Le porte-monnaie ou le cœur ?‎

Avi Krawitz

Depuis longtemps, les diamantaires et joailliers ont une impression : plus les informations tarifaires sont disponibles pour les consommateurs, plus l’attrait émotionnel est difficile à installer.
En effet, en parcourant les couloirs du récent salon de Hong Kong, ou de l’une des bourses internationales du diamant, on a le sentiment que le marché est plus apte à gérer les certificats que les diamants en eux-mêmes. [:]

« Regardez autour de vous, personne n’évoque plus la beauté des pierres vendues, s’est plaint le directeur du marketing d’un fabricant à Hong Kong. Il n’y a plus de mystère. Tout le monde connaît le prix, y compris le consommateur. »

C’est vrai, la transparence a un prix. Un consommateur informé peut comparer les tarifs, ce qui entraîne au final une baisse des marges bénéficiaires des détaillants, puis une pression à la baisse sur le reste du marché.

À l’ère d’Internet, les comparaisons de prix sont inévitables. Les consommateurs, ayant imprimé sur papier leurs recherches en ligne, entrent dans n’importe quelle boutique, brandissant la fourchette basse pour une sélection de diamants. D’autres normes, établies par des laboratoires de classement indépendants, associées aux tarifs de Rapaport, ont permis une plus grande transparence sur les marchés du B2B et du B2C.

Il faut absolument garantir l’équilibre dans la filière (jusqu’aux consommateurs) pour maintenir la confiance dans le produit et accroître la demande. Outre la divulgation des prix, une transparence totale sur la source des diamants et, si possible, sur leur mode de traitement, contribue à réaliser les objectifs de l’industrie, créer un marché équitable, ouvert et concurrentiel.

Bien sûr, les joailliers en diamants sont partagés entre la nécessité de communiquer avec leurs consommateurs de façon honnête et le risque que ces mêmes consommateurs profitent de ces informations pour réduire les marges bénéficiaires du détaillant.

Mais nous aurions tort de croire que la transparence des prix nuit à l’attrait émotionnel. Au contraire, le marché devrait s’interroger sur ce que représente la valeur des diamants, considérés comme un produit hautement symbolique, et sur ce que font les détaillants pour se différencier.

Les femmes aiment les diamants pour le message qu’ils véhiculent, la pérennité de la relation promise, et ce quel que soit le prix. Les fleurs sont attrayantes, mais elles ne durent pas. Un diamant est éternel ; plus il est gros, mieux c’est et plus l’illusion de l’engagement est forte. Et cette perception n’a pas changé avec l’ouverture des marchés.

L’industrie ne doit pourtant pas se reposer sur ses lauriers. Nous l’avons longuement souligné dans cette rubrique, elle doit renforcer sa visibilité auprès des consommateurs, notamment au vu de la concurrence croissante des autres produits de luxe. Le marketing générique est nécessaire mais mieux vaudrait se concentrer sur une création dynamique de marques concurrentielles. Pour un joaillier qui a confiance dans sa marque, le prix n’a pas d’importance. Il en irait de même pour une industrie confiante dans son message et son produit.

Bien entendu, les consommateurs informés sont plus difficiles. Mais c’est ainsi que va le monde puisque le public dispose aujourd’hui de davantage d’informations. La véritable question est donc la suivante : les détaillants peuvent-ils justifier la valeur ajoutée qu’ils facturent en sus du prix interprofessionnel ?

Les joailliers doivent reconnaître qu’avec une transparence accrue des prix, leurs bénéfices seront davantage liés à la valeur ajoutée. Or, la plus grosse difficulté pour les entreprises individuelles aujourd’hui consiste à établir le montant de cette valeur ajoutée. Le facteur de différenciation se trouvera finalement au niveau du canal de vente utilisé.

Pourquoi les consommateurs n’achètent-ils pas simplement sur Internet ? Certes, ils le font et ils le feront de plus en plus. Mais ils se rendent dans les magasins pour profiter du plus qu’offre le joaillier (image de marque, service, connaissances et compétences, et une transparence totale sur le produit diamant), qu’il s’agisse du prix, du classement ou des garanties éthiques. Face à la concurrence d’Internet en constante évolution, les joailliers ont l’obligation de générer cette valeur supplémentaire.

Les grossistes et les fabricants peuvent eux aussi procéder ainsi pour se différencier. Quant aux négociants, on leur pardonnera d’adopter une mentalité de type marché. Dans ce secteur, le prix est important et ce que l’on perçoit du traitement des certificats révèle un marché dynamique, et non un espace soi-disant banalisé. Bien que le lien émotionnel ou l’accroche commerciale descriptive ne soient pas visibles au niveau des ventes en gros, la passion est largement présente, et il s’agit d’un ingrédient bien plus important. En réalité, un attachement affectif exagéré à leurs marchandises peut amenuiser cette passion pour la vente et faire naître un risque supplémentaire.

La transparence des prix a au moins pour avantage d’améliorer la confiance dans le marché. Il est également primordial d’attirer de nouvelles sphères d’acheteurs, par exemple de la communauté de la finance et de l’investissement, lesquels sont susceptibles d’engager des milliards de dollars en financement et en liquidités.

L’industrie peut conserver le message émotionnel pour accroître la demande, dans un marché dynamique, dirigé par les prix. En effet, cette combinaison de facteurs représente une formidable opportunité et ces concepts ne sont pas incompatibles. Dans le contexte économique difficile que nous connaissons, les consommateurs recherchent de plus en plus des tarifs spécifiques et des produits véhiculant un message. Face à ses difficultés pour obtenir des parts de marché pour la prochaine saison des fêtes, l’industrie du diamant pourra se différencier en misant sur le porte-monnaie et sur le cœur.

Source Rapaport