Or et diamants, des risques identiques?

Avi Krawitz

La récente chute des prix de l’or n’a pas eu d’effet sur le marché du diamant. Après un premier trimestre positif et stable, le secteur est resté homogène cette semaine, face à des marchés de l’or en pleine débandade.[:] Les ventes massives du métal jaune envoient toutefois un avertissement sévère au marché. Vu le climat économique actuel, il est déconseillé de faire preuve de complaisance. ‎

L’or a brusquement chuté entre vendredi et lundi (du 12 au 15 avril), atteignant des plus bas depuis deux ans. Son cours a, dans le même temps, dépassé la barrière des 1 350 dollars l’once. Techniquement parlant, l’or a migré vers un marché baissier, parallèlement à d’autres matières premières comme l’argent et le platine. Les analystes ont jonglé avec des superlatifs attendus. Les termes « désagréable », « massacre », « une fois par génération », « fin du monde » sont apparus dans quelques titres d’analyses. Leurs auteurs ont même parfois employé les mêmes accroches à sensation que les journalistes. ‎

Pour une fois, ils sont excusables. Beaucoup n’ont pas connu autant de ventes massives indépendantes de matières premières, et notamment pour l’une d’entre elles. La situation apparaît très difficile à expliquer. En revanche, les marchés boursiers ont largement maintenu leurs positions, après une première réaction le vendredi. Jeudi, le Dow Jones Industrial Index était en baisse de 1,5 % sur la semaine, tout en conservant une progression de 10 % depuis le début de l’année.

Selon les analystes, plusieurs facteurs ont contribué à la chute de l’or : des bruits selon lesquels les fonds spéculatifs liquidaient leurs positions, des ventes de fonds indiciels négociables, le fait que Chypre soit forcée de vendre ses réserves d’or et le possible épilogue de l’assouplissement quantitatif américain. La force du dollar peut également avoir contribué à cet état de fait.

Ces facteurs traduisent tous une baisse des investissements et de la demande de la banque centrale, lesquels, selon le World Gold Council (WGC), représentaient ensemble environ 47 % de la demande totale d’or en 2012. Or, cela ne s’accompagne pas d’une baisse significative de la demande de bijoux, qui représentait environ 43 % du total pour l’année dernière.‎

La récente chute des prix de l’or a au moins favorisé la demande pour les bijoux, en particulier en Inde et en Chine, les deux plus grands marchés consommateurs. Cela ne veut pas dire que la pondération des prix de l’or donne lieu à des bijoux moins chers. En effet, les détaillants ne devraient pas ajuster leurs prix à la baisse sur les stocks existants. Ils ne devraient pas non plus sacrifier la progression de leurs marges, dans un environnement volatil, lorsque les marchandises fabriquées avec de l’or acheté au nouveau tarif seront proposées en magasin. ‎

Au contraire, les consommateurs en Inde et en Chine y verront la possibilité d’acheter des bijoux durant leurs saisons de mariages respectives, en avril et en mai. Ces clients sont naturellement portés vers l’or. Généralement, ils estiment le potentiel d’investissement des bijoux lors de l’achat. Les manchettes qui annoncent la baisse des cours de l’or devraient les attirer. Pourtant, les analystes prévoient que les plus bas n’ont pas encore été atteints. ‎

Les grossistes indiens qui se sont entretenus avec Rapaport News attendent une certaine stabilité des prix avant de s’engager. Ils prévoient que les consommateurs feront de même : le niveau maintenu au cours de la seconde moitié de la semaine les conforte dans cette position. Les réactions en Chine font état d’une demande croissante, qui a engendré une pénurie de bijoux, à quelques semaines des fêtes du premier mai.

Pourtant, l’augmentation de la demande des consommateurs à ce stade ne suffira pas à compenser la baisse de la demande des investisseurs. La hausse prévue pour les bijoux ne devrait pas permettre de reprise des cours de l’or à court terme. La tendance à la baisse devrait l’emporter sur le marché de l’investissement.‎

Cette situation entraîne un changement structurel pour l’or. Auparavant, même si les perspectives de consommation des bijoux dépendaient de l’activité économique mondiale, elles étaient équilibrées par la réputation du métal, celle d’une réserve de richesse dépourvue de risque. ‎

La réputation de valeur refuge de l’or a donc été remise en cause cette semaine. Les analystes de Liberum Capital ont noté que l’or ne réagissait plus aux mauvaises nouvelles du premier trimestre, comme celles de la Corée du Nord, du défaut de Chypre ou de l’assouplissement quantitatif massif au Japon. « Les actifs risqués ont regagné de leur attrait. Les actifs refuge, dont le rendement est faible, ont soudain perdu de leur intérêt », a écrit Liberum. ‎

Certes, le risque est omniprésent. Il devrait normalement stimuler la demande pour l’or en tant que valeur refuge. Au contraire, la vente massive peut traduire le pessimisme des investisseurs que ne ressentent pas les consommateurs de bijoux en or. Comme l’écrit Tom Lines, auteur et consultant en matières premières, dans un blog hébergé sur le site du Guardian : « Les matières premières sont des produits qui s’échangent physiquement. Elles reflètent donc mieux l’état réel de l’économie que la bulle du marché boursier de cette année. »

Quant au marché des diamants, il est largement contraint par la demande des consommateurs, en dépit de l’intérêt croissant dont font preuve les investisseurs. Parallèlement, la demande sur les principaux marchés des bijoux en diamants (États-Unis, Chine et Japon) est stable dans le meilleur des cas. ‎

L’évolution des prix des diamants s’est rarement calquée sur celle de l’or ces dernières années. En effet, ils ne subissent pas encore l’influence des investisseurs. En revanche, ils reflètent généralement mieux les marchés financiers, en attendant que des garanties d’une amélioration économique stimulent la confiance des consommateurs. Si, comme le suggère Tom Lines, les matières premières traduisent mieux l’économie réelle, les diamants vont actuellement dans la mauvaise direction. ‎

Les investisseurs se sont peut-être emballés en 2013, comme ont pu le faire des négociants en diamants aux bases solides. Soulagés de voir arriver la fin de l’année 2012, les marchés des diamants se sont stabilisés au premier trimestre, amenant une amélioration de l’ambiance. Les échanges de taillé restent malgré tout limités et les fabricants prudents. L’offre de brut a été contrôlée. Quant à la spéculation, elle a entraîné de récentes hausses de prix. Certes, le commerce du brut s’est calmé ces dernières semaines, après que la De Beers et ALROSA aient augmenté leur offre lors de leurs sights d’avril. Mais les négociants et les fabricants ne constatent toujours pas de véritable lien entre les prix du brut et du taillé.  ‎

Remarquons que la demande de taillé est un meilleur indicateur de l’état réel du marché que la bulle du brut constatée cette année. Les diamants ne devraient pas connaître un effondrement égal à celui de l’or cette semaine. Le marché devrait toutefois montrer une réalité prudente. Si la situation de l’or a servi d’avertissement face à un nouveau risque dans les fondamentaux du marché global, le marché du diamant devrait l’appliquer à sa propre dynamique. Il contient certainement lui aussi des risques latents.

Source Rapaport