Selon un rapport, la corruption au Zimbabwe lèse la chaîne d’approvisionnement

Avi Krawitz

La contrebande constante et le blanchiment d’argent profitent à l’élite politique du Zimbabwe.

Le Partenariat Afrique Canada (PAC) a alerté l’industrie mondiale sur la constance de la contrebande au Zimbabwe, ajoutant que le blanchiment d’argent et le manque de transparence profitent directement à certains membres du parti au pouvoir dans le pays.[:]

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Dans un rapport intitulé « Reap What You Sow: Greed and Corruption in Zimbabwe’s Marange Diamond Fields » (Récoltez ce que vous semez : cupidité et corruption dans les champs diamantifères de Marange du Zimbabwe), publié lundi, parallèlement au début de la Conférence internationale des diamants au Zimbabwe, le PAC a affirmé que les efforts de l’industrie pour débusquer la contrebande des diamants de Marange et y mettre un terme restent vain, ce qui compromet toute la chaîne d’approvisionnement.

L’attention du monde entier a été attirée sur les mines de Marange fin 2008, le gouvernement ayant lancé une opération visant à expulser les mineurs illégaux de la région. S’en sont suivies de graves violations des droits de l’homme, notamment la mort de plus de 200 mineurs, a rapporté Human Rights Watch à l’époque.

L’incident a suscité un débat long de trois ans au sein du système de certification du Kimberley Process concernant le droit du Zimbabwe à exporter sa production de Marange et sa participation au système. En novembre 2011, le Kimberley Process a finalement levé les restrictions à l’exportation.

Quatre mines sont actuellement exploitées à Marange, avec Mbada Diamonds, Marange Resources, la société chinoise Anjin et Diamond Mining Company (DMC), basée à Dubaï. Leur production combinée a été estimée à environ 1,3 million de carats par mois en 2012. Selon les données du Kimberley Process, la production du Zimbabwe a atteint 8,5 millions de carats, pour une valeur de 476,2 millions de dollars en 2011.

Bien que le PAC ait noté qu’aucun assassinat de masse n’avait eu lieu récemment dans et autour des champs diamantifères de Marange, il a confirmé la constance de la corruption associée aux mines. Le groupe a également signalé une négligence grave de la part des centres de négoce de Dubaï, d’Israël et d’Inde : le marché se voile la face sur les importations illégales de brut et l’inefficacité du Kimberley Process à surveiller la filière.

Le principal bénéficiaire

Le PAC a établi qu’un homme en particulier profitait du l’extraction des diamants au Zimbabwe. Il s’agit d’Obert Mpofu, le ministre des mines du pays, membre du parti du président Robert Mugabe, le ZANU-PF. Le rapport a affirmé qu’Obert Mpofu est le responsable en chef des mines de Marange, où il préside les concessions qu’il a accordées à des personnes douteuses, sans expérience minière. Les opérations se sont, en outre, déroulées dans des conditions suspectes, sans aucune prise de responsabilité ni vérification préalable.

Tendai Biti, le ministre des Finances du Zimbabwe, membre du Mouvement pour le changement démocratique (DMC), qui a conclu un accord de partage du pouvoir avec le ZANU-PF, a réclamé au Trésor un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars de recettes issues des diamants.

Le PAC a souligné qu’il était impossible de déterminer le montant exact de ce manque à gagner, notamment à cause de l’absence de transparence des ventes de diamants supervisées par Obert Mpofu. Le groupe a toutefois souligné que le salaire de ministre d’Obert Mpofu, de l’ordre de 800 dollars par mois, était en totale contradiction avec les 20 millions de dollars qu’il a engagés ces trois dernières années dans de l’immobilier, des magasins, des banques et des fermes, quasiment tous payés en liquide. Le PAC a annoncé qu’Obert Mpofu n’avait pas répondu à ses demandes d’entretien.

Autres encaissements

Le rapport a précisé que la corruption va bien au-delà du simple cas d’Obert Mpofu et qu’il concerne aussi d’autres cadres des mines de Marange et des partisans du ZANU-PF. Des craintes ont été soulevées quant au fait que Robert Mhlanga, le directeur général de Mbada Diamonds, blanchirait les recettes de Marange après avoir payé des prix trop élevés dans une série de transactions immobilières, portant sur plusieurs millions de dollars en Afrique du Sud, a expliqué le PAC.

« De nombreux sécuritocrates de niveau supérieur, fidèles au président Robert Mugabe et à son parti, le Zimbabwe African National Union (ZANU), « prennent aussi leur part du gâteau », ainsi que le font remarquer les observateurs de la corruption, cités dans le rapport. Sont particulièrement concernées les personnes associées à la Zimbabwe Defence Industries, une société publique alignée sur la société minière chinoise Anjin, ou celles qui ont supervisé les opérations militaires à Marange. Beaucoup sont connus pour posséder ou construire des maisons dans les quartiers les plus huppés de Harare, pour des montants qui dépasseraient leurs salaires de l’État. »

Le PAC a conclu qu’une richesse inexpliquée était le signe d’un problème bien plus vaste pour le Zimbabwe, en particulier si l’on considère l’avenir prometteur que pourraient assurer les diamants à l’ensemble du pays et à ses habitants. Non seulement l’absence de transparence sur les revenus prive-t-elle le Trésor du Zimbabwe, mais elle amplifie aussi les craintes qu’un gouvernement parallèle n’opère dans le pays et empêche d’atteindre les standards minimaux fixés par le Kimberley Process, selon les avertissements du rapport.

Plus tôt cette année, Global Witness, qui a quitté le Kimberley Process en raison de l’absence de progrès de l’organisation, a publié un rapport affirmant que les mines de diamants du Zimbabwe financent l’armée de Robert Mugabe.

Un problème local et mondial

Même si le PAC a déjà publié des rapports sur l’industrie au Zimbabwe en 2009 et 2010, suite au carnage de Marange, cette année, le groupe a affirmé que cette question avait pris une ampleur plus internationale. « Bien sûr, la mauvaise gestion des diamants de Marange reste surtout un problème zimbabwéen, mais l’ampleur mondiale du commerce illégal a été jusqu’à compromettre la plupart des grands marchés », ont écrit les auteurs.

Le PAC a expliqué que, même si auparavant, la majeure partie du commerce illégal se concentrait sur l’Afrique du Sud, le Mozambique, les Émirats Arabes Unis et l’Inde, il semble désormais que le Kimberley Process et les autorités nationales doivent exercer une vigilance accrue sur d’autres centres, en particulier Israël.

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Les États-Unis interdisent expressément à tout citoyen ou à toute entreprise de commercer avec des entités qui se trouvent sur la liste de l’OFAC (Office of Foreign Asset Control), une agence du Trésor. Celle-ci inclut Mugabe et sa famille, Obert Mpofu, de même que Zimbabwe Defence Industries, Zimbabwe Mining Development Corporation (ZMDC), Minerals Marketing Corporate of Zimbabwe (MMCZ), Mbada Diamonds et Marange Resources.

Désormais, les sociétés de logistique et de transport Brinks et Malca Amit refusent d’expédier des marchandises de Marange en raison des sanctions ; le PAC a réussi à établir que les diamantaires achètent des diamants en rands ou en euros ; par la suite, soit les marchandises sont envoyées par charter d’Harare vers les centres de taille, soit les expéditeurs prennent le risque de les confier à des coursiers sur des vols commerciaux.

Recommandations

Le PAC a conclu son rapport par plusieurs recommandations visant à améliorer les résultats en matière de gestion et d’économie à Marange.

Le groupe a exhorté le pays à améliorer son contrôle parlementaire sur les contrats miniers. Il a suggéré au parlement de constituer un comité sur les mines et l’énergie, de réviser les contrats miniers, de divulguer les conditions de ces accords, de rendre publique la structure de propriété des entreprises et de désigner des membres des conseils d’administration.

Le PAC a également insisté sur la nécessité de démilitariser les transactions de diamants, surtout à l’approche des élections présidentielles prévues pour 2013. Même si la violence à Marange est très loin d’atteindre le niveau d’avant 2011, le PAC a insisté sur les inquiétudes qui subsistent quant au rôle de plus en plus prégnant de l’armée et des agents de sécurité qui supervisent les activités légales et illégales au cours de l’année électorale.

De surcroît, le PAC a recommandé au Zimbabwe de garantir, dans sa constitution, la transparence des contrats pour tous les accords liés aux ressources naturelles, comme cela a été fait au Niger en 2011. Il conseille également de convenir d’une entente, qui serait rendue publique, sur les quantités exportées chaque trimestre par chaque société minière et sur les taxes perçues. Le PAC a affirmé que le processus devait être dépolitisé et que l’adoption de mesures de transparence apaiserait les craintes occidentales et nationales sur la mauvaise gestion des recettes des diamants.

Le PAC a plaidé pour la divulgation des holdings commerciales et des actifs des fonctionnaires, en vue de se prémunir contre les conflits d’intérêts pendant toute la durée du mandat d’un individu. En outre, les sociétés doivent rendre publiques les structures de propriété afin d’exposer les paradis fiscaux secrets comme l’île Maurice, où les parties prenantes de Marange sont protégées des regards du public.

La voie législative

Étant donné que les initiatives n’ont pas permis d’intercepter ni d’interrompre le flux des diamants de contrebande de Marange, le PAC a déclaré au marché que toute la chaîne d’approvisionnement a été et continue d’être compromise par des marchandises entachées de malversations.

« Les organismes d’application de la loi doivent engager une meilleure coopération, ont indiqué les chercheurs. Gardant cela à l’esprit, les participants volontaires du Kimberley Process devront s’employer à lutter contre les réseaux criminels illicites et de plus en plus sophistiqués en créant un profil de la contrebande de diamants. »

Le PAC a suggéré que ces efforts prennent exemple sur des profils similaires employés par les douanes et les autorités pour intercepter les réseaux de drogue et de blanchiment d’argent, et qu’un tel profil devait être élaboré en étroite collaboration avec l’Organisation mondiale des douanes, avec laquelle le Kimberley Process a signé un protocole d’entente en novembre 2010.

Puisque le Kimberley Process et le système de garanties du World Diamond Council (WDC) ne sont pas parvenus à suivre et à gérer la circulation illégale des diamants de Marange, le PAC a recommandé au WDC de s’engager dans la série d’efforts du Responsible Jewellery Council, qui permettent de suivre les diamants entre la mine et la mise sur le marché. Le WDC représente l’industrie du diamant au Kimberley Process.

Selon le rapport, cet échec a permis aux diamants de contrebande d’atteindre les centres de négoce assortis de certificats du Kimberley Process obtenus frauduleusement dans des pays secondaires ou encore sans certificat.

Si cela n’était pas fait, le PAC prévoit des pressions accrues sur l’industrie, afin qu’elle prouve son engagement envers un approvisionnement éthique et légal. Le rapport a suggéré que le marché adopte les bonnes pratiques décrites par John Ruggie, Représentant spécial des Nations Unies pour la question des droits de l’homme et des sociétés, et le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.

Enfin, le PAC a exhorté chaque pays à adopter une législation qui protégerait le secteur de la fabrication et de la consommation des diamants de Marange qui appartiennent à l’armée ou qui portent atteinte à la gouvernance ou contribuent à la violence.

« Ces efforts viendraient compléter les mesures économiques existant dans ces pays, lesquelles, à ce jour, ont bloqué le commerce des marchandises de Marange vers des centres de fabrication comme Surat, en Inde, sans les éliminer totalement ni interdire leur entrée ultérieure sur les marchés de consommation occidentaux », a expliqué le PAC.

Le groupe a ajouté qu’une telle législation devrait s’appuyer sur la loi Dodd-Frank des États-Unis et inclure une obligation de transparence vérifiable par les membres de l’industrie ; elle s’assurerait que les diamants qui entrent sur ces marchés ne proviennent pas de Marange, qu’il s’agisse de brut ou de taillé.

Source Rapaport

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