Approvisionnement ou bénéfices ?

Avi Krawitz

Le premier semestre 2012 a pris fin dans une ambiance sombre pour l’industrie du diamant. Les prix ont baissé et les échanges ont été mis en veille sur l’ensemble du marché. La De Beers et ALROSA ont réduit leurs approvisionnements mais maintenu des prix élevés, et ce malgré la limitation des liquidités sur le secteur de la fabrication.
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Bien que les sightholders aient eu l’intention de préserver leur relation à long terme avec la De Beers en acceptant ses marchandises onéreuses, ils ont finalement repris leurs esprits lors du sight de la Diamond Trading Company (DTC) de juin en refusant leurs attributions. Ils ont ainsi admis qu’ils ne pouvaient plus sacrifier leur rentabilité à court terme en échange d’une promesse d’approvisionnement à long terme.

Si l’industrie veut éviter une crise prolongée, les fabricants doivent être certains de pouvoir générer des bénéfices sur le brut qu’ils achètent au second semestre. Les prix à la DTC et à ALROSA, les deux plus grands fournisseurs de brut, sont excessivement élevés, d’où le refus par les sightholders des marchandises de juin.

La direction d’ALROSA a récemment annoncé aux analystes que ses prix étaient restés stables au deuxième trimestre 2012 et qu’ils devraient maintenir ces niveaux pour le reste de l’année. Les prix d’ALROSA ont progressé de 5 % au premier trimestre.

La DTC a réagi cette semaine en informant les sightholders qu’ils pouvaient reporter jusqu’à 50 % de leur attribution du sight suivant, pour autant qu’ils acceptent les marchandises avant mars 2013, à l’expiration du programme ITO (intention de vendre) actuel. La DTC pourra ainsi maintenir ses prix à court terme. En « autorisant » les reports, elle montre aux sightholders qu’ils ont la possibilité de refuser les marchandises à ce tarif, mais que les prix ne changeront pas.

Malgré tout, les pressions sur les prix persisteront tant que les fabricants ne pourront pas obtenir de bénéfices sur le brut. Les sightholders vont bientôt exiger de la DTC qu’elle applique à un approvisionnement réduit une véritable baisse des prix. Comme l’a souligné Des Kilalea, analyste chez RBC Capital Markets, « il est  difficile à ce stade d’imaginer que les sightholders accepteront volontiers plus de brut après juillet, à moins que la situation mondiale ne semble s’assainir et que les prix du brut à traiter soient plus rentables. »

Rapaport Group prévoit depuis longtemps la volatilité des prix et assure qu’elle doit être acceptée comme partie intégrante du commerce.‎

« Les entreprises doivent élaborer des stratégies pour faire face à des marchés en baisse, en pleine évolution. Les vendeurs avisés admettent que le coût du stock doit être fonction du coût de remplacement, et non du coût historique. Ils continuent à gagner de l’argent et soutiennent les prix en vendant bon marché et en achetant encore moins cher. Cette baisse des tarifs fait partie d’un cycle économique sain puisqu’elle génère d’excellentes opportunités d’achat et des bénéfices supérieurs pour les acheteurs avisés, qui garantissent que les diamants conservent un excellent rapport qualité/prix à une époque incertaine », a déclaré Martin Rapaport, président du Rapaport Group (octobre 2011).

Les fabricants ne doivent plus permettre au secteur minier de faire des bénéfices, à leurs dépens, en payant des prix élevés, d’autant plus que les perspectives économiques s’assombrissent, notamment en raison de la baisse de confiance du marché du diamant.

En réalité, l’humeur a viré au pessimisme ces dernières semaines ; les attentes pour le second semestre continuent de se détériorer.

Certes, la dynamique du marché a changé. Les États-Unis se sont révélés être un pilier de stabilité, alors même que la demande y est sélective, face à un ralentissement des achats de luxe sur les marchés en plein essor de la Chine et de l’Inde.

Ces courants sous-jacents sont apparus clairement lors des salons de juin à Las Vegas et à l’occasion des rencontres plus confidentielles la semaine dernière du Hong Kong Jewellery & Gem Fair. Des perspectives moroses flottaient dans les couloirs des centres de Mumbai, Anvers et Ramat Gan.

Cette ambiance réservée marque une différence significative par rapport au premier semestre 2011 ; en effet, les échanges entre négociants avaient été surmultipliés et les achats de taillé indiens et chinois avaient accéléré. À l’époque, la prévalence allait à un marché de vendeurs : les détaillants américains cherchaient à rattraper leurs homologues asiatiques, lesquels se montraient prêts à enchérir dans la course aux marchandises.

Malgré une forte hausse des prix dans toute la filière l’an dernier, due à des crédits distribués avec largesse aux acheteurs indiens, la tendance s’est maintenant inversée, le numéraire étant accordé avec parcimonie.

Les liquidités indiennes se sont faites rares pour diverses raisons. La confiance des consommateurs est en berne, le gouvernement n’apporte plus guère de soutien, l’inflation est en hausse et la devise se déprécie. Contrairement à 2008-2009, époque à laquelle la demande nationale protégeait l’industrie indienne de la crise économique mondiale, la situation du pays contribue aujourd’hui à aggraver les incertitudes.

La dévaluation spectaculaire de la roupie, qui a perdu environ 25 % de sa valeur par rapport à il y a un an, a asphyxié les échanges de diamants. La dette libellée en roupies de l’industrie indienne est devenue plus chère à rembourser, tandis que le crédit bancaire, accordé de façon trop libérale depuis plusieurs années, se fait plus rare. Un banquier a déclaré à Rapaport News que son institution étudiait les nouvelles propositions avec plus de prudence, le marché s’étant affaibli. Les négociants en Israël et à Anvers ressentent également les effets du resserrement du crédit.

Les prix du taillé ont reculé au deuxième trimestre 2012, à l’instar des trois premiers mois de l’année. L’indice RapNet Diamond Index (RAPI) pour les 1 carat devrait reculer de 3 % à 4 % pour le premier semestre, à l’occasion de la publication la semaine prochaine des chiffres définitifs.

La plus forte baisse est apparue entre la mi-mai et aujourd’hui, reflétant la prudence qui était de mise sur le marché le mois dernier.

Les négociants de taillé dénichent les bonnes affaires, tandis que les acheteurs de détail et de gros (qui exploitent la faiblesse de l’économie) sont toujours prêts à retarder leurs achats, espérant de nouvelles baisses de prix. Les fournisseurs à court d’argent ont évoqué leur volonté de baisser leurs tarifs pour insuffler un peu de dynamisme dans leur chiffre d’affaires.

Ces tendances devraient se poursuivre dans les mois à venir, le marché cherchant à stimuler ses marges bénéficiaires. Les fournisseurs vendent de moins en moins cher pour faire baisser le prix de leurs achats et innovent pour générer de la valeur et stimuler les bénéfices.

Si les prix de la DTC ne s’adaptent pas à ceux du marché, les sightholders laisseront des marchandises sur la table, même au-delà de la fenêtre de report de juillet. Bien que la De Beers et ALROSA semblent résolues à ne pas extraire les marchandises et à attendre que les prix du marché rattrapent les leurs, c’est le contraire qui se réalisera.

Les prévisions indiquent que le second semestre 2012 sera aussi difficile que le premier ; le recul des conditions de marché représente donc une opportunité pour des tailleurs avisés qui pourraient obtenir des bénéfices, pour autant qu’ils aient le courage de ne pas chercher plus loin. Une promesse d’approvisionnement à long terme n’a que peu de sens s’il n’est pas possible de gagner de l’argent dès aujourd’hui.

Source Rapaport