Des restrictions sur le luxe en Chine

Avi Krawitz

La Chine a alarmé l’industrie en décidant de limiter la publicité pour les produits de luxe. Le pays constitue la principale opportunité de croissance du secteur. Ces restrictions posent donc problème, même si l’intention était louable.

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Début février, juste avant le festival majeur du Nouvel An chinois, les autorités ont interdit la promotion des produits de luxe offerts aux fonctionnaires sur les chaînes de radio et de TV officielles du pays. Sont notamment concernés les montres, les alcools et les pièces d’or de valeur. ‎

Les autorités adressent ainsi un message inquiétant au marché. Quelles suites donneront-elles à ces décisions ? Les dépenses de luxe des nouveaux dirigeants seront-elles de nouveau sanctionnées ? ‎

Ces mesures entendent mettre fin à une corruption, qui prend les traits de cadeaux offerts aux fonctionnaires. Selon certains, leur but serait d’atténuer la frustration sociale croissante face à l’écart de richesses national. ‎

La Chine a déjà tenté de minimiser l’importance du secteur du luxe en limitant les publicités présentant des modes de vie somptuaires. Le pays a clairement conscience de ses lacunes sociales. Les données officielles montrent d’ailleurs que le coefficient de Gini (la principale mesure de disparité des revenus) a été fixé à 0,48 en 2010. Une enquête récente de l’Université de Finance et d’Économie du Sud-Ouest, à Chengdu, a corrigé ce chiffre à 0,61, un niveau alarmant (plus le chiffre est élevé, plus la disparité est grande). ‎

La corruption est tout aussi réelle que les écarts de revenus. Tous deux peuvent présenter un défi de taille à la nouvelle direction du pays. Il faut donc encourager la lutte contre la corruption et les tentatives pour réduire les inégalités sociales.

Peut-être faudrait-il tenter de relever les salaires inférieurs plutôt que d’étouffer les dépenses des hauts revenus. Ces problèmes ne seront pas résolus par des freins à la consommation, surtout dans le contexte économique actuel. L’avancée est encore plus difficile à comprendre à une période où la Chine entend passer d’une économie d’investissement et d’exportations à une économie de consommation.

Les investisseurs n’ont pas tardé à exprimé leurs inquiétudes : les cours des actions de Burberry, LVMH, Richemont et Chow Tai Fook ont tous chuté après l’annonce. Les consommateurs leur ont emboîté le pas. Le ministère chinois du Commerce a indiqué que le chiffre d’affaires des magasins et des restaurants a progressé de 14,7 % en glissement annuel pendant cette semaine d’Or. Il s’agit de la plus faible croissance depuis 2009. Fait encourageant, les ventes d’or, d’argent et de bijoux ont dépassé les autres catégories, en hausse de 38,1 % par rapport à la même période l’année dernière. Selon le ministère, les chiffres ont été stimulés par le chevauchement avec la Saint-Valentin. ‎

Malgré ces données, la Chine est restée aussi prudente au cours du festival 2013 qu’en 2012. Cela se comprend, étant donné la position actuelle du pays. Beaucoup considèrent qu’il vit une transition. Les dirigeants sont remplacés, chose qui se produit une fois tous les dix ans, et le développement économique n’est pas régulier. La croissance économique à deux chiffres de la dernière décennie ne pouvait pas durer. Le marché mûrit et le pays se développe. ‎

Or, le gouvernement le reconnaît, de nouveaux relais de croissance apparaissent, notamment au niveau des dépenses des ménages. La consommation d’une classe moyenne en plein essor viendra inévitablement renforcer l’économie. Les autorités doivent s’y préparer et encourager ces dépenses.  ‎

Il suffirait évidemment d’abaisser les droits de douane et la fiscalité sur les produits de luxe. Les consommateurs seraient ainsi incités à acheter sur place. Certains estiment que les prix de certains articles sont grevés de 30 % à 50 %. Pas étonnant que bon nombre de ressortissants chinois choisissent d’acheter à l’étranger. Les consommateurs devraient se faire entendre. À l’issue de cette semaine d’Or, les médias ont relancé le débat sur l’importance des droits dans le pays. Ils regrettent que les Chinois dépensent tellement pour se rendre à Hong Kong, Paris ou New York pour acheter du Louis Vuitton ou du Prada moins cher qu’à Shanghai. 

Le virus du voyage va désormais bien au-delà des simples séjours de vacances pour les Chinois. Beaucoup d’entre eux planifient leurs séjours en laissant une bonne place au shopping. D’après des chercheurs de Bain & Company, les Chinois auraient acheté près de 25 % des produits de luxe dans le monde en 2012. Sur ce total, environ 60 % l’ont été à l’étranger. Selon l’article, ces consommateurs font désormais la moitié de leurs achats de luxe en Asie, et près d’un tiers en Europe. ‎

Les Chinois ne cachent pas leur penchant pour les produits de luxe et n’ont aucune raison de le faire. Le pays aurait intérêt, pour son économie, à encourager le retour de certaines de ces dépenses sur son continent. Cela réduirait forcément l’écart des revenus.

De même, la corruption doit être sapée à la base. Pourquoi ne pas sévir sur les fonctionnaires qui acceptent ce genre de « cadeaux » plutôt que de restreindre la publicité de manière superficielle ? Bain fait aussi remarquer que les marques de luxe doivent se recentrer sur les goûts précis des consommateurs. Moins de 25 % des dépenses de luxe sont désormais réservées à des cadeaux, personnels ou professionnels. Au final, le marché finira bien par s’aligner.

Ces tendances sont particulièrement sensibles pour l’industrie du diamant. Le secteur a fortement misé sur la croissance de la consommation chinoise. Les récentes avancées en matière de campagne publicitaire générique ciblaient la Chine comme objectif initial. Il n’y a bien sûr pas d’autre choix. Ce pays affiche le plus gros potentiel de croissance à long terme pour l’industrie.

Mais pour beaucoup, la Chine paraît distante, difficile à pénétrer. Pour y réussir, il faut soigneusement cultiver ses partenariats avec les acteurs locaux. Plus les restrictions s’accentuent, plus le pays se ferme. ‎

La dernière série de limitations à la publicité s’est révélée marginale en pratique. Elle envoie pourtant un message négatif à l’industrie et à tout le marché du luxe. Quelle que soit l’envie du secteur d’intégrer la Chine, la tâche risque d’être rude si le pays n’est pas prêt à s’ouvrir pleinement au commerce. Espérons que ces dernières restrictions publicitaires tentaient de juguler ponctuellement la corruption et qu’elles ne masquent pas un effort global pour limiter les dépenses de luxe.

Source Rapaport