Retour en force de l’industrie diamantaire

Igor Leikin

L’industrie diamantaire, qui avait rebondi par rapport à son niveau plancher de juillet et août de l’année dernière, a profité du soutien des bonnes ventes de bijoux pour les fêtes. En 2021, elle se montre prête à concurrencer les taux de croissance des autres bénéficiaires de la reprise économique mondiale, après la pandémie de Covid-19.

Les mois de janvier et février 2021 se sont de nouveau révélés fructueux pour tous les segments de la filière diamantaire : les miniers ont affiché des ventres record, les marges de la filière intermédiaire ont progressé étant donné les prix élevés des diamants et les ventes de bijoux ont dépassé toutes les attentes. Les stocks de la filière intermédiaire sont à leur plus bas depuis sept à huit ans, ce qui incite les tailleurs à acheter en grosses quantités. Quant à la demande des consommateurs, elle est soutenue par les mesures de relance américaines. La confiance dans la stabilité du marché permet aux miniers d’augmenter les prix du brut, des prix qui avaient déjà retrouvé leur niveau d’avant la crise. Elle leur permet également d’accélérer la reprise de l’activité dans les mines qui avaient été mises en entretien et maintenance l’année dernière.

Hausse des prix du brut

Les grands miniers de diamants – qui tentent de ne pas perturber l’équilibre du marché – se sont abstenus d’augmenter les prix jusqu’en décembre, même si l’environnement était favorable à la hausse. La progression des marges dans la filière intermédiaire, sur fond d’accroissement des ventes de bijoux, a provoqué un essor brusque de la valeur du taillé au second semestre, en particulier dans les grosseurs supérieures. En décembre, les prix du taillé ont pris 2 % en moyenne. Les chiffres les plus solides concernaient les pierres de 1 à 2 carats. Les prix du taillé étaient en moyenne de 16 % plus hauts que début 2020, tandis que ceux du taillé de 0,5 carat à 1 carat ont pris plus de 20 %. D’après Paul Zimnisky, l’écart entre les prix du brut et du taillé s’est élargi jusqu’à atteindre l’année dernière les niveaux d’il y a plusieurs années. Cet écart va inévitablement se rétrécir avec la normalisation de la chaîne d’approvisionnement.

Enfin, en décembre de l’année dernière, De Beers a augmenté ses prix du brut pour la première fois depuis 2018. Ce changement a concerné les pierres de 0,75 carat et plus et représenté 1 % à 2 % de hausse. Cette mesure était due à la forte demande de la filière intermédiaire, étant donné la réduction des stocks et une solide demande de brut par le secteur de la taille.

À l’occasion de leurs premières enchères en 2021, les grands miniers ont de nouveau relevé les prix en conséquence d’une hausse de la demande liée aux réapprovisionnements d’après les fêtes et du Nouvel An chinois à venir. La hausse était justifiée puisque, d’après les sightholders, les boîtes de De Beers se vendaient avec un premium de 5 % à 7 % sur le marché secondaire en début d’année.

Par conséquent, les prix de De Beers ont monté de 4 % à 5 % en moyenne, tandis que ceux d’ALROSA ont augmenté de 6 % à 7 %, pour tenter de se conformer aux tendances du marché et à la demande confirmée. Les pierres haut-de-gamme et de grosseur supérieure ont également vu leur prix augmenter. Après la hausse, les tarifs de ces catégories ont retrouvé leur niveau d’avant la pandémie.

La hausse des prix se maintiendra grâce au réapprovisionnement actif des stocks de la filière intermédiaire, d’après VTB capital, qui estime qu’en 2021, l’indice des prix du brut s’appréciera de 10 %. L’indice montre l’évolution des prix de pierres comparables, sans tenir compte d’une possible correction des assortiments.

Les monopoles ont relevé les prix et maintenu des conditions flexibles pour les transactions. Les plus flexibles sont celles proposées par ALROSA qui a de nouveau autorisé ses clients de long terme à renoncer à 100 % de leurs attributions lors des ventes de janvier et février. Par conséquent, ces clients peuvent acheter du brut en fonction de leurs besoins réels. Mais leur situation ne devrait pas avoir à souffrir de cette initiative puisque la société poursuit ses négociations avant de conclure les contrats de la saison à venir, qui débutera en avril 2021. L’activité des acheteurs – même dans les environnements commerciaux les plus libéraux – deviendra l’argument clé pour décrocher un contrat contenant les assortiments souhaités.

Séance commerciale début 2021

Les nouvelles conditions tarifaires ne semblent pas avoir pesé sur l’engouement des clients. De Beers a vendu 650 millions de dollars de brut lors de son premier sight cette année, organisé du 18 janvier au 2 février. Ce résultat est le plus élevé depuis janvier 2018. Le montant était de 18 % supérieur à celui de l’année dernière et de 44 % supérieur au sight précédent. La demande est encourageante : les clients de la filière intermédiaire ont cherché à regonfler des stocks appauvris, afin de satisfaire les commandes de retail après des ventes de bijoux en diamants importantes pendant les fêtes aux États-Unis, a déclaré Bruce Cleaver, PDG de De Beers. Les ventes de brut profitent également de la demande prévue, à la veille du Nouvel An chinois et de la Saint-Valentin.

En janvier, ALROSA a vendu pour 430 millions de dollars de brut, un chiffre en hausse de 6 % par rapport à janvier de l’année dernière (405 millions de dollars). Comparées aux données record de décembre 2020 (522 millions de dollars), les ventes ont perdu 18 % mais le résultat du dernier mois de l’année a été influencé par des facteurs exceptionnels, comme la vente d’un diamant unique, ainsi qu’une avance de paiement pour janvier.

« Le résultat des ventes de janvier traduit l’amélioration de la demande de bijoux sur les grands marchés de consommation – la Chine et les États-Unis. La demande de brut a par ailleurs été aidée par des stocks sans excès dans le segment de la taille, sans compter que les tailleurs ont la possibilité d’acheter uniquement pour répondre à leurs besoins réels », a affirmé Evgeny Agureev, PDG adjoint d’ALROSA.

Tenders organisés par les petits miniers

On peut noter que, lors des tenders organisés par les petits miniers – qui, en règle générale, traduisent la réalité du marché de façon plus flexible –, les prix de janvier ont été encore plus élevés que ceux des majors, d’après Rapaport. Cette situation diffère totalement de celle de la mi-2020, période où les petits miniers vendaient leur brut 25 % moins cher que De Beers et ALROSA.

Mountain Province a commenté la hausse de ses prix. Lors de ses enchères de janvier, le prix moyen comparable était de 8 % supérieur à celui de décembre. De plus, la société prévoit un maintien de la tendance positive, tandis que les marchés du brut et du taillé se renforcent pendant la saison phare du retail.

Petra Diamonds a également annoncé une hausse de 8 % de ses prix du brut comparables pour son tender de janvier, notant un retour aux prix d’avant la Covid-19.

BlueRock Diamonds a qualifié les résultats de son tender de janvier de très positifs ; à cette occasion, la société a vendu plusieurs grosses pierres, ce qui confirme la forte reprise des prix du brut, d’après la société.

Lors du tender de janvier organisé par Diamcor Mining, les revenus de la société ont été multipliés par plus de trois par rapport à ceux des enchères précédentes, atteignant 267 000 dollars. Le prix moyen a progressé de quasiment 1,6 fois, à 184 dollars par carat.

La hausse des prix du brut s’appuie sur les fortes ventes de bijoux, dans le cadre d’un cycle de réapprovisionnement, plus important qu’en 2019-2020, a fait remarquer VTB Capital.

Indicateurs du retail

Les ventes de bijoux pour les fêtes aux États-Unis ont été largement supérieures aux valeurs historiques, puisque les consommateurs, malgré toutes les difficultés et les obstacles, « ont choisi d’acheter des cadeaux qui réjouiraient leur famille et leurs amis et insuffleraient un sentiment de normalité dans cette année difficile » (d’après le rapport de la National Retail Federation, NRF). La fédération estime la croissance des ventes pendant les fêtes de novembre-décembre à 8,3 % en glissement annuel, contre des prévisions de 3,6 % à 5,2 %. Le résultat est deux fois supérieur à la dynamique des cinq années précédentes, où la dépense des consommateurs augmentait de 3,5 % en moyenne sur la période. La croissance des ventes en ligne a atteint 24 %.

D’après la NRF, pendant la deuxième quinzaine de décembre, les dépenses ont commencé à augmenter en écho aux promesses d’une nouvelle série de mesures de relance par l’administration Biden aux États-Unis et après l’annonce des progrès sur les vaccins contre la Covid-19. Les incitations, en particulier les paiements directs en numéraire, et le soutien aux petites entreprises, seront le gage d’une hausse des dépenses tout au long de 2021, a assuré la NRF.

Les clients se trouvant dans l’incapacité de se déplacer lors de la pandémie achètent davantage en ligne, affirme Tiffany pour expliquer ses résultats puisque la société a annoncé des ventes record pendant les fêtes. Les achats en ligne de marchandises Tiffany ont progressé de plus de 80 %. Au total, entre le 1er novembre et le 31 décembre 2020, les ventes de la société ont pris 2 % en glissement annuel, ceci comprenant les ventes en Chine continentale où la croissance a dépassé les 50 %, compensant les baisses en Europe et en Amérique.

Les ventes en magasins comparables de Signet, opérations en ligne comprises, ont pris 5,6 % en glissement annuel lors des fêtes (les neuf semaines se terminant le 2 janvier 2021). Le résultat cumulé des ventes des fêtes était conforme à celui de l’année précédente puisque la société réduit sa chaîne de boutiques. Parallèlement, ses ventes de commerce électronique ont augmenté d’environ 61 % en glissement annuel. Signet envisage une augmentation de ses ventes en magasins comparables de 4 % à 5 % au premier trimestre 2021.

En Asie, la saison des fêtes a également connu un certain succès. En décembre, les ventes ont quasiment atteint leur niveau d’avant la pandémie en Chine.

Les ventes de bijoux en diamants comparables de Chow Tai Fook étaient en progression de 8 % au 4e trimestre 2020, affichant une amélioration considérable par rapport aux baisses de 2 % du troisième trimestre et de 13 % du deuxième trimestre. Le total des ventes en magasins comparables de Chine continentale a augmenté de 12 % en glissement annuel, étant donné l’amélioration de la situation de la Covid-19. Les ventes à Hong Kong et Macao ont perdu 31 % en glissement annuel, ce qui reste inférieur à la chute du trimestre précédent (-53 %.) Le prix moyen des bijoux sertis de pierres précieuses en Chine a augmenté de 7 % en glissement annuel.

De solides ventes pendant les fêtes vont stimuler le bon réapprovisionnement des stocks de taillé en 2021, étant donné notamment que les détaillants de bijoux aux États-Unis ont entamé la saison avec des stocks inférieurs à la normale, a expliqué VTB Capital.

Statistiques des centres d’achat

Après avoir profité d’une hausse de 33 % en valeur en décembre (à 866 millions de dollars), les importations de brut vers la Belgique ont été ramenées à 628 millions de dollars en janvier 2021, soit 24 % de moins qu’au mois de janvier de l’année dernière, d’après les statistiques fournies par le Antwerp World Diamond Centre (AWDC). Dans le même temps, le prix moyen du brut importé à Anvers a brusquement augmenté en janvier, de 35 %, pour atteindre 108,5 dollars par carat. Les exportations de taillé ont perdu 10 %, à 547 millions de dollars, après avoir augmenté de 9 % (634 millions de dollars) en décembre.

En janvier 2021, les importations de brut vers l’Inde ont augmenté de 65 % en glissement annuel, à 1,26 milliard de dollars. Les exportations de taillé depuis le pays ont pris 9,4 % en glissement annuel, à 1,8 milliard de dollars. À Surat, le centre de taille indien, les usines attirent les travailleurs en leur proposant des salaires et des avantages supérieurs, alors qu’elles envisagent d’augmenter leur production. Les unités de taille indiennes ont atteint leur pleine capacité en raison des pénuries sur le marché et du réapprovisionnement de la filière intermédiaire, des facteurs qui ont renforcé la demande de brut.

Reprise de la production

La reprise rapide du marché au second semestre 2020 tient notamment au fait que l’approvisionnement a été freiné par les confinements et les perturbations opérationnelles, tout comme la demande a été limitée par les restrictions liées au virus et par le basculement vers une consommation motivée par la prudence. En 2020, la production de diamants dans le monde a reculé de 19 %, à 112 millions de carats, le niveau le plus bas des 30 dernières années. Même avec un quatrième trimestre encourageant, la production était en recul de 28 % par rapport à l’année dernière et a totalisé 24 millions de carats. Les sociétés minières ne sont pas parvenues à accélérer rapidement leur production avec l’amélioration des conditions de marché. La production de De Beers, par exemple, s’est établie à la limite inférieure de ses prévisions.

Néanmoins, certains miniers se préparent à reprendre leur activité, suspendue pendant la pandémie.

Diamcor Mining a relancé son projet Krone-Endora, en Afrique du Sud, dont l’activité avait été gelée en mars 2020, là où la production est réalisée à partir de résidus de la mine Venetia de De Beers. La décision a été prise grâce aux bonnes ventes de la société en début d’année.

Lucapa Diamond a repris son activité à la mine Mothae au Lesotho, après un confinement national de deux semaines, se préparant à une solide dynamique du marché en 2021.

Dominion Diamond prépare le lancement de sa production à la mine Ekati après un arrêt de 10 mois.

Les géants de l’extraction n’ont pas fait exception. Après des ventes solides entre septembre et décembre, ALROSA rebascule une partie de ses capacités de production, passant de capacités partielles à une pleine production a déclaré Sergei Ivanov, son PDG, début janvier. À l’été 2020, à l’époque où la demande de brut était minime, ALROSA avait placé les mines Aikhal et Verkhne-Munskoye, qui représentent environ 11 % de la production totale de la société, en mode de fonctionnement saisonnier et également suspendu les puits ouverts Zarya et Zarnitsa (environ 2 % de la production de la société). Le minier profite maintenant de l’occasion pour accroître sa production, puisque les stocks approchent de leur niveau minimum, après avoir considérablement chuté au quatrième trimestre, à 20,7 millions de carats, contre 30,6 millions de carats trois mois auparavant.

« Même si des difficultés persistent au deuxième trimestre, nous pensons malgré tout que le brut que nous produisons trouvera des acheteurs au quatrième trimestre ou à plus long terme, à mesure que les marchés vont se reprendre », considère Sergei Ivanov.

Risques

La volonté des miniers de travailler pour se constituer des stocks, malgré le possible ralentissement de la demande, représente à coup sûr un indicateur important d’un marché durable. Il faut espérer que ses principaux acteurs ont tiré les leçons des précédents cycles de baisse de la demande. Souvenons-nous de janvier 2020, lorsque les miniers – qui tentaient de se reprendre après les pertes dues au « parfait orage » – se sont précipités pour apporter 1 milliard de dollars d’excès de brut sur le marché. Les pierres ont été rapidement absorbées par la filière intermédiaire qui espérait une hausse spéculative des prix, à la veille du début officiel de la pandémie. Les pierres se sont transformées en stock dormant pendant près de six mois.

L’un des facteurs inquiétants pourrait être la baisse d’intérêt dans les tendances Google, un outil qui s’est révélé être un bon indicateur de la demande de taillé, fait remarquer BCS. L’engouement des consommateurs américains pour le taillé a considérablement tiédi au deuxième trimestre 2020 : la demande de bijoux et la vente de diamants se sont effondrées en raison de la pandémie et des confinements. À la fin de l’année, l’intérêt et la demande s’étaient rétablis par rapport aux plus bas du mois d’avril, grâce aux ventes, ce qui est habituel et conforme aux tendances saisonnières des années précédentes.

Fin décembre et début janvier, l’enthousiasme des consommateurs américains s’était terni, ce qui devrait nous inciter à limiter la hausse des prix des diamants. BCS explique que le ralentissement saisonnier de l’intérêt des consommateurs américains pour le taillé après le Nouvel An fait planer le doute sur ces attentes de prix constamment positifs et de dynamique des ventes. Puisque le marché américain représente environ 50 % de la consommation de diamants dans le monde et si cette tendance se maintient, la baisse de popularité de la recherche « bague en diamants » sur Google laisse selon nous présager une possible reprise limitée des prix du brut et du taillé.

Source Rough&Polished