Des diamants déconnectés

Avi Krawitz

Un décalage demeure entre les prix du brut et ceux du taillé. Les espoirs de hausse des prix du taillé, sur fond de récentes hausses du brut, demeurent donc une illusion. [:] Les fournisseurs de taillé ne doivent pas espérer augmenter leurs prix en suivant le brut. Ceux qui se rendront au salon de Las Vegas la semaine prochaine avec des attentes irréalistes risquent d’être déçus.

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Dans le meilleur des cas, le marché du taillé reste stable. Les acheteurs ne ressentent aucune urgence à faire des affaires. La demande est sélective et les prix n’ont pratiquement pas évolué tout au long de l’année dans la plupart des catégories. La demande pour les 0,30 à 0,40 carat a toutefois résisté, avec de fortes progressions de prix. Dans l’ensemble, l’activité à Las Vegas devrait se révéler correcte, sans toutefois être extraordinaire.

Les fournisseurs de taillé se sont donc montrés perplexes lorsque la De Beers a augmenté ses prix d’environ 4 % en moyenne lors de son sight de mai. Cette hausse suit une progression de 3 % rapportée en avril. Depuis le sight de mai, les marchés du brut ont subi des pressions et les échanges ont considérablement ralenti. Si la tendance se poursuit, les sightholders commenceront à refuser des marchandises… à moins que ce ne soit déjà fait.

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« Les fournisseurs de taillé se sont donc montrés perplexes lorsque la De Beers a augmenté ses prix d’environ 4 % en moyenne lors de son sight de mai. Cette hausse suit une progression de 3 % rapportée en avril. »

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La De Beers a évoqué une augmentation plus modeste, de 1 % à 2 % en moyenne. La société a également ajusté ses assortiments, donnant l’impression de boîtes plus chères. Les mélanges étaient constitués d’un double apport de marchandises, en provenance de la mine Victor au Canada. Ce brut affiche une meilleure couleur et une meilleure qualité que dans les autres mines de la De Beers.

Cela s’est traduit pour les sightholders par une hausse des tarifs. Ils ont également soutenu que la mine Victor ne produisait pas suffisamment en volume pour influer sur la valeur globale des boîtes. Ils n’ont, en tout cas, pas été impressionnés par le sight ; le sentiment négatif qui émanait de Londres s’est propagé à Anvers, Mumbai et Ramat Gan. Il a même poussé jusqu’à Moscou, où ALROSA aurait appliqué des hausses similaires, selon des sources de Rapaport.

[two_third]Les échanges sur le marché secondaire se sont ensuite considérablement réduits. Les boîtes de la De Beers se vendent actuellement à peu près au niveau du tarif. Dès lors, une fois qu’ils ont déduit les frais de courtage et autres coûts liés au sight, les sightholders estiment travailler à perte. Les catégories plus faibles se vendent avec des rabais allant jusqu’à 5 %. Certains sightholders conservent les marchandises pour eux et envisagent de tailler du brut, qui serait autrement destiné à être vendu. Là encore, il est difficile de rentabiliser la fabrication lorsque les prix du brut augmentent, contrairement à ceux du taillé.[/two_third]

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« Les sightholders estiment travailler à perte, il est difficile de rentabiliser la fabrication lorsque les prix du brut augmentent, contrairement à ceux du taillé. »

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Les sightholders commencent tout juste à gagner un peu d’argent sur les marchandises de la De Beers. Pendant environ deux mois avant le sight de mai, les boîtes se négociaient avec des premiums d’environ 5 %. Ceux-ci se sont désormais amenuisés, tout comme la confiance qu’ils inspiraient. En outre, même si les fabricants ont profité de marges bénéficiaires légèrement supérieures au premier trimestre 2013, ils ont dû adopter des positions de repli.

Le calendrier n’aurait pas pu être pire.

Le deuxième trimestre est généralement calme pour le taillé. Les usines indiennes sont soit fermées, soit tournent au ralenti pour les vacances estivales de mai. Quant aux marchés des États-Unis et d’Extrême-Orient, ils sont stables, mais sans grand événement au calendrier.

Il semblerait que la demande s’améliorera d’ici juillet-août, lorsque le brut d’aujourd’hui arrivera taillé sur le marché. L’hypothèse est risquée, car les marchés pourraient rester sous pression. Tous les yeux seront donc rivés sur les sightholders lors des futurs sights. Reste à voir s’ils sont prêts à soutenir les prix actuels du brut.

Des rumeurs ont déjà soutenu qu’un ou deux sightholders avaient refusé des marchandises de grande valeur en mai. Lynette Gould, la porte-parole de la De Beers, a refusé de se prononcer sur d’éventuels refus lors des sights. Elle a cependant expliqué que les sightholders sont en droit de refuser des boîtes, et jusqu’à 10 % sur chaque boîte. Ces soi-disant « rachats » sont souvent proposés à d’autres sightholders du même type de marchandises, lors d’enchères ou hors programme, a-t-elle ajouté. Notons qu’il n’y a pas eu de marchandises hors programme au sight de mai.

La De Beers fera ce qu’il faut pour éviter tout refus dans les sights à venir. Elle peut en effet difficilement se permettre des refus massifs de marchandises. Elle serait alors contrainte de corriger ses prix, comme au troisième trimestre de l’année dernière.

La société minière subit déjà des pressions et constate une baisse de ses ventes en 2013. L’ITO (intention de vendre) de brut des sightholders, pour le cycle annuel allant d’avril 2013 à mars 2014, est d’environ 20 % inférieur à celui de l’an dernier. Selon les estimations de Rapaport, les ventes cumulées au cours des quatre premiers sights de l’année ont reculé de 5 % en glissement annuel, à 2,35 milliards de dollars.

La De Beers, dans sa première année sous le contrôle de ses nouveaux propriétaires majoritaires, Anglo American, va devoir maintenir ses niveaux de prix pour soutenir les ventes. Afin d’éviter tout refus, la société prévoit de conserver des prix stables à court terme et des sights relativement réduits dans les mois à venir. ALROSA présente l’avantage de pouvoir vendre au Trésor, Gokhran, lorsqu’elle est dans l’incapacité d’obtenir le prix de marché souhaité. Igor Sobolev, le premier vice-président d’ALROSA, et responsable de l’exploitation minière, a confirmé, lors d’une rencontre avec la presse professionnelle cette semaine, que sa société n’avait pas exercé cette option cette année, au contraire de 2012, et qu’elle ne prévoyait pas de le faire.

Au final, tout dépendra du marché du taillé. Les sociétés minières semblent convaincues que le marché se reprendra dans les prochains mois, d’où leurs hausses des prix du brut. Mais ces hypothèses ne sont pas confirmées. La confiance des consommateurs et la demande de bijoux au détail devraient certes s’améliorer au second semestre, mais les négociants de taillé restent prudents et les fabricants sous pression. Désavantagés par la longueur d’avance des prix du brut sur ceux du taillé, ils voient leurs marges se réduire et les liquidités disparaître des centres de taille.

Les miniers doivent comprendre que, tant que cette pression persiste, les prix du brut ne peuvent pas rester si élevés. Le déséquilibre entre le brut et le taillé ne pourra guère aller plus loin.

Source Rapaport