Crise ukrainienne : quelles implications pour le centre diamantaire d’Anvers et l’industrie mondiale

Dali Diamond

Il n’est pas rare que des événements géopolitiques internationaux aient un impact sur l’industrie. [:]

[one_half]Celle-ci est tributaire de la stabilité économique, de la nécessité des pays producteurs à générer des revenus sur leurs richesses minérales, de l’intérêt des pays à se procurer des revenus avec les salaires et la fiscalité de la fabrication et, bien entendu, du souhait des personnes de se parer de bijoux en diamants. La chaîne de valeur annuelle de l’industrie, entre extraction et vente au détail, approche les 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale.

Ce chiffre n’est pas excessif si l’on considère l’économie mondiale dans son ensemble. Or, pour certains pays, comme la Belgique, il s’agit d’un facteur économique important.

En février 2014, suite à un soulèvement civil en Ukraine, son président Viktor Ianoukovitch a dû fuir et un nouveau gouvernement a été désigné. En retour, dès le 26 février, des forces militaires pro-russes commençaient à prendre le contrôle de la péninsule de Crimée. En un mois, ces forces, soutenues par la Russie, se sont emparées de toutes les bases militaires de la péninsule. Simultanément, un référendum était adopté en vue de faire sécession d’avec l’Ukraine et de rallier la Fédération de Russie. Pourtant, les États-Unis, l’Union européenne et d’autres, dans des condamnations orales, ont évoqué une violation de la souveraineté de l’Ukraine.

Aux États-Unis, le président Barack Obama a signé trois décrets. Dans le premier, le décret 13660, signé le 6 mars 2014 et intitulé « Gel des biens de certaines personnes contribuant à la situation en Ukraine », le président Obama déclare :

« [Que] les actions et les politiques de personnes – y compris de celles qui ont revendiqué une autorité gouvernementale dans la région de Crimée sans l’autorisation du gouvernement ukrainien –, qui nuisent au processus et aux institutions démocratiques en Ukraine, menacent sa paix, sa sécurité, sa stabilité, sa souveraineté et son intégrité territoriale et contribuent à l’appropriation illicite de ses actifs, représentent une menace extraordinaire et inhabituelle pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis. »

Ce faisant, il a déclaré une situation d’urgence nationale face à cette menace et ordonné le gel des biens détenus, gérés ou contrôlés par certains Russes.

Dans son troisième décret, n° 13662, en date du 20 mars 2014, intitulé « Gel des biens de personnes supplémentaires contribuant à la situation en Ukraine », le président Obama a élargi la portée des sanctions afin d’y inclure « les services financiers, les métaux et l’exploitation minière, l’ingénierie, la défense et les matériels associés ».

Historiquement, les sanctions économiques ont toujours servi à atteindre des objectifs, généralement politiques. Et, en règle générale, le secteur économique n’y est pas favorable. De toute évidence, cela fait partie du jeu – un secteur économique fait pression sur le gouvernement pour qu’il plie ou fasse des compromis, en vue d’éviter les retombées financières. Parfois, les deux côtés du conflit sont concernés ; les secteurs économiques du pays qui applique les sanctions veulent également éviter les répercussions sur leur activité.

[two_third]La mention du secteur minier dans la liste des sanctions a immédiatement fait craindre des actions à l’encontre du minier russe ALROSA. La société appartient notamment au gouvernement russe (43,9 %) et à la république de Sakha, qui fait partie de la Fédération de Russie (25 %). Le risque est donc accru qu’ALROSA figure sur la liste des sociétés gelées. Or, depuis un premier appel public à l’épargne en octobre 2013, les investisseurs, y compris le groupe américain de gestion d’actifs Lazard et les sociétés d’investissement Capital, Highbridge, OppenheimerFunds et PIMCO, détiennent 16 % de la société.

Les États-Unis et l’UE ayant pris l’initiative de la confrontation avec la Russie, la communauté diamantaire d’Anvers, en Belgique, craint encore davantage qu’ALROSA et les diamants russes soient frappés par une interdiction internationale.[/two_third][one_third_last]

« La mention du secteur minier dans la liste des sanctions a immédiatement fait craindre des actions à l’encontre du minier russe ALROSA. »

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Quelle est la menace ?

Les États-Unis ne sont pas les seuls à imposer des sanctions à la Russie en raison de la crise en Crimée. L’Union européenne va dans le même sens. Le 17 mars, l’UE a décidé de geler les actifs de 21 personnes qu’elle estime liées à l’annexion de la Crimée par la Russie, précisant, à l’article 2, « tous les fonds et les ressources économiques détenus, gérés ou contrôlés par des ressortissants, des personnes physiques ou morales ou des entités ou organismes associés à eux, tel qu’indiqué en annexe I, seront gelés. »

Le 21 mars, l’UE a élargi la liste à 33 personnes. Même si, actuellement, les sanctions ne visent que des personnes, les textes prévoient de les appliquer aussi à des entreprises. En outre, la seconde série de sanctions de l’UE pourrait être renforcée, afin d’élargir son champ d’application. Selon la chancelière allemande Angela Merkel, « nous sommes prêts à lancer une troisième phase, en cas d’escalade de la violence en Ukraine ; il s’agirait alors de sanctions économiques et nous avons demandé aujourd’hui à la Commission européenne de réaliser un travail préparatoire à d’éventuelles sanctions économiques. »

L’activité d’ALROSA

ALROSA est le plus grand minier de diamants au monde en volume et le deuxième en valeur. La société exploite des mines en Fédération de Russie, principalement en Yakoutie. Elle possède une participation dans la mine de Catoca en Angola et réalise un travail d’exploration dans plusieurs pays africains, ainsi que sur son territoire national. ALROSA taille également une partie de ses diamants, principalement dans le but de déterminer les prix qui se pratiquent sur le marché.

En 2013, la société a extrait 36,9 millions de carats et en a vendu 38 millions, dont 26,7 millions de carats de diamants de qualité, pour un prix moyen de 176 dollars/ct.

Le total des ventes de brut est estimé à 4,8 milliards de dollars en 2013. En comptant le taillé, le total des ventes est estimé à plus de 5 milliards de dollars en 2013 (ALROSA n’a pas encore publié ses résultats pour l’exercice 2013). Les ventes de brut uniquement représenteraient plus d’un tiers de l’offre mondiale en 2013. De l’avis général, ALROSA est un fournisseur de diamants important.

Le centre diamantaire d’Anvers

Anvers est l’un des rares centres diamantaires. Il accueille quelque 1 500 sociétés négociantes, pour un chiffre d’affaires annuel total estimé à plus de 50 milliards de dollars.

En 2013, Anvers a importé 13,12 milliards de dollars de brut, soit une hausse de 7,1 % par rapport à 2012, et a exporté 14,64 milliards de dollars de marchandises, en hausse de 5,3 % en glissement annuel. Ces chiffres sont impressionnants, mais quelque peu trompeurs. L’industrie souffre de diverses inefficacités. Le problème se pose principalement avec le taillé. Toutefois, le secteur du brut n’est pas totalement épargné. La plupart des diamants importés à Anvers sont réexportés, mais certains retournent à leur point de départ, ce qui gonfle les chiffres des importations.

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Le centre anversois est un maillon important de l’économie belge. Les importations de brut représentent 3,8 % des exportations totales du pays. Les diamants (taillés et bruts) constituent environ 8 % du commerce international de la Belgique. En outre, ils ont permis de créer plus de 5 000 emplois directs et bien davantage d’emplois indirects.

Le brut est un élément vital de l’industrie locale. Un approvisionnement continu est essentiel à la subsistance du centre.

Les répercussions possibles

[two_third]ALROSA fournit chaque année à Anvers plus de 2 milliards de dollars de diamants. Ce chiffre englobe les achats de brut par les sociétés belges à Moscou, les enchères et d’autres ventes de brut d’ALROSA à Anvers, via sa filiale ARCOS Belgium NV, ainsi que la vente de taillé.

Pour 2013, ces ventes sont estimées à 2,38 milliards de dollars, en hausse de 17,6 % environ par rapport à 2012. La contribution d’ALROSA représente 18,2 % du total des importations de brut à Anvers. Du fait de sa taille, l’apport d’ALROSA n’est pas seulement une part essentielle de l’industrie locale, il s’agit d’une composante cruciale et irremplaçable de l’économie.

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« ALROSA fournit chaque année à Anvers plus de 2 milliards de dollars de diamants. »

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Au vu des restrictions bancaires et financières imposées à Anvers, principalement basées sur la capacité de négociation des sociétés diamantaires, le retrait soudain d’une importante source d’approvisionnement aurait un effet dévastateur. Il mettrait à genoux le centre d’Anvers, très sensible aux fluctuations. La sanction affecterait non seulement la viabilité d’un grand nombre de sociétés locales, notamment les plus grandes, mais le contrecoup éliminerait des emplois et des revenus essentiels pour le pays.

Quelle est la réalité de la menace ?

Les États-Unis et l’Union européenne ne cherchent pas à rester sur la corde raide. Il semblerait d’ailleurs que le pire soit déjà derrière nous. Le président russe Vladimir Poutine a profité d’une opportunité pour reprendre le contrôle de la péninsule de Crimée et faire une démonstration de force sur la scène internationale. Il a atteint son but et ne semble pas intéressé par d’autres actions d’envergure. Il pourrait persister dans ses tentatives d’exercer une certaine influence sur l’Ukraine, mais sans faire appel la force brutale déployée par les militaires pour reprendre la Crimée.

Dans ses décrets, le président Obama a imposé un certain nombre de conditions à l’élargissement des sanctions. Dans le décret 13660, les sanctions sont limitées aux « personnes qui contribuent à la situation en Ukraine. » ALROSA n’est en aucune manière impliquée dans les violences et ne détient pas d’actifs connus en Crimée qui pourraient être considérés comme « contribuant à la situation ».

Les trois décrets exigent que des sanctions soient imposées aux personnes « retenues par le Secrétaire au Trésor, en consultation avec le Secrétaire d’État. » Toutefois, le Secrétaire au Trésor des États-Unis n’a désigné aucune entité minière après la signature du décret 13662. Or, le décret a été émis après l’annexion de la Crimée.

Du point de vue des États-Unis, les conditions qui amèneraient à l’application des mesures seraient un nouveau mouvement de troupes, essentiellement une invasion, de l’Ukraine. Selon un responsable de l’administration, qui s’est exprimé à la Maison Blanche après la signature du décret 13662, « si la Russie se déplaçait vers le sud et l’est de l’Ukraine, cela constituerait une escalade importante et entrerait dans le cadre du décret signé aujourd’hui par le Président. »

[two_third]La prise de participation dans ALROSA par des entreprises d’investissement américaines ne doit pas non plus être ignorée. Étant donné l’éventail possible des sanctions, les autorités américaines voudront probablement épargner une société détenue en partie par des Américains.

Même si les tensions restent fortes, un certain radoucissement a été constaté. Ces derniers jours, Vladimir Poutine a plusieurs fois montré des gestes de recul. Le président russe a appelé la chancelière Merkel pour lui affirmer qu’il rappelait ses troupes. Les armées massées le long de la frontière de la Russie avec l’Ukraine ont ainsi été réduites.

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« La prise de participation dans ALROSA par des entreprises d’investissement américaines ne doit pas non plus être ignorée. »

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Conclusion et perspectives

Les nouvelles sanctions proposées par les États-Unis sont ambitieuses. La Russie ne joue pas avec le feu. Ces derniers jours, elle semble même faire des efforts pour mettre fin à la crise. Elle a remporté une victoire politique qu’elle n’a aucune intention de se laisser reprendre.

En l’absence de nouveaux actes jugés agressifs par l’Occident, aucune nouvelle sanction économique ne devrait être appliquée.

La crise peut sembler terminée, mais des tensions demeurent et la situation peut se détériorer rapidement et de façon surprenante. Vu la fragilité du centre d’Anvers, il faut absolument qu’ALROSA évite toute sanction américaine ou européenne. Il conviendrait donc de faire pression sur les autorités de l’UE et d’expliquer l’intérêt de cette contribution pour l’économie belge. L’enjeu est d’importance et le coût de la perte d’un fournisseur aussi important va bien au-delà de l’industrie du diamant.

Des emplois seront perdus, des revenus fiscaux vont s’évanouir et des défaillances auront lieu. Les retombées économiques doivent être évitées.

En outre, même si le centre d’Anvers évite toute retombée, ALROSA peut chercher à détourner une partie de son approvisionnement vers d’autres destinations, comme Mumbai, en Inde. On sait déjà qu’ALROSA se prépare à une telle éventualité ; pour y faire obstacle, il faudra prouver la force et le dynamisme à toute épreuve d’Anvers !

Isi Morsel

Dali Diamond



Références :

Décret 13660 : Gel des biens de certaines personnes contribuant à la situation en Ukraine

Décret 13662 : Gel des biens de personnes supplémentaires contribuant à la situation en Ukraine

RÈGLEMENT DU CONSEIL (UE) n° 269/2014 du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives à l’égard des actions qui portent atteinte à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine ou les menacent

Mise en œuvre du règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives à l’égard des actions qui portent atteinte à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine ou les menacent

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