Reprise de l’activité : des signes positifs pour les joailliers

Leah Meirovich

À l’heure où les détaillants américains peinent à se remettre après les arrêts liés au coronavirus, beaucoup espèrent que la reprise est en chemin.

Les temps sont durs pour le luxe en général et pour les bijoux en particulier. Dans une récente étude de McKinsey & Company, les bijoux ont été cités parmi les produits de luxe que les consommateurs sont le plus susceptibles de laisser de côté après la Covid-19, étant donné la crise financière que le virus a laissée dans son sillage. Reste à savoir la place que prendront les dépenses discrétionnaires dans la « nouvelle normalité » et ce que réserve l’avenir au bijoutier moyen ?

Les bijoutiers locaux ont été durement touchés par la pandémie, notamment parce qu’elle a coupé les vannes de leur principale source de revenus pendant plus de deux mois. Confrontées à des fermetures massives, des congés et des aides du gouvernement, les entreprises américaines se sont inquiétées non seulement pour leurs propres moyens de subsistance mais aussi pour ceux de tous les employés qui comptaient sur elles. Mais surtout, elles ont craint pour leur vie quotidienne : dans les 50 états, les décisions régissant le mode de fonctionnement des entreprises étaient différentes. Elles ont ainsi dû trouver comment préserver la sécurité des employés et des clients, tout en ravivant l’envie des consommateurs d’acheter un produit réputé non essentiel.

La voie vers la réouverture

L’époque où il suffisait d’aller à la boutique, de déverrouiller la porte et de poser la pancarte « Ouvert » est révolue. Selon la gravité de la pandémie dans leur État, de nombreux bijoutiers empruntent des chemins détournés – et parfois longs – pour pouvoir ouvrir. Certains États, comme l’Arkansas, n’ont jamais fermé, tandis que dans certaines régions du nord-est, ils n’ont pu proposer qu’un « drive » pour la livraison. Et puis il y a le cas de New York et Washington D.C., qui restaient strictement fermés à l’heure où nous rédigions.

« Notre gouverneur n’a jamais imposé de mesures de fermeture, explique Craig Underwood qui dirige Underwoods Fine Jewelers à Fayetteville, dans l’Arkansas. Nous étions l’un des rares États où tout est resté ouvert. Ils nous ont plus ou moins demandé de minimiser les contacts et de faire au mieux pour travailler de manière sûre mais il n’y a pas eu de règles strictes et contraignantes. »

Même si Craig Underwood a pris des précautions, en fermant sa porte à la clientèle et en travaillant sur rendez-vous uniquement au cours des premières semaines, la situation a été plus difficile pour d’autres.

« Nous ne sommes ouverts que pour le drive pour l’instant, ce qui est très bien, déplore Stewart Brandt, propriétaire de H. Brandt Jewelers à Natick, dans le Massachusetts. Je dois sortir un diamant de 5 000 dollars pour le mettre sur le siège arrière d’une voiture ? Je ne crois pas. »

Même si Stewart Brandt a rencontré des difficultés pour vendre, étant donné les restrictions qui lui ont été imposées par les dirigeants de l’État, c’est un problème que d’autres bijoutiers auraient aimé avoir.

« Nous n’avons pas encore rouvert, explique Caroline Hill, responsable de Van Scoy Jewelers à Wyomissing, en Pennsylvanie. Nous attendons encore. Notre gouverneur nous dit simplement que peut-être, plus tard, il nous placera dans une zone où nous pourrons peut-être ouvrir. C’est horrible. »

Tiny Jewel Box, à Washington D.C., est également resté fermée. Même si la société a réussi à réaliser quelques petites ventes en ligne, elle n’a pas pu satisfaire la plupart de ses clients car le maire du district ne l’a pas autorisé, explique Grace Tuminnelli, sa directrice du marketing et des communications. Et même lorsque la boutique obtiendra toutes les autorisations, elle devra probablement travailler sur rendez-vous uniquement, puis adopter des entrées échelonnées avec une capacité limitée.

Prendre les choses en main

De nombreux bijoutiers sont non seulement découragés par la perte d’activité à long terme, mais ils sont aussi très en colère – au point que beaucoup ont pris les choses en main pour tenter de sauver leurs boutiques.

« On ne nous a peut-être pas donné l’autorisation d’ouvrir un drive mais nous le faisons quand même, déclare Caroline Hill. Peu importe si j’ai le droit ou pas. Les gens ont des bijoux ici et s’ils veulent venir les chercher, c’est leur droit. »

Gary Long, propriétaire de Gary J. Long Jewelers à Stockton, en Californie, partage le sentiment de Caroline Hill. Non seulement les règles n’étaient pas claires, considère-t-il, mais elles étaient également parfois biaisées. Bien qu’il n’ait reçu l’autorisation d’ouvrir sa boutique que fin mai, il a « officieusement » rouvert le 7 mai, juste avant la Fête des Mères.

« Mon interprétation ne va pas à l’encontre des règles du gouvernement, maintient-il. Le gouverneur a affirmé que les fleuristes et les boutiques de vêtements pouvaient ouvrir, j’ai donc considéré qu’il parlait des endroits où les gens peuvent acheter pour la Fête des Mères, c’est-à-dire nous. Nous avons donc ouvert en même temps. Et je l’ai fait parce que c’était la Fête des Mères et que nous avions été fermés pendant sept semaines, sans aucun revenu, rien du tout. Rien du tout. J’en ai vraiment eu assez d’entendre les politiciens. Ils sont payés, leur personnel est payé et pourtant, ils exigent que nous restions fermés. Alors je me suis dit, c’est bon, je vais ouvrir. »

Jimmy Green a lui aussi ressenti cette frustration. Le propriétaire de J Green Jewelers à San Antonio, au Texas, a maintenu son activité, alors même que sa devanture était fermée. Chaque jour, il se rendait au domicile de ses bijoutiers et de son ingénieur CAO, déposait des paquets sous leur porche, puis attendait qu’ils soient ramassés. Lorsqu’ils avaient fini leur travail, il repassait et récupérait les marchandises au même endroit, faisait demi-tour et livrait les clients de la même façon.

« Il faut dire que les épiceries et les magasins de spiritueux sont ouverts et qu’ils peuvent faire entrer autant de personnes qu’ils veulent. Personne n’a demandé aux magasins de spiritueux de fermer, fait-il remarquer. Où est l’équité si Costco et Walmart sont autorisés à ouvrir et à vendre tout ce qu’ils veulent, y compris des bijoux et des vêtements, mais que les boutiques de bijoux et de vêtements doivent rester fermées ? Que fait-on des bijoutiers ayant des entreprises familiales et qui doivent vendre pour 200 dollars pour payer le loyer du mois alors que Walmart et Costco peuvent vendre autant de bijoux qu’ils veulent ? Où est la justice ? »

Stewart Brandt travaillait également. « Si l’un de mes clients m’appelle et me dit : « Je veux acheter quelque chose » – bien sûr. »

Parfois, semble-t-il, même les autorités peuvent faire la sourde oreille face à des entreprises qui travaillent pendant le confinement.

« L’une des personnes dans ma boutique la semaine dernière était un officier de police locale, raconte Stewart Brandt. C’est une cliente habituelle, elle a enchéri lors de l’une de mes enchères sur Facebook et elle a gagné, elle est donc venue réceptionner l’article. »

Des ventes prometteuses

Le simple fait que des bijoutiers aient eu des clients pour qui ouvrir en plein cœur de l’épidémie, était une bonne nouvelle pour les propriétaires d’entreprises. Même si leur nombre est loin des niveaux d’avant la pandémie, les boutiques constatent des ventes prometteuses depuis la réouverture.

« Notre activité avait atteint un très haut niveau juste avant la Fête des Mères, indique Gary Long. Tout au long du mois, depuis notre réouverture, les résultats ont été assez bons. »

Même si une grande part de l’activité était composée de réparations et de nettoyages que les clients avaient reportés, les achats de bijoux neufs n’étaient pas en reste. De nombreux clients ont envie de fêter le fait de pouvoir de nouveau sortir et se promener.

« L’activité est raisonnable, explique Joel Siegel, copropriétaire de Siegel Jewelers à Grand Rapids, dans le Michigan. Il y a une légère baisse par rapport à d’habitude, mais pas trop importante. Le lendemain de la réouverture a été l’une de nos meilleures journées et nous recevons des gens de façon continue depuis lors. »

Mills Jewelers, à Lockport, État de New York, a eu la chance de susciter un intérêt continu, même pendant la période de fermeture.

« Semaine après semaine, le téléphone sonnait davantage et nous recevions toujours plus d’e-mails et de SMS, il est devenu presque impossible pour moi de gérer, explique son propriétaire George Fritz. J’avais quelques clients réguliers qui célébraient une occasion spéciale, m’appelaient pour me demander : « Qu’avez-vous en stock, pouvez-vous m’envoyer une photo ? » Certaines demandes portaient sur de gros achats. Bien sûr, les anniversaires, les anniversaires de mariage, toutes ces choses continuent, même si vous êtes confinés. »

Sa réouverture a été pour lui un tremplin encore plus important pour son activité.

« Le premier jour, j’avais l’impression d’être un drive de McDonald’s, plaisante George Fritz. Il y avait beaucoup de monde et les gens étaient heureux. Hier, je dirais que nous avons eu le même nombre de clients que lors d’une journée ordinaire avant la pandémie. Je me suis dit : « Oui, on sera peut-être occupés pendant les deux premières semaines mais cela va ralentir » – mais ça n’a pas été le cas jusqu’à présent. Nous avons été surpris de vendre des bijoux dans la rue et aux fenêtres des voitures. Je ne pensais pas cela possible. »

Un flux régulier de gros achats

Non seulement les gens sortent et recommencent à acheter mais il est étonnant de noter que beaucoup dépensent plus qu’avant la pandémie, alors que l’activité était florissante, d’après de nombreux bijoutiers.

« Nous avons connu des variations de 20 % à 100 % du nombre de personnes, si on compare les chiffres à nos moyennes d’avant la pandémie, annonce Ed Menk de E. L. Menk Jewelers, à Brainerd, dans le Minnesota. Mais il suffit d’une bonne vente et la journée est réussie… et nous en avons eu toute une série. »

Jimmy Green a également découvert que la hausse de valeur des achats compensait dans une certaine mesure la baisse du nombre de clients. 

« Nous sommes stables – je ne dirais pas que nous sommes surchargés mais il y a toujours au moins un client dans la boutique et cela augmente chaque jour. Et même si je vends dans toutes les catégories, j’ai réalisé plusieurs ventes de plus de 50 000 dollars. »

Kelly Newton, propriétaire de Newton’s Jewelers à Fort Smith, dans l’Arkansas, profite également de la volonté renouvelée des clients de dépenser leur argent. Et bien que l’activité soit totalement différente de celle des mois de janvier et février – où il avait battu des records vieux de 106 ans – il est content de l’engagement des clients.

« L’activité est vraiment très bonne, touchons du bois, dit-il. Tout ce que nous vendons, en majeure partie, est assez gros. Nous avons vendu des Rolex hier et nous constatons davantage d’achats de valeur supérieure. »

Les raisons de la hausse des dépenses sont variables, d’après les bijoutiers. Une partie concerne des dépenses « plaisir », mais la grande majorité s’appuient sur l’aspect émotionnel des bijoux – des sentiments forts naissent en situation de crise. De nombreuses personnes ont perdu des proches et le monde a appris à apprécier les relations personnelles.

« Notre fréquentation est probablement de 20 % à 25 % de ce qu’elle est en temps normal mais en termes de valeur, nous sommes en progression d’environ 75 %, fait remarquer Craig Underwood. Les gens ne sortent pas pour acheter des petits trucs. Lorsqu’ils entrent, ils veulent faire un achat d’importance. Les gens viennent pour des bagues de fiançailles, des anniversaires de mariage, des anniversaires marquants. »

Les personnes sont également plus disposées à s’engager. La crainte née de la pandémie a accéléré cet élan.

« Nous avons vendu toute une série de diamants – certains d’un carat, d’un carat et demi, voire de deux carats ou plus, explique Gary Long. Nous avons reçu plusieurs couples en quête de bagues de fiançailles – davantage, je pense, qu’auparavant. »

Qu’en est-il des financements ?

Bien entendu, tout n’est pas positif. La frustration de ne pas pouvoir ouvrir a été remplacée par des problèmes liés aux congés des employés et par le fait de ne pas connaître l’endettement auquel les bijoutiers seront confrontés après avoir reçu l’aide du gouvernement.

Bien que la plupart des bijoutiers estiment que la procédure d’obtention de fonds par le biais du Programme de protection des salaires (PPP) de la Small Business Administration a été relativement simple et efficace, certains affirment que cela leur a également posé des difficultés dans leur fonctionnement.

« Un très très grand nombre de mes amis qui possèdent des entreprises ont d’horribles difficultés à faire revenir leurs employés pour l’instant parce que, tant qu’ils touchent de l’argent fédéral, ils sont payés davantage pour rester chez eux que pour aller travailler », explique Jimmy Green.

La durée limitée du financement pose également problème. Même si le PPP couvre deux mois de salaire pour les employés, de nombreux États sont confinés depuis plus longtemps. Ainsi, si des professionnels veulent retenir leurs employés, ils doivent se charger du paiement des salaires au-delà de cette période.

« J’ai pris les choses en mains et j’ai payé mes employés pour qu’ils continuent à venir, explique Ed Menk. Même si j’ai pu obtenir une aide financière du gouvernement, elle ne couvre pas tout. Et j’ai dû verser directement de ma poche trois ou quatre semaines de salaire. »

De plus, même si le PPP aide à payer le personnel, il ne faut pas oublier les propres besoins du bijoutier. « J’ai reçu le versement directement sur mon compte, deux ou trois semaines après l’avoir demandé, explique Caroline Hill. Le problème, c’est que je dois dépenser environ 75 % de cette somme pour les salaires et que je n’ai toujours pas le droit d’ouvrir ma boutique et de gagner de l’argent. Que suis-je censée faire ? C’est ridicule. »

De nombreux bijoutiers s’inquiètent également des dettes qui pourraient devoir être payées après le PPP.

« Nous attendons toujours de savoir quelles sommes vont nous être données et celles qui seront transformées en prêts, explique Joel Siegel. Nous connaissons les règles mais c’est toujours un peu flou, nous attendons donc de voir comment cela va se dérouler. »

Gary Long est lui aussi incertain à ce niveau. « Je suis curieux de voir ce qui va se passer sur la partie du prêt qui ne sera pas recouvrée. Je ne sais même pas s’ils ont déjà décidé. »

Un avenir optimiste

Pour les bijoutiers locaux, le plus gros atout pour rebondir est peut-être leur situation locale. Une crise incite souvent les communautés à se regrouper autour de leurs entreprises locales, d’après des experts, et la fidélité peut être un facteur fort.

« Je pense que désormais, de nombreuses personnes vont acheter local, ce qui est une très bonne nouvelle », affirme Gary Long.

Jimmy Green, qui gère souvent des campagnes pour aider sa communauté de San Antonio lorsque des personnes en ont besoin, a constaté qu’il était payé en retour.

« J’ai assisté à un incroyable déferlement de la part de la communauté, les gens me souhaitaient bonne chance, venaient me voir, ils étaient vraiment très heureux de voir que j’avais ouvert », raconte-t-il.

Kelly Newton, quant à lui, adopte une approche du type : « Si vous mettez quelque chose en place, ils viendront à vous », afin de permettre aux entreprises de retrouver un flux normal. « Il ne peut pas être question d’argent dans cet environnement car cela n’est pas réalisable, prévient-il. Il s’agit de nouer des relations. Parce qu’il faudra longtemps avant de revenir là où nous étions.Pour l’instant, nous allons juste devoir faire du mieux possible. Espérons qu’il suffira de régler toutes les factures. Jusque-là, ça été le cas. »

Pour lui, l’attitude adoptée est importante. « Je dois choisir entre être positif ou négatif, je vais donc décider d’être positif. Si les choses tournent mal, vous travaillez un peu plus dur ou vous travaillez différemment. Vous ne pouvez pas compter sur le fait que les choses vont rester les mêmes car notre environnement a totalement changé. »

En parallèle, certains bijoutiers sont prêts à patienter tant que les choses n’ont pas repris un semblant de normalité.

« Les gens ne vont pas sortir en masse comme avant, affirme Gary Long. Je pense qu’il faudra peut-être deux, trois, quatre, cinq mois avant que cela reparte. Espérons que la situation s’améliore d’ici Noël. »

George Fritz pense que cela pourrait arriver plus tôt, étant donné l’activité qu’il a constatée jusqu’à présent. « Je pense vraiment que d’ici l’automne, nous serons proches de la normale. C’est en tout cas ce que j’espère si la trajectoire actuelle se maintient. »

Jimmy Green a une réponse plus simple à la question de savoir pourquoi les clients pourraient reprendre prochainement leurs habitudes d’achat d’avant la pandémie : « Tant que les hommes continueront d’aimer les femmes et que les femmes continueront d’aimer les bijoux, nous irons bien », plaisante-t-il.

Source Rapaport


Photos © With Love 3rd Strand LLC, DR.