Risque de fort endettement après l’arrêt de l’extraction minière

Leah Meirovich

Plusieurs sociétés d’extraction de diamants, qui ont interrompu leur production pendant la crise du Covid-19, vont avoir des difficultés à reprendre leurs opérations en raison de problèmes d’endettement, d’après ce qu’ont prédit certains analystes.

L’avertissement intervient après que plusieurs miniers ont annoncé que leurs actifs resteraient en situation d’entretien et maintenance jusqu’à ce que les prix du brut retrouvent un niveau assurant la viabilité des opérations. 

Firestone Diamonds prévoit de laisser fermé son gisement Liqhobong au Lesotho pendant au moins un an, a-t-elle déclaré au cours du mois d’avril. La société n’était pas certaine du moment où elle pourrait vendre ses diamants, des prix qu’elle pourrait obtenir et de la possibilité de travailler de manière durable, a-t-elle indiqué.

De même, Stornoway Diamonds a déclaré qu’elle cesserait ses opérations dans sa mine Renard au Canada jusqu’au « retour de conditions de marché favorables », tandis que BlueRock Diamonds a suspendu ses opérations à la mine Kareevlei en Afrique du Sud jusque dans un proche avenir. Petra Diamonds, qui avait repris la production dans ses mines sud-africaines, prolongera l’arrêt dans son actif de Williamson en Tanzanie pour une durée indéfinie, afin de « préserver la position de liquidité de la mine » et protéger sa capacité à durer sur le long terme, a-t-elle déclaré.

Ce sont les niveaux d’endettement des miniers qui représentent le plus gros facteur impactant les opérations, et non les prix des diamants, a fait observer Kieron Hodgson, analyste chez Panmure Gordon.

« Ce sont les questions financières qui les empêchent de rouvrir, a-t-il souligné. S’ils n’étaient pas empêtrés dans leur endettement actuel, ils seraient en train de travailler. En réalité, ils ne sont pas en mesure de générer des revenus pour couvrir leurs coûts opérationnels. Leur déficience structurelle se constate au niveau des bilans, ce que l’on ne peut pas uniquement attribuer aux prix du marché. »

Ce sont les niveaux d’endettement des miniers qui représentent le plus gros facteur impactant les opérations, et non les prix des diamants.
Une jolie petite mine

Liqhobong, qui connaît des problèmes financiers depuis ses débuts, ne devrait pas redevenir la propriété de Firestone, a prédit Ben Davis, analyste chez Liberum. 

« Elle n’a jamais eu de bons résultats… depuis sa mise en service, soit en raison de la qualité des pierres, soit en raison de la gestion de l’opération. Cela a été assez difficile pour eux, a-t-il avancé. Il faudra une personne très courageuse pour la reprendre. Tous ceux qui voudraient acheter cet actif aujourd’hui auraient besoin de croire en l’arrivée de prix bien supérieurs, à peu près au niveau auquel était le marché au quatrième trimestre 2019, plus 20 % supplémentaires. »

Richard Hatch, analyste à la banque d’investissement Berenberg, a convenu que Liqhobong était trop endettée pour être viable. « Firestone est un exemple de société qui détient une jolie petite mine rentable mais le problème est la dette qui absorbe la valeur du titre », a-t-il déclaré.

Les sociétés pourraient avoir des difficultés à reprendre leurs opérations, même après que les prix des diamants auront dépassé les niveaux connus pendant le coronavirus.

« On n’entre pas dans une situation de crise avec un fort endettement en s’attendant à en ressortir sans dommages, a souligné Kieron Hodgson. Les titulaires de dettes pourraient relancer leurs entreprises mais ils ne reviendront jamais sur le marché des actions – ou alors dans de très rares cas. »

Rachat ou renflouement ?

Ben Davis a considéré que, même si une reprise complète est peu probable, il existe une petite chance que les mines puissent rouvrir, même si ce sera sous une forme de propriété différente.

« Il serait parfois plus logique de les fermer mais comme il y a toujours cet endettement à rembourser, ils ne le font pas, a-t-il fait remarquer. Les titulaires des dettes voudront récupérer une partie de la valeur pour clôturer les comptes. Ils ne vont jamais gérer ces mines eux-mêmes. Alors, s’il est impossible de trouver une solution, ils en prendront la propriété et tenteront de les vendre à un tiers, aujourd’hui ou dans de meilleures conditions de marché. »

« Je ne crois pas que les mines resteront fermées. Dans un environnement de justes prix, certains de ces actifs pourraient redémarrer mais s’ils le font, ce sera avec une nouvelle forme de propriété », a-t-il souligné. 

Même si Petra n’a pas fermé ses mines Finsch et Cullinan en Afrique du Sud, Kieron Hodgson et Ben Davis ont considéré que la société pourrait aussi devoir se défaire de ces actifs, étant donné les circonstances.

« Je considère que Petra va avoir besoin de fortes injections de capitaux mais ce sera très dilué pour les actionnaires existants, a avancé Ben Davis. Ou alors, ils devront trouver une pierre géante qui sauvera la mine. Mais il faudra qu’elle soit supérieure à 1 000 carats. »

Même s’il est difficile de sortir de la crise et d’un arrêt prolongé avec une dette aussi lourde, il est possible que Petra s’en sorte, a indiqué Richard Hatch.

« Cullinan et Finsch sont des mines rentables mais le problème est que la dette absorbe la valeur, a-t-il déclaré. Ce qui sera le plus probable, selon moi, c’est que nous assisterons à un refinancement de la dette et pendant que cette dette sera refinancée, la société avancera sur une voie plus stable. J’ai beaucoup de mal à imaginer comment on pourrait laisser ces mines plonger, je pense qu’elles seront renflouées mais je pense que cela aura un prix. »

Petra travaille actuellement à restructurer son endettement de 650 millions de dollars, a indiqué Reuters mercredi 22 avril. La hausse des liquidités et la flexibilité de son calendrier de remboursement pourraient lui offrir un peu plus de temps si le confinement était prolongé et que la mine ne gagnait plus d’argent, a déclaré l’agence de presse, citant des sources anonymes qui ont également averti que les banques d’investissement se montraient de plus en plus réticentes à faire crédit aux producteurs de diamants.

Kieron Hodgson et Richard Hatch constatent aussi des difficultés pour le gisement Ekati de Dominion Diamond Mines, très endetté. Le site a été placé en entretien et maintenance, malgré l’autorisation du maintien de l’extraction minière pendant toute la pandémie par le gouvernement canadien. 

« Quant à Ekati, l’extension Jay n’était pas vraiment logique il y a trois ans lorsqu’ils l’ont vendue et elle l’est probablement encore moins aujourd’hui, étant donné l’évolution des prix, a fait remarquer Richard Hatch à propos d’un projet de prolongement de la mine actuelle. Celle-ci pourrait représenter une partie de l’offre que le marché va perdre. »

L’agence de notation Fitch a dégradé la note de la société au cours de la semaine du 20 avril, faisant remarquer qu’elle connaissait des résultats financiers constamment plus faibles que prévu, entraînant la nécessité d’un report des échéances.

Mercredi 22 avril, Dominion a demandé la protection des tribunaux aux termes des lois sur l’insolvabilité au Canada, ce qui lui permettra de réviser sa situation financière avec ses créanciers et ses actionnaires, a déclaré la société dans un dépôt légal. La procédure d’insolvabilité est une méthode conçue pour permettre à une société d’arrêter temporairement de rembourser ses créanciers, tout en recherchant un nouvel investissement ou un acheteur pour ses opérations. Le minier envisage actuellement la proposition d’une filiale de son propriétaire, Washington Companies. 

Prêts à repartir

Toutefois, la plupart des sociétés minières considèrent qu’elles survivront à cet arrêt et qu’elles reprendront leurs opérations lorsque les prix repartiront.

« Nous avons l’intention de rouvrir la mine Renard, a déclaré Patrick Godin, PDG de Stornoway, à Rapaport News. Même si nous ne sommes pas encore certains de la date, nos actionnaires sont entièrement derrière nous. » 

Mike Houston, PDG de BlueRock, a adopté le même mode de pensée. La société est dans une situation de liquidités positives et actuellement à un stade avancé dans la recherche de solutions pour commercialiser ses diamants, a déclaré le dirigeant. Si elle y réussit, la société pourrait reprendre la production, a-t-il ajouté. Firestone et Petra ont confirmé leurs déclarations précédentes, signalant que les sociétés reprendraient la production des mines fermées lorsque les prix des diamants se seront stabilisés. Dominion n’a pas répondu à une demande de commentaires de la part de Rapaport News.

Une industrie plus petite

Les arrêts de ces mines n’auront qu’un faible impact sur l’offre globale de diamants, a affirmé Kieron Hodgson. Un possible ralentissement de l’extension de la mine Jwaneng de De Beers au Botswana et des opérations des sites d’ALROSA en Russie aurait un effet bien plus grave sur l’offre internationale. De Beers a fait remarquer que, même si le travail s’est interrompu dans son projet souterrain de Venetia et à Cut-9 de Jwaneng, afin de respecter les réglementations gouvernementales lors de la crise du Covid-19, il s’agit de projets d’extension à long terme et leur statut n’a pas changé.

Pourtant, Kieron Hodgson a considéré que De Beers et ALROSA prendraient également des décisions pour leurs investissements en capital, ajoutant que les éventuels changements étaient absorbés dans les bilans. 

Un possible ralentissement de l’extension de la mine Jwaneng de De Beers au Botswana et des opérations des sites d’ALROSA en Russie aurait un effet bien plus grave sur l’offre internationale.

Des producteurs de grande qualité, comme De Beers, ALROSA, Gem Diamonds, Lucara Diamond Corp. et Lucapa Diamond Company sont les plus susceptibles de survivre, étant donné l’absence de fort endettement financier chez elles et leur capacité à supporter un arrêt prolongé du marché, a indiqué Kieron Hodgson.

« Il me semble que Mountain Province pourra prendre place à la table, tout simplement en raison de son partenariat avec De Beers et de sa capacité à produire les types de marchandises qui vont disparaître du marché avec la fermeture prévue d’Argyle par Rio Tinto, a-t-il ajouté. Je pense que les opérations de Petra à Cullinan et Finsch peuvent produire les marchandises qui seront demandées. Mon seul doute est de savoir qui détiendra ces actifs dans trois ans. »

D’une façon ou d’une autre, tous les miniers chercheront à ralentir les rythmes de production tout au long de la crise et Kieron Hodgson a considéré que la production totale reculerait, puisqu’au moins 10 % à 15 % de l’offre sera perdue au cours des trois prochaines années.

« Ce ne sera probablement pas une bonne année pour les sociétés diamantaires, a ajouté Richard Hatch. Je pense qu’en 2020, elles vont devoir traverser de nombreuses perturbations et subir des dommages. »

Source Rapaport


Photo © Lucara Diamond Corp, Karowe mine.