre des attentes.[:]

En 2010, après un été calme, les fournisseurs ont maintenu des prix fermes ce qui, en plus d’un bon festival de Diwali, a déclenché une frénésie d’échanges et de prix qui a perduré jusqu’à l’IIJS suivant. Peut-être est-ce également dû au calendrier. La période de juillet-août est généralement difficile pour le commerce, les négociants aux États-Unis, en Belgique et en Israël prennent des vacances, d’où une illusion de calme sur le marché, réel ou non.

Or, le marché a atteint un sommet en juillet 2011 et l’industrie indienne a commencé à montrer les premiers signes de fêlure lors de l’IIJS. Les liquidités se sont faites rares et la tourmente économique mondiale a ébranlé la confiance. Le salon de Mumbai de l’année dernière n’a pas répondu aux attentes et, du fait de l’incertitude financière, les acheteurs ont exigé une baisse des prix. Le cours des diamants connaît une baisse régulière depuis cette époque.

La tendance à la baisse s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui et le sentiment de morosité qui plane sur le marché indien ne relève pas les attentes pour le salon. En réalité, bon nombre d’observateurs s’attendent à ce que le ralentissement des échanges nuise à l’événement et se poursuive jusqu’au salon de septembre à Hong Kong, le prochain indicateur du marché et un baromètre important de la demande en Extrême-Orient.

Premier centre de taille et d’échange de taillé, l’Inde exerce une influence considérable sur le reste du marché. Ainsi, même si les négociants du monde entier subissent des pressions et des incertitudes économiques, ils gardent un œil vigilant sur Mumbai dans l’attente du quatrième trimestre.

Ils craignent de devoir suivre le mouvement dans l’éventualité où les fournisseurs de taillé baisseraient leurs prix à l’IIJS. Ils comptent également mesurer l’ampleur de l’activité des acheteurs indiens sur le marché.

À raison, les espoirs ne sont pas démesurés. L’année a été particulièrement difficile pour l’industrie indienne. Bien qu’une baisse de la demande étrangère ait lésé les exportateurs, la demande intérieure, qui a agi comme planche de salut pour le commerce local des diamants au cours des crises précédentes, a connu une véritable dégringolade.

La croissance économique a ralenti et la roupie s’est considérablement dépréciée face au dollar américain, perdant environ 25 % de sa valeur l’année dernière. Une forte inflation s’en est suivie et le coût de la vie a augmenté. En outre, des précipitations inférieures à la moyenne au cours de la saison de la mousson (qui durera pendant encore environ un mois) ont aggravé les problèmes économiques, affectant le secteur de l’agriculture, si essentiel pour le pays, sans compter la pénurie des réserves d’eau pour sa vaste population.

Les consommateurs sont naturellement sur la réserve. Leur goût pour l’or, à la fois considéré pour un achat particulier et comme un investissement, est mis en silence, la faiblesse de la roupie ayant fait grimper les prix locaux à des niveaux record, supérieurs à 30 000 INR pour 10 grammes. Au deuxième trimestre 2012, la demande totale d’or en Inde a diminué de 34 % en glissement annuel, à 9,38 milliards de dollars ; selon le World Gold Council (WGC), la demande de bijoux en or est en baisse de 26 % à 6,46 milliards de dollars.

Les mesures gouvernementales visant à renforcer la roupie et réduire son déficit croissant de la balance courante n’ont pas aidé le commerce des diamants et des bijoux (voir l’éditorial Insécurités sur la roupie). Un droit à l’importation de 2 % sur le taillé a servi à freiner les allers-retours, la pratique de ré-importation qui permet d’obtenir un financement bancaire supplémentaire en avançant de nouvelles opérations d’exportation ; le système a toutefois aussi amenuisé l’avantage concurrentiel de l’Inde. L’impôt dissuade les entreprises étrangères d’exercer à Mumbai et le nombre d’acheteurs indiens à se rendre à l’étranger pour se procurer des articles a diminué.

Résultat, bien que le gouvernement indien soit connu pour avoir soutenu l’industrie du diamant après la crise de 2008, le système est contraignant dans un marché actuellement difficile. Le secteur traditionnellement indo-centré de Mumbai s’est encore plus isolé.

Dans les semaines qui ont précédé l’IIJS, qui a débuté jeudi (le 23 août), les négociants ont donc été prudents. Les rumeurs vont bon train sur les entreprises en difficultés financières et les petites structures ferment leurs portes. Les fabricants sont contraints par des prix élevés du brut et les liquidités sont limitées ; les opérations de fabrication restent inférieures aux capacités, qui ont encore diminué ces deux derniers mois. Pourtant, les stocks de taillé seraient importants, les acheteurs étant réticents de crainte que le marché n’ait pas encore touché le fond.

C’est ce que les négociants espèrent découvrir à Mumbai la semaine prochaine, puis à Hong Kong le mois prochain. Existe-t-il une demande refoulée des Indiens, qui attend le festival Diwali de novembre et la saison des mariages du quatrième trimestre pour éclore ? Viendra-t-elle stimuler la confiance chez les acheteurs d’Extrême-Orient ? Ou la demande restera-t-elle incertaine, entraînant un nouveau fléchissement des prix ?

L’évolution repose en grande partie sur la roupie, qui a montré des signes encourageants de stabilité ces dernières semaines. Une devise soutenue contribuera à rétablir la confiance chez les consommateurs et sur le marché et devrait faire naître une saison de Diwali meilleure que prévue. Du brut plus abordable augmentera également la rentabilité et assurera des liquidités plus présentes.

Or, pour l’instant, la tendance est plutôt à la baisse et les fournisseurs ne prévoient pas beaucoup d’effervescence lors du salon. Au contraire, les prochains jours devraient traduire la situation difficile de l’Inde et l’attitude prudente qui transparaît sur l’industrie mondiale ces derniers mois… sauf bien sûr si, une fois de plus, l’IIJS allait à l’encontre de la tendance, comme ces dernières années, et générait une évolution positive sur le marché. Le marché a vu des situations plus étranges encore et l’IIJS a tendance à surprendre. Mais peu de gens parient sur celui-ci. Les attentes sont faibles et si les problèmes de l’Inde persistent, il en sera de même pour le reste du marché.

Source Rapaport