Quelle est la prochaine étape pour De Beers ?

Rob Bates

Après avoir moi-même traversé plusieurs acquisitions et restructurations dans des entreprises pour lesquelles j’ai travaillé, je ressens beaucoup de sympathie pour les 20 000 employés de De Beers, qui viennent d’apprendre les projets de cession de leur société par son actionnaire majoritaire, Anglo American American. Certes, les grands changements portent parfois leurs fruits, mais ils sont rarement agréables pour les salariés concernés.

Avant 2023, De Beers suivait une trajectoire plutôt positive mais récemment, elle a connu d’importantes difficultés, liées à un recul des ventes et à la perspective de réduire son résultat net de 100 millions de dollars. Plusieurs collaborateurs de longue date ont déjà quitté la société et c’est un sentiment d’anxiété qui semble régner parmi les personnes concernées. Quoi qu’il en soit, le mantra asséné lors de la plupart des événements et soirées de De Beers, « l’argent n’est pas un problème », n’a probablement plus lieu d’être.

Compte tenu du long historique qui lie la société à Anglo American, l’annonce a surpris les professionnels de l’industrie, ce qui est d’autant plus étrange que le côté sentimental ne signifie plus grand-chose de nos jours. De toute évidence, Anglo American, qui détient 85 % de De Beers, subit des pressions. L’Australien BHP a en effet déjà émis une offre de rachat. D’autres miniers pourraient lui emboîter le pas. (BHP ne semble pas faire preuve d’une passion débordante pour les diamants. La société s’est d’ailleurs dessaisie de ses actifs dans le secteur en 2012.) Ainsi, Anglo American est sur la défensive, et prévoit de céder ses actifs dans trois matières premières en difficulté : les diamants, le platine et le charbon.

Je ne me prononcerai pas à propos du charbon, mais il est tout à fait possible que les ventes de platine et de diamants se reprennent. Les déboires du marché du platine n’ont pas de véritable lien avec le secteur des bijoux. Ils sont davantage provoqués par la popularité des véhicules électriques, comme l’a expliqué à National Jeweler Benn Oeyen, cadre chez Anglo American, au cours de la semaine du 6 mai. Alors que les ventes de véhicules électriques semblent avoir atteint un pic, Benn Oeyen estime que le platine a toutes ses chances pour s’imposer dans les voitures de prochaine génération : les véhicules à hydrogène propulsés par une pile à combustible. Sa vision est peut-être juste mais, pour l’heure, le cours du métal baisse et l’activité platine chez Anglo American n’est pas rentable. Or, c’est tout ce qui importe à la société. Elle a donc choisi de s’en défaire.

Les ventes de diamants pourraient également connaître un second souffle. Il n’y a pas si longtemps (entre le début et le milieu des années 2010), De Beers s’imposait comme l’enfant prodige d’Anglo American, susceptible de sauver la structure alors que cette dernière était confrontée à un ralentissement conjoncturel. (L’industrie du diamant suit ses propres cycles, sa propre « météo », comme on dit sur le marché.) Et même s’il est difficile de réaliser des prévisions à long terme, notamment au vu de la situation des pierres synthétiques, l’industrie a toujours réussi à tirer son épingle du jeu lors des nombreuses crises qu’elle a connues (voir ICI et ICI ).

Or, l’annonce de cette mise en vente a ébranlé la confiance du marché. Si Anglo American ne souhaite pas céder De Beers alors que le marché est au plus bas, l’humeur dégradée de l’industrie pourrait toutefois ralentir la reprise.

Pourtant, il est tout à fait possible qu’un changement de propriétaire profite au groupe minier. « Cette séparation des deux sociétés nous permettra de déployer et d’appliquer notre stratégie d’une façon encore inédite, a expliqué Al Cook, le PDG de De Beers, au JCK. Je suis à la fois enthousiaste et confiant. »

Certains collaborateurs de longue date s’accordent à dire que l’entreprise minière a tout à gagner à sortir du giron d’Anglo American.

« De Beers n’est pas une société minière à proprement parler, selon une personne qui souhaite garder l’anonymat. Elle s’en sortira mieux après la cession, car Anglo American ne sait pas la gérer correctement. Son PDG Duncan Wanblad ne la comprend pas, pas plus que le secteur des diamants. Or, quand on ne comprend pas quelque chose, on s’en sépare. »

Reste à savoir qui pourrait racheter De Beers. Certains bruits, plutôt déconcertants, laissent entendre que des fonds souverains des États du Golfe pourraient être intéressés, afin éventuellement d’étendre leur influence en Afrique. (Les mêmes rumeurs circulent à propos de la Chine.) Un rachat par d’autres acteurs, à l’instar d’un grand groupe de luxe, semble peu réaliste. De la même façon que les sociétés minières ne sont pas des experts du luxe, les marques de luxe sont rarement au fait de l’activité dans le secteur de l’extraction minière.

Les autres spéculations sur l’identité des acheteurs semblent issues d’imaginations fertiles. Le nom de la famille Oppenheimer a été brandi à plusieurs reprises mais le potentiel sauveur en puissance, Nicky Oppenheimer, est âgé de 78 ans. Avec une introduction en bourse – le choix désigné comme « option par défaut » –, tous les espoirs sont permis mais cela suppose que le marché soit prêt à avancer une offre de rachat pour De Beers. Or, rien n’est moins sûr. Avec du recul, la société aurait dû être cédée il y a des années.

« Ce dont elle a besoin, c’est d’un aiguillage pour son avenir à long terme, mais aussi de ressources financières pour lui permettre de supporter les contractions du marché, a expliqué au JCK un autre employé de longue date de De Beers. Il lui faut également une vision des produits de luxe centrée sur le consommateur afin de créer de la demande. »

Cela est vrai, bien entendu. Prenons le cas de Pandora, qui a probablement réalisé le retour en force le plus réussi de cette industrie. En plein cœur de la tourmente, en 2019, son PDG a affirmé que, pour se reprendre, il fallait « commencer par déterminer les erreurs commises auprès des consommateurs ». C’est également par là que De Beers doit commencer. Elle doit aussi appréhender ses manquements dans les relations avec les détaillants américains, qui ont joué un rôle important dans l’essor des diamants synthétiques.

Ces dernières années, le secteur des diamants synthétiques a sans conteste fait couler beaucoup plus d’encre que celui des diamants naturels. Pourtant, aujourd’hui, avec la baisse des prix et la raréfaction des capitaux d’investissement, les marques de diamants de synthèse ne reçoivent plus la même attention qu’auparavant et leurs ventes diminuent.

De Beers pourrait se redresser mais pas sans difficultés. En effet, cela nécessiterait un engagement fort en termes de marketing à la fois de la part des propriétaires actuels et futurs. Bien entendu, il faudrait investir, en particulier parce qu’ALROSA ne peut plus financer le Natural Diamond Council en raison des sanctions russes. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles le groupe minier a relancé la publicité générique, collaborant avec des détaillants pour diffuser davantage son message.

Il sera intéressant d’observer la société, car certains aspects en font une ressource attractive, tandis que d’autres la desservent. Le comité exécutif de De Beers, dont les membres siègent généralement à vie, ne réunit actuellement que quelques personnes expérimentées dans le secteur des diamants. La guerre en Ukraine a pesé sur les efforts de marketing générique, mais pourrait toutefois se révéler être une bénédiction pour De Beers : si les sanctions du G7 finissent par éradiquer les diamants russes, la société disposera de la quasi-totalité du plus gros marché de diamants au monde. Pour le moment cependant, le groupe minier et ses partenaires africains semblent plus préoccupés par les problèmes logistiques engendrés par les sanctions que par les avantages qu’ils pourraient en tirer.

Le gouvernement du Botswana – propriétaire de 15 % de De Beers – jouera certainement un rôle dans la vente, quelle qu’elle soit, même si l’on ignore sa capacité à imposer un véto contre d’éventuels acheteurs. (Il m’a été impossible d’obtenir des informations sur ce sujet important.) Certes, le Botswana est dirigé par un gouvernement démocratique respecté, mais le pays s’est montré plus exigeant et plus imprévisible dans son partenariat avec De Beers. Près d’un an après avoir accepté de signer un nouveau contrat avec le groupe minier, l’accord n’a toujours pas été finalisé. Je comprends que le pays entende tirer le meilleur parti de ses ressources mais je ne suis pas un dirigeant d’entreprise. Les discours des politiciens destinés à séduire les électeurs peuvent être source d’anxiété au sein des conseils d’administration.

Au final, De Beers pourrait sortir renforcée de toute cette histoire. Mais les conclusions ne sont pas évidentes. Tout cela se traduit par beaucoup d’incertitudes – et l’industrie en a déjà beaucoup.

(Photo publiée avec l’aimable autorisation de De Beers)

Source jckonline