Bain & Company : la demande de brut devrait se reprendre et dépasser son niveau de 2006 dans les 10 prochaines années

Alex Shishlo

Bain & Company, un cabinet international, leader dans le conseil aux entreprises, qui propose des solutions sur les questions de stratégie et d’exploitation, collabore avec plus de 2 700 multinationales d’importance dans tous les secteurs économiques, y compris l’industrie minière du diamant. [:]Olya Linde, directrice des bureaux de la société à Moscou, a accordé une interview à Rough&Polished.

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Nous évoquons souvent la croissance attendue de la consommation de diamants en Chine et en Inde. Auriez-vous des chiffres récents permettant de comparer la consommation dans ces pays à celle des États-Unis ?

Selon IDEX, la consommation de diamants de qualité en Chine et en Inde a approché en 2010 les 2 milliards de dollars dans chacun de ces pays, contre 7 milliards de dollars environ aux États-Unis, soit 38 % du marché total. Quant aux tendances récentes de la croissance : entre 2000 et 2007, c’est-à-dire les années qui ont précédé la crise financière la plus récente, la Chine a connu une croissance annuelle de 17 %, tandis que l’Inde a progressé de 13 %. Les États-Unis ont affiché une croissance d’environ 5 % de leur consommation annuelle de diamants.

Pendant la crise, entre 2007 et 2009, tandis que la consommation de diamants chutait dans le reste du monde, la Chine affichait une croissance annuelle de 12 %. La tendance s’est accélérée jusqu’en 2010, atteignant alors plus de 50 %.

Les résultats ont été un peu plus modérés pour l’Inde (même si le point de départ, avant la crise, était à un niveau supérieur), ralentissant pendant la crise, pour se reprendre convenablement en 2010. En comparaison, la consommation de diamants aux États-Unis a ralenti de 16 % par an entre 2007 et 2009 et s’est reprise à environ 8 % en 2010.

De nombreux acteurs de ce marché misent sur la Chine et l’Inde, oubliant parfois que la consommation de diamants se maintient sur les marchés matures grâce à une tradition très ancienne, difficile à installer dans ces pays émergents en un laps de temps réduit. Pensez-vous que cela soit vraiment possible ? 

Il est vrai que la part des bijoux en diamants par rapport au total des bijoux vendus en Inde et en Chine, fixée respectivement à 32 % et 29 %, est inférieure à celle des États-Unis et du Japon (52 % et 51 %). Or, récemment, la demande de diamants a été stimulée grâce à un marketing créatif et à des initiatives ciblées. Ainsi, la part des bagues de fiançailles en diamants (par rapport à l’ensemble des bagues de fiançailles) au Japon représentait à peine 6 % en 1966, avant que l’industrie ne décide de concentrer ses efforts sur ce marché. En 10 petites années seulement, ce chiffre passait à près de 60 %. En 1990, il atteignait presque 80 %.

Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que l’effort marketing engagé en Chine en particulier est à l’initiative non seulement des acteurs traditionnels, mais aussi des grands fabricants et détaillants de bijoux. Les couples chinois s’approprient rapidement les traditions occidentales modernes en matière de mariage, dont les robes de dentelle blanche et les smokings pour le grand jour, mais aussi les bijoux en diamants pour les cadeaux. D’après certaines estimations, 30 % des fiancées chinoises achètent une bague de fiançailles en diamants. La consommation de diamants en Chine et en Inde devrait augmenter, entraînée par l’urbanisation et la croissance de la classe moyenne.

Certains analystes estiment que le rythme de la croissance économique dans les économies émergentes devrait ralentir en 2012 et que, récemment, la croissance a été stimulée par la demande sur les marchés traditionnels tandis que les marchés émergents ont été relativement limités, établissant ainsi une inversion de la tendance de l’année écoulée. Qu’en pensez-vous ? 

Les marchés traditionnels tels que les États-Unis, l’Europe et le Japon sont les plus grands consommateurs de diamants et ils le resteront probablement pendant les 10 prochaines années grâce à la croissance de leur PIB. D’autres grands facteurs stimulent cette demande dans les économies émergentes, comme l’urbanisation et le développement de la classe moyenne. Grâce à une croissance économique continue et au changement démographique, le taux de croissance des diamants en Inde et en Chine devrait continuer à dépasser celui des économies traditionnelles dans les 10 prochaines années. Les grands producteurs l’ont annoncé récemment, la forte demande des marchés asiatiques n’a pas faibli à ce jour.

À en juger par le nouveau modèle de contrat des « fournisseurs privilégiés » qu’applique désormais la De Beers, elle va faire feu de tout bois en utilisant les sights de la DTC et les ventes aux enchères Diamdel pour sélectionner les meilleurs acheteurs. Pensez-vous que cela va stimuler la concurrence ?

L’accès au stock de brut a toujours été un avantage concurrentiel essentiel. Du fait du nombre bien établi de producteurs de brut et de la multiplicité des acteurs au bas de la chaîne des valeurs, tels que les tailleurs, les fabricants et les détaillants, cette dynamique est très compréhensible. Les innovations permettant aux producteurs de commercialiser leur brut existent depuis un certain temps maintenant. Par exemple, BHP Billiton s’appuie sur des enchères, tandis que la plupart des grandes structures associent différents sights ou contrats et enchères à long terme. Puisque la quantité de brut proposée aux enchères augmente, de plus en plus de clients y auront accès. Et si les ventes Diamdel continuent de progresser, l’impact sur l’industrie sera certain, avec une ampleur qui reste à déterminer.

Pensez-vous que la demande de diamants puisse à nouveau atteindre son niveau record de 2006 ?

Selon nos prévisions, la demande va continuer à progresser grâce à la reprise constatée après la crise économique, à l’expansion de la classe moyenne en Chine et en Inde et à l’augmentation des niveaux de consommation des ménages dans les pays développés. D’après les scénarios envisagés par Bain dans son étude, la demande de brut devrait se reprendre et dépasser le niveau de 2006 dans les 10 prochaines années. Bien entendu, plusieurs facteurs de risque pourraient avoir un effet sur le niveau de la demande : un possible changement de l’environnement macro-économique, en particulier une récession prolongée en Europe, un ralentissement économique important aux États-Unis ou une croissance plus lente que prévue dans les pays en développement par exemple.

Pensez-vous que les diamants synthétiques et recyclés gagnent en parts de marché ?

Nous pensons que le potentiel de pénétration du marché des diamants synthétiques est faible à court terme, et ce, du fait de plusieurs facteurs. Du côté de la demande, les consommateurs n’ont pas montré qu’ils sont prêts à acheter ce type de pierres, notamment pour les bagues de fiançailles. Une campagne marketing agressive des producteurs de diamants synthétiques pourrait changer la donne, mais nous ne constatons pas de projets majeurs allant dans ce sens. Du côté de l’offre, il conviendrait d’investir lourdement dans la production massive de pierres de qualité et aucun fabricant ne semble actuellement décidé. En réalité, les plus gros producteurs concentrent leurs efforts sur les usages industriels haut de gamme, aux rendements attrayants.

Les diamants recyclés se positionnent différemment. Selon nous, l’offre est limitée, car une personne qui achète un diamant au prix du détail sera très rarement prête à le revendre au prix du taillé de gros, nettement inférieur en raison de la marge du détaillant. À titre d’information, sachez que tous les diamants vendus par les négociants de taillé en 2010 ont représenté environ 18 milliards de dollars, alors que leur valeur sur le marché de détail dépassait les 60 milliards de dollars. Cet écart de prix freine la revente des diamants d’occasion, limitant ainsi l’offre globale.

Est-il possible que l’industrie du diamant soit confrontée à une nouvelle crise ?

L’industrie a traversé un certain nombre de crises tout au long de son histoire. Pour se limiter à ces 30 dernières années, les prix du brut ont chuté suite à une nouvelle découverte majeure (Argyle) dans les années 80, à un déstockage important du gouvernement du Gokhran au milieu des années 90 et, bien sûr, aux crises financières de 2000 et 2009. Les prix se sont toutefois toujours repris et ils ont continué d’augmenter, d’où une bonne croissance annuelle de 3 % entre 1982 et 2010.

L’industrie pourrait bien sûr toujours subir une crise de temps à autre. L’équilibre entre offre et demande de brut dans le monde au cours des 10 prochaines années devrait aboutir à un déficit mondial de l’offre, étant donné l’absence de nouvelles découvertes majeures. Dans notre scénario de base, la demande devrait progresser de 6,6 % par an en valeur entre 2011 et 2020, tandis que l’offre devrait s’apprécier de 3 % par an. Historiquement, ce sont ces déséquilibres entre offre et demande qui ont permis de maintenir des prix fermes.

À votre avis, le marché a-t-il besoin de plus de transparence ?

L’industrie du diamant a toujours été jugée complexe et difficile à comprendre, les entreprises situées au milieu de la chaîne de valeurs étant principalement financées par quelques « banques du diamant » bien averties de son fonctionnement. Une hausse de la transparence pourrait faciliter l’évaluation des sociétés diamantaires par les institutions financières et donc assurer aux sociétés ayant beaucoup investi dans les diamants un accès à de nouveaux moyens de financement. Bain et le AWDC ont entrepris l’étude de l’industrie mondiale du diamant essentiellement dans le but d’apporter plus de transparence à une industrie multimilliardaire en dollars, présente partout dans le monde, et qui regroupe un large éventail d’intervenants, entre exploitation minière et vente au détail.

Quel attrait pourraient avoir, selon vous, les diamanst utilisés en guise d’investissement ?

Les prix de l’or ayant atteint des niveaux record ces dernières années, de nombreux investisseurs se sont tournés vers les diamants pour trouver une alternative d’investissement. Toutefois, contrairement à l’or, aucun marché stable n’a encore vu le jour à ce niveau. En effet, de par leur nature même, les diamants doivent être évalués au cas par cas : il ne s’agit pas d’un produit standardisé (comme d’autres métaux précieux) et il n’existe pas de marché au comptant pour le brut ou le taillé.

De nombreuses tentatives ont été faites pour créer des instruments d’investissement, mais aucune n’a véritablement abouti. La demande peut être stimulée de diverses façons : en créant une bourse du taillé, en définissant les critères des diamants d’investissement (par exemple, les carats) et en réduisant les seuils poids/prix, aujourd’hui on en  comptant 12 000 à 16 000 différents en fonction de la taille, de la pureté, de la couleur et des carats. Tant que ces difficultés ne sont pas dépassées, il est difficile d’imaginer que la demande de diamants d’investissement décollera.

Comment voyez-vous l’avenir du marché, après le départ de la famille Oppenheimer et au vu de l’intention de Rio Tinto et de BHP de vendre leurs actifs diamantifères ?

Je l’ai mentionné précédemment, l’écart prévu entre offre et demande ces 10 prochaines années s’appuie sur des bases saines. Rio Tinto et BHP Billiton recherchent des acheteurs pour leurs actifs diamantifères, car la taille de leur activité diamantaire ne cadre pas avec le portefeuille global de leurs actifs (les recettes d’exploitation des diamants représentent environ 1 % à 2 % du chiffre d’affaires global de chacune des sociétés). Anglo-American, quant à elle, a adopté une stratégie différente en reprenant la participation de la famille Oppenheimer dans la De Beers.

ALROSA et la De Beers conserveront leur leadership en se concentrant sur des actifs de qualité, sur l’exploitation des efficacités et sur une approche stricte visant à optimiser leur portefeuille. Le commerce des diamants est particulièrement lucratif pour les producteurs de brut qui profitent de marges d’exploitation allant de 22 % à 26 %.

Source Rough & Polished