L’inévitable éthique des diamants

Avi Krawitz

Le protocole de garantie sur la source des diamants, lancé cette semaine par diverses organisations commerciales américaines, constitue un pas dans la bonne direction, les fournisseurs devant garantir l’authenticité de leurs marchandises.[:]

Bien que ces efforts arrivent très tard, ils se présentent à un moment opportun pour l’industrie. Le protocole a au moins l’avantage de mettre de nouveau en évidence les lacunes du Kimberley Process (KP), l’organisation s’acharnant à vouloir prouver sa propre légitimité.

Les tentatives de réforme au sein du KP sont elles-mêmes limitées par des systèmes internes ineptes ; elles sont d’ailleurs peu susceptibles d’aboutir, compte tenu du système de consensus qui le régit. L’organisation est donc freinée par son mandat initial et incapable de s’adapter aux exigences des entreprises sous leur forme actuelle.

Gillian Milovanovic, la présidente américaine désignée du KP pour 2012, souligne que sa proposition d’une nouvelle définition des diamants du conflit par le KP ne s’appliquerait plus qu’à un nombre de cas moins important. « La certification ne doit pas aborder le sujet des droits de l’homme, de la transparence financière et du développement économique ; ces thèmes progressent plus efficacement grâce à l’échange de bonnes pratiques, a-t-elle déclaré devant les délégués au congrès mondial du diamant (WDC) cette semaine à Mumbai. Les certificats du KP doivent continuer à garantir que le brut est étranger aux conflits. »

Elle a ajouté que les normes de certification supplémentaires, allant au-delà de la définition actuelle, ne doivent s’appliquer qu’aux conflits armés et à la violence manifestement liés au brut et vérifiés de façon indépendante.

Par conséquent, de son propre aveu, le KP affiche des lacunes impossibles à corriger, qui ne sont ni nouvelles pour l’industrie, ni acceptables. Certes, le groupe Rapaport, conjointement à d’autres membres fondateurs, a admis depuis longtemps que le KP ne peut pas garantir l’origine éthique des diamants. En juin, Rapaport a lancé la Campaign for Ethical Jewelry (Campagne pour des bijoux éthiques) qui vise à rassembler les sociétés, les organisations et les personnes qui se consacrent à la création d’une industrie des diamants et des bijoux véritablement éthique.

L’engagement éthique de Rapaport exige des joailliers qu’ils apportent la garantie écrite d’une enquête menée sur leurs sources et qu’ils affirment que, pour autant qu’ils sachent, les marchandises proposées sont étrangères aux violations des droits de l’homme, à des dommages écologiques importants, à des activités illégales et à des sanctions imposées par les gouvernements des États-Unis ou de l’Union européenne.

Le nouveau protocole, mis au point par la Diamond Manufacturers and Importers Association of America (DMIA), Jewelers of America (JA) et le Jewelers Vigilance Committee (JVC), reprend bon nombre de ces principes.

L’outil assure pour l’essentiel une gestion des stocks volontaire, les détaillants et leurs fournisseurs doivent acquérir grâce à lui une meilleure assurance que le brut ou le taillé utilisé dans leurs marchandises ne soit pas entaché de problèmes éthiques.

En associant au diamant ou à tout autre article serti de diamants une déclaration écrite établie dans un document commercial, les vendeurs garantissent que, pour autant qu’ils sachent, les pierres n’ont été ni obtenues ni traitées par une source douteuse, spécifiée comme telle par le vendeur, ou par un ressortissant désigné et interdit par le bureau du Trésor américain chargé du contrôle des avoirs étrangers (OFAC).

Les porte-parole de JA ont expliqué que les entreprises qui optent pour le protocole devront travailler en étroite collaboration avec leurs fournisseurs pour sa mise en application pratique au fil du temps. Une fois mis en œuvre, un vendeur qui propose une garantie à ce titre devra également apporter un certificat d’audit qualifié, délivré par un vérificateur indépendant.

Compte tenu des sanctions de l’OFAC qui touchent les diamants de Marange au Zimbabwe et de la certification par le KP de la production de Marange l’année dernière, les organisations commerciales américaines n’ont eu d’autre choix que d’opter pour des garanties supérieures aux exigences du KP. Elles ont encore beaucoup à faire. Mais même si le protocole ne distingue pas un pays en particulier (il en laisse le soin aux signataires), il permet de souligner que la vente de ces marchandises est interdite aux États-Unis, même si elles sont accompagnées d’un certificat du KP.

Les fournisseurs, en particulier dans le secteur de la fabrication, ne doivent donc pas s’étonner de cette initiative. Si les fabricants souhaitent vendre leurs marchandises sur le marché américain, ils doivent être prêts à garantir qu’ils en respectent la légalité.

D’autre part, si cela devait entraîner un compartimentage de leurs installations de fabrication et de gestion des stocks, selon que les pierres proviennent de régions acceptables ou non, qu’il en soit ainsi. Si les fabricants choisissent leurs marchandises auprès d’une source considérée douteuse par leurs clients américains, il leur suffira de faire la distinction entre leurs marchandises pour maintenir leurs relations de travail.

Les présidents nouvellement élus de l’International Diamond Manufacturers Association (IDMA) et de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB) se sont faits l’écho des préoccupations de leurs membres quant à l’impact qu’aura le protocole sur la circulation des marchandises dans la filière légitime.

Mais ce n’est pas le protocole qui aura un impact. Il s’agit plutôt des assurances inadéquates apportées au sein de l’industrie actuelle qui ont fait naître ce besoin. Si les fournisseurs ne sont pas en mesure de garantir leurs sources, ils ne peuvent pas vendre aux États-Unis, quel que soit le protocole. Ce protocole se contente de rendre cette garantie plus accessible, transparente et systématique.

Les diamants ne sont pas la seule marchandise à connaître de telles exigences. En fait, les stipulations de l’industrie sont relativement édulcorées. En vertu de la loi Dodd-Frank, dont les règles définitives ont été adoptées en août, les fournisseurs de bijoux aux États-Unis ont l’obligation légale de s’assurer que leur or provient de sources étrangères aux conflits.

Signet Jewelers a insisté sur ce point lors d’un séminaire organisé au salon India International Jewelry Show (IIJS) de cette année à Mumbai, intitulé « Le marché américain des bijoux et ses attentes face aux fournisseurs indiens ou pourquoi le marché américain exige une chaîne d’approvisionnement de l’or sans conflit » (voir la présentation de Signet ici). La société a souligné qu’en vertu de la nouvelle loi, une incapacité à prouver la source de l’or implique, pour les sociétés américaines cotées en bourse, qu’elles ne pourront plus utiliser et vendre de bijoux contenant de l’or sans preuve adéquate du pays d’origine.

Et même si la loi Dodd-Frank ne s’applique pas aux diamants, les plus grands détaillants américains (et la majorité des petites entreprises indépendantes, d’ailleurs) vont faire en sorte de ne pas enfreindre la loi et rechercheront les garanties adéquates lors de leurs achats de diamants. Ils sont d’autant plus motivés que les consommateurs insistent de plus en plus pour s’assurer que les sources sont éthiques. Signet souligne que toutes les industries se concentrent sur un approvisionnement durable et éthique et, par conséquent, sur la gestion de la chaîne d’approvisionnement.

La forte affluence au séminaire de Signet à Mumbai a montré que les grossistes et fournisseurs indiens concernés sont bien conscients de l’impact qu’auront ces nouvelles lois sur leurs entreprises et qu’ils sont prêts à apprendre et à s’adapter en conséquence.

IDMA, le WFDB et d’autres, préoccupés de l’impact sur le commerce des diamants, sous-estiment leurs membres. Eux aussi s’adapteront car cela est nécessaire.

Comme l’a déclaré Martin Rapaport, président du groupe Rapaport : « L’industrie du diamant est sur la pente glissante de la légitimité. Les fournisseurs doivent prendre des engagements écrits quant à la source de leurs marchandises et, s’ils ne sont pas disposés à le faire, allez voir ailleurs. Un fournisseur qui n’est pas disposé à garantir la légitimité des produits qu’il vend doit être chassé de l’industrie. »

Les réclamations de l’IDMA et du WFDB, précisant qu’ils n’ont pas été consultés pour l’élaboration du protocole, sont également infondées. Il s’agit d’une initiative américaine car il faut protéger les joailliers américains de toute possibilité réelle que leurs fournisseurs les amènent à enfreindre la loi. Ils ne peuvent tout simplement pas se fier au KP, ni attendre que toutes les réformes proposées par le KP apportent cette garantie.

Cela n’a rien à voir avec la défense d’un secteur de l’industrie prioritairement à un autre. Au contraire, le protocole est nécessaire pour maintenir l’intégrité du produit diamant et assurer la confiance des consommateurs dans le plus grand marché des bijoux en diamants. Les garanties exigées de leurs fournisseurs par les joailliers et fabricants américains étaient inévitables et les groupes commerciaux américains qui ont introduit le protocole doivent être applaudis pour leurs efforts. 

Source Rapaport