Prudence sur le haut de gamme

Avi Krawitz

Le secteur du diamant haut de gamme est confronté à une certaine dichotomie. Bien que les joailliers et horlogers de luxe européens continuent d’afficher une forte croissance, les fournisseurs de diamants employés dans ce secteur ont noté un net ralentissement de la demande.[:]

Ils font d’ailleurs remarquer que la baisse de la demande pour les petites marchandises de haute qualité, utilisées dans l’industrie horlogère, est une caractéristique spécifique à la récession actuelle. Après tout, le marché du luxe a connu un essor sans précédent ces dernières années, suite à l’arrivée de nouveaux consommateurs aisés en Extrême-Orient, en Asie et en Europe de l’Est, prêts à faire des folies sur le bling-bling.

Aujourd’hui, le prolongement de la crise économique européenne commence à se faire sentir.‎

Après des hausses de prix sans précédent pour le taillé en 2011, le ralentissement économique mondial de 2012 affecte les prévisions de ventes pour les montres, d’où un brusque ralentissement de la demande pour le taillé haut de gamme de moins de 195 », a déclaré Laurent Grossman de Grossman Diamond Manufacturing à Anvers.‎

Laurent Grossman a remarqué que les fournisseurs de diamants se concentrent actuellement sur la fabrication de tailles spécifiques, toujours demandées, soit en full cut, soit en huit-huit. Il a souligné que la volatilité actuelle sur le marché exige de faire preuve de la plus grande souplesse pour s’adapter aux prix en vigueur et à la demande, et pour anticiper sur les futurs changements de prix.

Abraham Fluk, président de Yoshfe Diamonds International (YDI), un important fabricant de pierres rondes, petites et moyennes, de belle taille, et fournisseur pour un grand nombre de marques haut de gamme, a convenu et réaffirmé que les conséquences de la crise économique prolongée en Europe commencent à s’enraciner plus profondément sur le marché du diamant.

D’après ses observations, bien que l’industrie horlogère suisse (comme les marques de luxe françaises) ait constitué un îlot de croissance ces deux dernières années, la demande sur ces secteurs a ralenti en 2012, lorsque les effets de la crise économique ont commencé à se faire sentir.

Ces deux segments souffrent du ralentissement en Extrême-Orient, en particulier en Chine et, dans une moindre mesure, en Russie. Ces pays ont en effet été les plus gros clients de produits de luxe, a déclaré Abraham Fluk. En 2011, année record pour eux, les marques de luxe ont acheté de grandes quantités de petites marchandises de qualité supérieure pour éviter les pénuries d’approvisionnement, leurs achats ont maintenant ralenti suite à une dégradation globale de l’économie et dans l’intention de réduire leur stock.»

Le changement a été brutal. Les fournisseurs de diamants rapportent une demande solide au premier trimestre et un marché optimiste au salon Baselworld de mars. Depuis lors, toutefois, la demande a progressivement fléchi puis s’est arrêtée net, a expliqué un fournisseur, qui a demandé à conserver l’anonymat. «Nous n’avons jamais connu une telle situation, a-t-il affirmé. Même en 2009, il subsistait une certaine activité aujourd’hui, tout le monde semble s’être mis en sommeil.»

Dans un récent rapport intermédiaire, Swatch Group a noté un certain affaiblissement du segment haut de gamme dans certaines régions de la Grande Chine. De même, dans sa 14ème enquête annuelle sur les détaillants de montres, publiée en juin, Goldman Sachs indique s’attendre à un fléchissement des ventes au détail à Hong Kong et en Chine, notamment en comparaison avec 2011, où les chiffres étaient très élevés.

Swatch a également noté que les prix élevés de l’or et des diamants et la surévaluation du franc suisse continuent de peser sur les marges de ses marques. Goldman Sachs s’attend également à un resserrement continu des marges et à une réduction de l’offre face à une demande forte pour les montres très haut de gamme.

Pourtant, les chiffres sont ahurissants. Swatch a déclaré des profits record au premier semestre 2012, grâce à son unité montres et bijoux, qui comprend des marques haut de gamme comme Breguet, Blancpain et Omega la croissance des ventes se monte à 18% en glissement annuel. De même, LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton a enregistré une croissance organique de 13% dans ses segments montres et bijoux, regroupant TAG Heuer, Zenith et Hublot.

D’autres sociétés devraient leur emboîter le pas. Selon Goldman Sachs, 77 % des 130 détaillants interrogés dans le monde dans le cadre de son enquête prévoient une hausse des ventes en 2012 et l’élargissement de cette tendance à l’industrie horlogère.

Certes, ce secteur demeure important pour la Suisse. Selon la Fédération de l’industrie horlogère suisse, les exportations horlogères du pays ont augmenté de 16 % en glissement annuel à 10,38 milliards de dollars (10,14 milliards de francs suisses) au premier semestre 012. Ce total était 39 % plus élevé que celui enregistré pour la même période en 2010.

Or, malgré la croissance continue attendue par les détaillants, ceux-ci conservent des stocks inférieurs à la moyenne. Goldman Sachs a estimé que les marques prennent de plus en plus le contrôle de leur distribution, en ouvrant davantage de magasins monomarques et en réduisant le nombre de détaillants extérieurs.

«Le déstockage important observé en 2008-2009 dans les réseaux de détail multi-marques a accéléré ce changement, ont expliqué les analystes de Goldman Sachs. Selon nous, les stocks de ces réseaux fragmentés en Europe et aux États-Unis devraient être beaucoup plus faibles qu’en 2008. Par conséquent, le risque de déstockage majeur, tel qu’il a pu être constaté en 2008-2009, diminue aujourd’hui.»

De surcroît, Goldman Sachs a rapporté que les détaillants s’attendent à un ralentissement des montres en métaux précieux face à un renforcement des marques techniques. Comme Swatch l’a fait remarquer, les prix élevés de l’or et des diamants font pression sur les marges bénéficiaires. ‎

En outre, et nous l’avons vu auparavant, même si les consommateurs riches ne réduisent pas nécessairement leurs dépenses dans les moments difficiles, ils ont tendance à opter pour des achats plus modestes, alors que d’autres connaissent des difficultés.

Il n’est donc pas étonnant que les sociétés horlogères de luxe limitent leurs achats de diamants. Elles indiquent avoir suffisamment de pierres en stock pour satisfaire leurs besoins de fabrication à court terme en matière de montres et de bijoux.

Certains acteurs de l’industrie du diamant se préparent à une reprise de la demande lorsque ces stocks s’épuiseront. D’autres font remarquer que la récente attitude de prudence adoptée par les horlogers en termes de gestion de stock dénote une tendance et une stratégie à long terme.‎
De toute façon, depuis la crise de 2008, la baisse des stocks est chose certaine dans la filière et une évidence sur le marché du diamant en 2012. La situation a maintenant rattrapé le segment des montres haut de gamme.

Non pas que les achats étaient rares auparavant, mais les acquisitions de diamants haut de gamme ces deux dernières années ont alimenté les prévisions positives pour le secteur, et ce même au premier trimestre 2012. ‎

Les ventes de montres haut de gamme continuent de donner de meilleurs résultats que le reste du marché des bijoux en revanche, la soudaine retenue du secteur de l’horlogerie en matière d’achat de diamants vient bouleverser les perspectives. L’industrie horlogère prévoit peut-être une poursuite de sa propre dynamique de croissance des ventes, mais elle adresse également un message d’avertissement fort, et peut-être dur, à l’industrie du diamant.

Source Rapaport