Une De Beers consolidée, un plaisir coûteux pour Anglo

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Anglo American, qui a finalisé la consolidation de sa participation de 85 % dans la De Beers l’année dernière, a ainsi pris le contrôle de la plus grande société minière de diamants. [:]La structure possède un patrimoine, un réseau de distribution et des marques uniques, dont l’une, « A diamond is forever », a été reconnue slogan le plus efficace du XXe siècle.

Or Anglo a aussi dû faire face à des obligations financières massives et à la dette de la De Beers. Citons notamment deux projets miniers ; seule Minas-Rio, l’entreprise géante de minerai de fer, dans le portefeuille d’Anglo, les dépassait en matière de coûts. Quant à la dette de la De Beers, elle est estimée à 722 millions de dollars (sans compter les prêts d’un montant comparable, octroyés par les actionnaires lors de la crise de 2008-2009).

Lorsqu’Anglo American, une société cotée en bourse, a pris le contrôle de la société privée De Beers, le marché a pu découvrir quelques détails sur l’évaluation du minier, lequel était accoutumé à donner le ton. Il ressort des états financiers d’Anglo que l’actif total de la De Beers est évalué à 13,2 milliards de dollars. Son passif total s’élève à 4,6 milliards de dollars. Les prêts et emprunts représentent 1,58 milliard de dollars. La dette nette d’Anglo a atteint, à la fin de l’année dernière, 8,6 milliards de dollars, contre 5,5 milliards de dollars au 30 juin (du fait en grande partie de l’accord avec la famille Oppenheimer).

En 2012, le groupe De Beers a vu son bénéfice d’exploitation chuter de 45 % en glissement annuel, à 676 millions de dollars. La part d’Anglo dans ce montant a diminué d’un quart par rapport à 2011, à 496 millions de dollars, bien que sa participation soit passée de 45 % à 85 %. Les ventes de brut de la De Beers ont baissé l’an dernier de 15 %, à 5,5 milliards de dollars, tandis que le minier baissait ses prix de 12 % (il s’agit du seuil minimal pour l’industrie, sachant que les prix en 2012 se sont réduits de 20 %).

La dégradation des performances financières n’a pas seulement été due à la baisse des prix. Elle est aussi liée à la production. Au départ, la De Beers a déclaré vouloir se concentrer sur les travaux d’entretien et d’extraction des déchets, ainsi que sur la sécurité. Elle a pourtant avancé, par la suite, une politique visant à soutenir la demande, qui réduirait l’offre excessive de brut. La production a alors chuté de 10,8 % l’année dernière, à 27,9 millions de carats.

La baisse de la production de la De Beers en 2012 est principalement due à la suspension des activités dans sa plus grande mine, Jwaneng. Celle-ci représente de 60 % à 70 % des revenus de Debswana (qui, à son tour, constitue environ 70 % de la production totale de diamants du groupe De Beers). Les opérations à Jwaneng ont été interrompues fin juin, après un glissement de terrain dans la mine à ciel ouvert. L’exploitation s’est arrêtée pendant 7 semaines. La De Beers a alors entrepris une analyse géotechnique exhaustive de la mine. En décembre, suite à de fortes pluies, Jwaneng a été partiellement inondée, d’où des retards supplémentaires dans la production. Si l’on s’en tient à ses chiffres, Debswana, du fait de l’éboulement, n’est pas parvenue à produire 1,4 million de carats. En outre, la baisse de production de 2,6 millions de carats reflète « les conditions défavorables du marché ». Des sources supposent que Jwaneng ne reprendra pas sa production normale avant le second semestre 2013.

Son extension, considérée comme l’un des deux projets prioritaires de la De Beers, est surnommée Jwaneng Cut 8. Elle est estimée à 3 milliards de dollars, dont 450 millions ont été investis dans les infrastructures en 2010. Il est prévu que la production débute en 2016 et atteigne sa pleine capacité (environ 10 millions de carats) en 2018. La De Beers prévoit de produire de 95 à 100 millions de carats, soit 15 milliards de dollars pendant la période de fonctionnement de la mine, jusqu’en 2028.

Le second projet comprend la construction d’une mine souterraine à la cheminée de Venetia. La De Beers a mentionné un épuisement du minerai dans sa déclaration pour l’année 2012. L’opération est estimée à 2,1 milliards de dollars. La société prévoit de lancer la mine souterraine en 2021, pour porter sa production à environ 4 millions de carats à compter de 2024. La durée de production à Venetia sera donc prolongée jusqu’en 2042. La société a obtenu l’approbation finale des autorités de réglementation en Afrique du Sud, en février dernier.

Les dépenses en immobilisations pour Jwaneng Cut 8 et la mine souterraine de Venetia, évaluées au total à plus de 5 milliards de dollars, ont été approuvées par les conseils d’administration de la De Beers et d’Anglo. Or, ces projets ne sont pas les seuls dans la ligne de mire du détenteur historique du monopole du diamant. Au Canada, la De Beers détient une participation de 51 % dans une coentreprise destinée à développer la mine qui sera peut-être la plus grande des Amériques : Gahcho Kué. Ses réserves présumées sont estimées à 50,5 millions de carats. Les réserves identifiées atteignent 3 millions de carats. La durée de vie de la mine est de 15 ans. Sa production, prévue au rythme de 4,5 millions de carats par an, devait débuter en 2012-2013. Or, suite à un contrôle des autorités environnementales, l’échéance a été reportée à 2014.

Pour Anglo American, l’accroissement de sa participation dans la De Beers a eu pour conséquence un transfert des dépenses d’exploration du minier sur son bilan. Ses propres dépenses d’exploration ont ainsi progressé de 70 % l’année dernière, atteignant 206 millions de dollars. Ce chiffre peut paraître insignifiant au vu des dépenses totales d’Anglo (environ 5,7 milliards en 2012). Pourtant, il n’est pas très éloigné des dépenses d’investissement de la De Beers elle-même (249 millions de dollars). Il pourrait d’ailleurs être révélateur de l’avancement des projets de la division diamant d’Anglo.

Depuis qu’Anglo American a annoncé le rachat de la participation de la famille Oppenheimer, le marché craint que cette société n’engage de grands changements dans l’activité de la De Beers. Certains des événements qui y ont eu lieu l’an dernier pourraient vraiment être interprétés ainsi. Il suffit de se rappeler le sight d’octobre de la Diamond Trading Company (DTC). Il a atteint 750 millions de dollars, un record pour l’année écoulée. Son ampleur était due à la demande soudaine de la DTC, qui a obligé les sightholders à acheter le brut précédemment reporté jusqu’en mars 2013, en raison de liquidités insuffisantes. Dans le même temps, la DTC a dû réduire ses prix, bien que la direction de la De Beers ait dit qu’elle n’allait plus les baisser après le précédent sight d’août, au cours duquel les prix ont fléchi de 8 % à 10 %. Mais même cela n’a pas permis de rendre la mesure populaire : la société est ainsi revenue sur pas moins de deux promesses données aux sightholders. Elle avait affirmé qu’il n’y aurait pas d’achat anticipé obligatoire et que les prix resteraient stables. Il était donc naturel que les sights suivants soient les pires pour la société l’année dernière (480 millions de dollars en novembre et 490 millions de dollars en décembre). Les sightholders disposaient en effet de stocks trop volumineux, avec des marges réduites et une insuffisance de liquidités. Le « contrôle manuel » appliqué au sight d’octobre et dû, selon certains experts, au souhait d’Anglo de maximiser ses bénéfices, n’a pas apporté de dividendes à la De Beers ni à ses clients. Toute l’industrie a donc été lésée.

Or, la construction des mines est une autre affaire. En plus de ses priorités et de son rendement financier, il sera très difficile pour Anglo de renoncer aux grands projets développés par la De Beers ou de retarder leur mise en œuvre. Lorsque la production a été réduite à Jwaneng pour diverses raisons au second semestre de l’année dernière, de nombreux sightholders du Botswana ont rencontré des problèmes avec le brut. À en juger par les publications de Chaim Even-Zohar, les approvisionnements de certains d’entre eux ont diminué de 60 % à 85 % au cours de plusieurs sights. On peut rappeler que la De Beers prévoit de déménager définitivement son centre d’échange de Londres à Gaborone d’ici la fin 2013. Plus tôt, après un accord avec le gouvernement du Botswana, la De Beers a anticipé. Dans le cadre du programme d’enrichissement, elle a encouragé les sightholders à ouvrir des usines dans ce pays. Elle a ainsi favorisé l’emploi dans l’industrie. Les sightholders qui ont débuté la fabrication au Botswana, uniquement parce qu’ils pouvaient profiter du brut de la De Beers, ont été confrontés au fait que la société n’était pas en mesure de s’acquitter de ses obligations dans leur intégralité au sein de l’ITO.

Il semble que les projets diamantifères soient ceux qui consomment le plus de capitaux dans le portefeuille diversifié d’Anglo. La société tire l’essentiel de ses bénéfices du minerai de fer, du charbon, du cuivre et du platine. Elle n’est devancée que par Minas-Rio, le projet de minerai de fer, l’une des plus grandes sociétés minières au monde. Ses infrastructures sont estimées à près de 9 milliards de dollars. Ces coûts élevés et le manque d’avancement dans sa mise en œuvre sont à l’origine du départ de Cynthia Carroll, la PDG d’Anglo. Son licenciement était aussi dû à la « lourde » transaction qui a permis d’acheter la participation dans la De Beers. Malgré la fière assurance affichée, selon laquelle l’activité a toujours été et demeure un point majeur pour Anglo, les doutes quant à la viabilité de cette opération et son effet bénéfique sur les performances financières de la société ne sont pas sans fondement. Et l’absence de marge de manœuvre dans la vente et la production sur un marché du diamant extrêmement spécifique ne fait que renforcer ces doutes.

Boris Ashkenazi

Source Rough and Polished