Olivier Segura, LFG – « Notre ambition est que nos analyses soient totalement transparentes »

Marianne Riou

Olivier Segura dirige le Laboratoire Français de Gemmologie. Ce dernier fut fondé en 1929 par un agent des douanes et géré, de 1936 à 2011, par la Chambre de commerce de Paris. [:]Il y a près de 3 ans, il est repris par l’Union Française de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Pierres & des Perles (UFBJOP), qui nomme Olivier Segura, négociant au profil atypique, à sa direction. Rubel & Ménasché est allé à sa rencontre pour en apprendre un peu plus sur le LFG d’abord, mais aussi sur le processus de certification des gemmes, a fortiori des diamants, et la détection des synthétiques.

Olivier Segura, qu’est ce qui vous a amené à prendre la direction du Laboratoire Français de Gemmologie (LFG) en 2011 ?

J’ai, depuis toujours, une passion pour le minéral, le « caillou ». J’ai donc une formation en biologie-géologie, que j’ai complétée par un master en communication. Après 10 ans d’exercice dans le secteur de la communication, j’ai décidé de revenir à mes premières amours : j’ai étudié la gemmologie au GIA à Bangkok (Graduate Gemmologist), puis j’ai enchaîné avec un diplôme au sein de l’université de gemmologie de Nantes. J’ai ensuite créé une société de négoce spécialisée dans les pierres de couleur. Quand, en 2011, l’UFBJOP m’a proposé de prendre la tête du LFG, je ne pouvais que dire « oui» à un tel challenge.

En quoi était-ce un challenge ?

Ce laboratoire de gemmologie est le premier créé au monde. Il souffrait d’une mauvaise image, de nombreuses erreurs y avaient été faites ; la chambre de commerce et d’industrie de Paris n’avait pas souhaité le développer à l’international, aucun soutien marketing ne mettait en avant son travail, bref, c’était une « belle endormie ».

Racontez-nous l’histoire du laboratoire. Pourquoi a-t-il été créé à l’origine ?

Le laboratoire a été créé en 1929, du fait de l’arrivée massive, sur le marché, des perles de culture. Les premières remontent à 1915-1920 et Paris était, déjà à l’époque, une place d’importance pour ce commerce, de nombreux acheteurs s’y trouvaient. Le parallèle avec le diamant est d’ailleurs intéressant. Aujourd’hui 99,9 % des perles que l’on trouve sur le marché sont des perles de culture. Le stock de perles fines est très limité. Elles ne se vendent plus qu’aux collectionneurs, en vente aux enchères, chez Sotheby’s ou Christie’s. Le mot perle ne peut être utilisé seul (Décret n°2002-65 du 14 janvier 2002) pour des perles de culture notamment, mais un glissement sémantique en a généralisé l’usage. Il y a, bien évidemment, différentes qualités de perles de culture mais, de mon point de vue, elles n’ont rien à voir avec les véritables perles fines, fruit d’une découverte inopinée…

Quels changements avez-vous souhaité impulser lors de votre prise de fonction ?

Eh bien, j’ai commencé par sonder nos clients, à l’aide d’un questionnaire. Il me fallait savoir pourquoi les grands noms de la Place Vendôme préféraient envoyer leurs gemmes à Anvers, en Suisse ou aux USA pour expertise. J’ai ainsi constaté que nous avions un problème avec la gradation de la couleur des diamants. Il faut savoir qu’il n’y a pas, pour le diamant, d’étalon international permettant de déterminer la colorimétrie. Les couleurs étalon sont propres à chaque laboratoire. Le GIA faisant le marché, je leur ai envoyé notre set étalon, à Carlsbad. Nous nous sommes aperçus que nous avions une teinte d’écart sur les couleurs FGH. J’ai fait de même avec le HRD en Europe, qui est la référence quand il s’agit de déterminer la valeur des gemmes (mêlées et pierres de moins de 1 carat). Nous avons constaté le même décalage. Ceci nous a permis de réévaluer et repositionner notre set étalon sur l’échelle des couleurs. Nous avons racheté des pierres de couleurs intermédiaires et des couleurs DEF. Enfin, nous avons effectué un test sur l’échantillon d’un négociant et constaté seulement 5 % de décalage entre notre analyse et celle du GIA.

Justement, quel est le décalage acceptable entre les analyses des différents laboratoires pour déterminer la qualité et la valeur d’un diamant ? Comment expliquer ce décalage ?

La couleur s’établit selon un continuum. La pierre la plus incolore possible sera un D. En Europe, chaque grade de couleur est matérialisé par la pierre la plus teintée dans sa catégorie. Certaines pierres peuvent se situer à la limite d’un grade, leur positionnement est difficile et l’on peut donc parler de subjectivité. Pour limiter ce caractère subjectif, trois gradeurs analysent les diamants indépendamment. Leurs résultats sont entrés informatiquement et ne sont pas communiqués aux autres gradeurs.

Quand les pierres sont vendues aux enchères, les commissaires priseurs étrangers les font réévaluer par le GIA. Nous n’avons eu aucun retour mettant en cause nos évaluations. Nous estimons donc être tout à fait fiables en ce qui concerne la gradation des 4C du diamant.

Qu’est-ce qui explique la prépondérance du GIA  dans la valorisation des diamants selon vous ?

Le GIA a été crée en 1932. Ce laboratoire s’est toujours, géographiquement, positionné dans les lieux stratégiques : production, taille, négoce. Ils ont également inventé le système des 4C et sont à la pointe de la recherche…

Pouvez-vous nous présenter rapidement votre équipe scientifique ?

Le Laboratoire Français de Gemmologie compte 4 gemmologues et moi-même. Nous avons deux gemmologues responsables chacun d’un département. C’est Aurélien Delaunay, diplômé lui-aussi de l’université de Nantes, qui est responsable du département Diamants. Il faut être honnête, rien ne vaut l’expertise acquise « sur le tas » : la lecture d’articles scientifiques, la confrontation avec des collègues, la formation et la recherche. Actuellement, Aurélien Delaunay et moi-même préparons une thèse.  Notre activité est aussi  adossée à celle de l’université de Nantes, notamment en la personne d’Emmanuel Fritsch, notre conseiller scientifique, qui fut, pendant plus de dix ans, directeur de la recherche au GIA à Carlsbad. Nous développons donc une petite activité de recherche et publions le plus possible dans la revue du GIA, dans le Journal of Gemmology, etc.

Qui sont vos clients et quels sont vos tarifs ?

Pour 30 %, des joailliers de la Place Vendôme, de stature internationale. Ils nous envoient leurs pierres à chaque étape de la fabrication : au moment de l’achat, de la retaille, quand elles sont serties (exceptés les diamants qui ne s’analysent plus une fois sertis, NDLR). Leur but est de vérifier, à chaque étape, que la pierre n’a pas été dégradée. 30 autres % de nos clients sont des maisons de vente aux enchères, qui vendent à l’étranger mais « sourcent » en France. 30 %, enfin, sont des bijoutiers de province, des négociants.

En ce qui concerne le diamant, on nous envoie, pour analyse, les pierres de très haute qualité, ainsi que le mêlé. L’analyse d’un diamant permettant d’établir les 4C coûte 35 €. Nous fournissons également, sur demande, un rapport justifié, mis en place en 2011. Ce rapport décrit, sur une dizaine de pages, le cheminement scientifique de l’analyse de la pierre. Notre ambition est que nos analyses soient totalement transparentes.

J’aimerais que l’on revienne sur le cheminement d’un diamant qui arrive dans vos locaux pour analyse.

Quand un diamant, mettons de plus de 1 carat, arrive au laboratoire, il est d’abord transformé en numéro. Ainsi, les gemmologues qui l’examinent ne savent pas à qui il appartient. La pierre est pesée au dix millionième de carat et suit ensuite les procédures d’examen gemmologique classiques, à l’aide d’outils de pointe : elle est photographiée, passée à l’analyse de la couleur par trois gemmologues, enfin, à celle de la pureté, par trois spécialistes là-aussi. Les inclusions sont notées et mesurées pour permettre d’évaluer la nature géologique de chaque pierre. Nous attribuons d’abord un grade de pureté, puis un grade de taille à l’aide de l’outil de mesure (laser à miroirs) Sarin. Nous finissons par l’analyse spectrométrique avec le spectromètre à infrarouge, qui permet de déterminer le type de diamant présenté (présence d’atomes d’azote ou non, quel est leur agencement dans le réseau cristallin, etc.) Si on détermine que le diamant est de type IIa, soit chimiquement pur, comme les exceptionnelles Golconde, on vérifie s’il est naturel ou synthétique en le passant au spectromètre Raman.

classementLFG

Justement, qu’est-ce qui vous permet de déterminer, à coup sûr, qu’un diamant chimiquement pur, de type IIa, est un diamant synthétique plutôt qu’un diamant traité ?

Pour déterminer si un diamant est synthétique, il faut s’intéresser à sa croissance. Nous utilisons le DiamondView de la de Beers pour faire « luminescer » les diamants. Dans une certaine longueur d’onde, bien particulière, cet outil nous permet de visualiser les figures de croissance (pics, largeur) : si cette croissance est de forme cubique, le diamant est un synthétique.

Les laboratoires d’analyse gemmologique ont décidé ˗ c’est un accord tacite ˗ de présenter les diamants synthétiques dans un rapport sur fond jaune. C’est l’usage depuis cinq ans environ. Pour le reste, ils sont gradés selon les mêmes critères que les diamants naturels.

Que pensez-vous de la place que pourraient tenir, sur le marché, ces diamants synthétiques, chimiquement purs ?

Il est évident qu’il y a un marché pour ce type de pierres, comme pour les corindons de synthèse. Ce n’est pas une matière plus déshonorante qu’une autre. C’est un véritable challenge que de les réaliser et ils offrent des opportunités incroyables au secteur industriel ; pensez aux navettes spatiales ou à l’électronique de haute vitesse. Ces diamants, que l’on ne trouve en joaillerie que depuis un ou deux ans, sont donc exceptionnels. Sur une bague, leur apparence est tout de même bien plus intéressante que celle d’un morceau de verre ou de zirconium !

Mais, pour ma part, je préfère acheter un quartz, un spinelle, une belle tourmaline, plutôt qu’une pierre synthétique… Quelque chose qui soit créé par la nature… Les diamants font rêver la population, mais celle-ci témoigne d’une réelle méconnaissance du produit. Je dirais que, ce qui importe, c’est de vendre les pierres pour ce qu’elles sont réellement.

Le problème, selon moi, réside dans le fait que les négociants ne sont pas maîtres à 100% de leur approvisionnement. Mais ils ne sont pas censés vendre des synthétiques à des grands joailliers dans un pli de mêlées ! L’enjeu, pour les grandes Maisons, est inimaginable, il en va de leur crédibilité et de leur image de marque. Bien sûr, elles ne remettent pas un rapport d’analyse des 4C à leurs clients. Mais elles mettent tout en œuvre pour s’assurer de la qualité et de la traçabilité des pierres, à tous les niveaux. Leur nom seul est gage de valeur et de qualité du bijou.

Les plus grands risques résident dans l’analyse des plis de mêlées. Voilà pourquoi, nous sommes en train de concevoir et développer de nouveaux outils de pointe pour les analyser. Fin janvier, nos recherches devraient aboutir à un résultat concret…


Photos P.Aronin et LFG