Rapport sur le marché : faiseurs de prix, preneurs de prix… ?

Elena Levina

Peut-être assistons-nous actuellement à une nouvelle évolution du marché. Les producteurs de brut continuent de fixer les prix lors des séances de négociation et les acheteurs continuent d’acquérir du brut sur leurs fonds. [:] Dans le même temps, une troisième influence est apparue et gagne en puissance. Le secteur financier ne se tient plus à l’écart et les banques prêtent aux diamantaires. Il se pourrait d’ailleurs que l’état de l’industrie dépende désormais d’elles.

Le marché s’appuie depuis toujours sur des lignes de crédit. L’intervalle entre l’achat de brut et les bénéfices issus du taillé étant de quelques mois, seules quelques grandes sociétés disposent d’un fonds de roulement suffisant pour y échapper. Ce mode de fonctionnement n’était pas obligatoire : le groupe de banques « spécialisées » dans le diamant s’est toujours montré parfaitement disposé à collaborer avec l’industrie. Jusqu’à la crise de 2008 au moins, il était probablement plus facile d’obtenir un prêt pour du brut que pour toute autre chose.Dès lors, il est même surprenant que les événements de 2008-2009 soient qualifiés de « crise » dans l’industrie du diamant et que ce ne soit pas le cas des événements de 2011. C’est en effet l’année 2011 qui a creusé la fissure qui existait depuis des décennies.

La hausse des prix du brut en 2011 (de plus de 50 %) a bien sûr été bien accueillie par les banques : les sociétés commerciales et les fabricants ont vu leur chiffre d’affaires augmenter constamment et leurs dépôts dans les banques ont progressé au fil du temps. La baisse des prix qui a débuté en septembre a déprécié ces dépôts de plus de 20 % en quelques mois seulement. La situation a été encore compliquée par la chute de la roupie indienne face au dollar américain, chute liée à la nature de l’économie indienne. Puisque l’Inde taille environ 90 % des diamants du monde, la dépréciation de la roupie a nui au pouvoir d’achat de la plupart des fabricants du monde. Un risque important de défaut est apparu sur les prêts.

La situation n’a pas engendré de faillites de masse. Toutefois, la dépréciation des garanties et la menace de défaut de paiement ont influé sur les comportements. Les banques du « diamant » ne se sont pas contentées de largement relever le niveau d’exigence pour les emprunteurs ; certaines ont décidé de réfléchir à la légitimité de financer cette activité. L’introduction obligatoire de la réglementation bancaire de Bâle 3 en 2012 a joué un rôle primordial. Elle a fixé des obligations strictes pour les banques elles-mêmes.

Selon les spécialistes du marketing, ce resserrement des exigences a touché toutes les sociétés sans exception, jusqu’aux sightholders de la De Beers et aux clients d’ALROSA. Désormais, une grande société doit déposer une caution allant jusqu’à 30 % du coût des diamants achetés. Quant aux sociétés peu connues, elles peuvent devoir apporter une garantie égale à la valeur des achats. Selon certaines sources, l’accès au crédit pour les nouvelles sociétés est totalement impensable.

Ces difficultés de crédit sont liées aux spécificités du commerce des diamants. Le système des accords à long terme avec les clients, actuellement adopté par toutes les grandes sociétés minières, offre de bons profits aux négociants de brut lorsque le marché est satisfaisant. Il exige aussi d’acheter une quantité déterminée à prix fixe lorsque le marché est faible : tel était la situation en novembre 2011, situation dont le marché, semble-t-il, vient juste de commencer à sortir. Personne n’ignore qu’en 2012, de nombreux fabricants n’obtenaient que des marges minimes, certains travaillaient même à perte. Selon les données du GJEPC, les exportations de taillé de l’Inde ont chuté de 35 % au cours de l’exercice 2012-2013 (clos en mars 2013) par rapport à l’année précédente. En effet, à qui préféreriez-vous prêter : à une entreprise en croissance constante ou à un tailleur de diamants qui parvient simplement à l’« équilibre » ?

En outre, en période d’instabilité économique, les banques veulent pouvoir se faire une idée claire de la valeur des garanties détenues. Elles veulent connaître les principes de la tarification des diamants. À qui préféreriez-vous prêter : disons, à une certaine société d’exploitation aurifère, dont la garantie s’estime aisément à partir du cours de bourse moyen de l’or le jour de la transaction, ou à un diamantaire pour qui le concept de prix d’échange est inconnu ? La réponse est évidente.

Relisez les analyses publiées par tous les grands médias l’année dernière : le problème du financement de l’industrie est mentionné presque à chaque fois. Le sujet est peut-être en train de devenir une pomme de discorde entre les banques et leurs clients, qui refait surface presque chaque mois.

Plus les banques posent de questions à l’industrie, plus les montants qu’elles sont disposées à prêter s’amenuisent. Et plus les crédits reçus par l’industrie baissent, plus le marché se développe lentement. Les prix du brut début 2013 en sont un exemple typique. L’augmentation douce et progressive des prix, initiée par les plus grands producteurs de brut (de quelques pourcentages à chaque séance de négociation), associée à un approvisionnement contrôlé, a donné au marché une chance de commencer à se reprendre. Pour la première fois depuis longtemps, des boîtes du marché secondaire se sont négociées avec un premium en février et en mars. Une fois de plus, les fabricants ont évoqué des marges susceptibles de leur assurer une activité relativement confortable.

La dynamique des prix du brut au premier trimestre peut être suivie dans le graphique des prix moyens du brut exporté de Belgique (en dollars/ct) :


* Préparé par Rough&Polished sur la base des données du AWDC

Cependant, une nouvelle augmentation de prix en avril (les estimations varient de 3 % à 7 %), évoquée par des sources du marché, a abouti à un « rognage » des marges des fabricants et quelque peu gelé le secteur. Du fait de son accès limité au financement, le marché n’a pas le temps de « digérer » les fluctuations du brut. La demande de taillé reste cependant assez stable. Les joailliers rapportent une augmentation constante de leurs performances au cours du dernier trimestre financier.

Nous devrions sûrement prévoir une nouvelle période de stabilisation des prix. Selon des sources du marché, ALROSA a déjà décidé de ne pas augmenter les siens lors de la prochaine séance de négociation. La De Beers devrait prendre la même décision (le sight de mai sera lancé cette semaine). Dans tous les cas, une hausse des prix dans le contexte actuel apparaîtrait extrêmement illogique pour les miniers. Elle pourrait engendrer une baisse des ventes et non la croissance espérée.

Mais, prises isolément, les mesures adoptées par les miniers et les attentes exprimées par les fabricants ne semblent pas suffire. Pour acheter des diamants, il faudra toujours de l’argent. Il est grand temps, semble-t-il, que les « forces » qui dominent l’industrie, désormais au nombre de trois, arrivent à s’entendre sur la question.

Source Rough & Polished