L’industrie ne manque pas de liquidités mais de « bancabilité »

Avi Krawitz

ABN Amro est un prêteur majeur pour le secteur intermédiaire de l’industrie depuis un siècle. Récemment, le groupe a exhorté l’industrie à améliorer sa « bancabilité », face à des banques qui resserrent leurs exigences en matière de prêts.[:]Dernièrement, Rapaport News s’est entretenu avec Erik Jens, le PDG de la section des Clients de diamants et bijoux chez ABN Amro, à propos de certaines questions qui réglementent le financement de l’industrie :

Rapaport News : que pensez-vous du marché diamantaire début 2015 ?

EJ : le premier semestre 2014 a été satisfaisant mais les marges bénéficiaires ont été réduites aux troisième et quatrième trimestres. Une grande part des bénéfices réalisés au premier semestre a donc été annulée. Aujourd’hui, les sociétés réalisent des gains neutres ou subissent des pertes. Cela se verra dans les rapports annuels et va nuire aux approbations de crédit et aux notations. Par conséquent, je ne me fais pas trop d’illusions sur les résultats financiers de 2014.

Je pense que les diamantaires réagissent. Les prix du brut ont un peu baissé et les professionnels s’efforcent de ne pas conserver de stocks exagérés. Le second semestre 2015 pourrait être meilleur.

La plus grosse difficulté pour l’industrie, c’est la demande des consommateurs. Je ne suis pas convaincu que le niveau actuel suffise. Je crains que l’industrie ne doive gérer ses propres changements, tout en ayant à se concentrer davantage sur le consommateur final.

Quels sont ces changements qui touchent l’industrie ?

Auparavant, il n’existait véritablement qu’un seul fournisseur de brut. Les prix étaient élevés mais tout le monde gagnait de l’argent car le flux des diamants était constant, les prix aussi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

L’industrie est également confrontée à une réglementation omniprésente et ne semble pas capable d’adopter une position claire sur certaines questions car elle est divisée, avec de nombreuses organisations différentes. 

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En outre, la vieille garde des diamantaires continue à conclure des affaires sur des poignées de main. Cela n’est pas vraiment compatible avec les exigences réglementaires actuelles mais il faudra des années pour changer cet état d’esprit. 

L’industrie sait bien qu’elle doit améliorer sa « bancabilité » et sa réputation car le législateur continue d’y voir des risques importants. Nous reconnaissons et soutenons, à chaque fois que possible, les nombreuses initiatives engagées pour résoudre cette situation, comme celles du World Diamond Council, de la World Federation of Diamond Bourses et d’autres parties prenantes. 

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« L’industrie sait bien qu’elle doit améliorer sa « bancabilité » et sa réputation car le législateur continue d’y voir des risques importants. »

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Quels sont les facteurs qui jouent sur le manque de liquidités au milieu de la filière ?

Je ne pense pas qu’il y ait un manque de liquidités. Je pense que certains domaines ou certains endroits du marché rencontrent des problèmes. Mais il y a des liquidités pour les sociétés en règle.

De nombreuses entreprises se sont dirigées vers des niches spécialisées ou ont repensé leur activité pour être plus rentables. Il y en a encore trop qui ne pensent qu’au chiffre d’affaires sur la ligne du haut, au lieu de se concentrer sur leurs bénéfices nets. Les banques sont censées les soutenir en fonction du chiffre d’affaires mais cela ne fonctionne plus ainsi.

La fermeture de la Banque diamantaire anversoise (ADB) a eu des conséquences sur les liquidités. ABN Amro reprend-elle une partie de ces crédits et des clients d’ADB ?

[two_third]Nous avons eu de nouveaux clients, dans le cadre ordinaire des affaires, mais nous ne sommes pas en mesure d’ouvrir des centaines de nouvelles lignes de crédit. Cela n’entre pas dans notre stratégie et c’est également très coûteux. Étant donné qu’elle est classée à haut risque, l’activité diamantaire doit adopter des types de déclaration différents, une chose qui coûte très cher.

Sans compter que si nous ouvrions des crédits pour ce type d’opérations, cela n’aiderait pas l’industrie. Il faut que davantage de banques prêtent à ce secteur, en particulier à Anvers. L’industrie ne doit pas dépendre d’un seul prêteur.[/two_third][one_third_last]

« Étant donné qu’elle est classée à haut risque, l’activité diamantaire doit adopter des types de déclaration différents, une chose qui coûte très cher. »

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L’absence de liquidités que l’on perçoit provient-elle également du fait que les banques réduisent leurs crédits à l’industrie ?

Les banques sont prêtes à avancer pas à pas. Je ne pense pas qu’il y ait une crise des liquidités en Israël, à Hong Kong, à New York, à Dubaï ou en Afrique. 

La question à se poser est de savoir pourquoi une grande part du financement de l’industrie est concentrée sur le milieu de la chaîne de distribution. Les miniers sont payés comptant, avec 10 jours d’avance, et n’accordent pas de crédit à leurs acheteurs. Les détaillants possèdent des stocks importants en consignation et achètent avec un crédit de 120 jours. Le problème n’est donc pas tant le crédit en général que la façon dont le financement est réparti dans toute la filière. 

Les banques sont prêtes à aider l’industrie mais elles ne disposent pas non plus de tous les capitaux et elles doivent se soumettre aux nouvelles réglementations. L’industrie doit donc réfléchir à d’autres structures, comme les fonds spécialisés, ou attirer de nouveaux investisseurs. Ce sont des solutions qui vont au-delà des banques, il faudrait qu’il y ait une évolution vers des prêts davantage adossés à des actifs. 

ABN Amro a été parmi les premiers à réduire ses lignes de crédit, pour ne financer que 70 % des achats de brut en 2014. Quel effet cette décision a-t-elle eu sur le marché ?

Erik Jens_ABN AmroJe ne pense pas que l’effet ait été négatif. Cela a peut-être même aidé à faire baisser les prix du brut. Nos clients ont réduit leurs achats mais ils mettent également un peu plus d’eux-mêmes dans l’activité et sont devenus plus solides. 

Cette politique est en place et nous n’allons certainement pas augmenter nos taux d’avance. Si nous agissons, ce sera pour réduire encore notre financement des achats de brut réalisés dans un but de négoce. Nous n’avons pas de projet définitif mais cela a fait l’objet de discussions car le négoce est plus spéculatif que la fabrication.

Il nous faut également diversifier la façon dont le financement est mis à la disposition des différents clients. Nous voulons récompenser ceux qui montrent le plus de responsabilité d’entreprise, qui ont la bonne structure et font preuve de transparence, montrent une bonne gouvernance et respectent les normes internationales d’information financière (IFRS). Nous voulons inciter les clients à se montrer plus professionnels, faute de quoi ils devront quitter la banque.

Nous avons aussi récemment envoyé un courrier à tous les clients de nos clients, une chose qui n’avait jamais été faite auparavant. Je suis certain que d’autres banques suivront notre exemple. 

Nous avons découvert que certaines entreprises arrangent leur facturation. Nous avons donc adressé un courrier pour demander aux clients de nos clients d’admettre qu’ils devaient bien la somme dite à notre client et de confirmer qu’ils règleraient le solde dû. S’ils ne signent pas le document, nous revenons sur notre accord de prêt.

Certains ont trouvé cela un peu dur, mais la plupart de nos clients ont été très satisfaits car leurs clients se sentaient dans l’obligation de régler leurs dettes.

Que regardent les banques lorsqu’elles évaluent un client diamantaire ?

Nous voulons tout d’abord comprendre correctement les objectifs de la société, sa mission et sa stratégie. Nous voulons également connaître son éthique en matière de responsabilité sociale des entreprises.

Puis nous allons un peu plus loin pour établir la structure de la société et son financement. Nous cherchons par exemple qui sont les propriétaires bénéficiaires ultimes qui sont identifiés.

Nous regardons les chiffres, la constitution des ratios d’équité et de la société. Les flux de trésorerie sont également importants car les sociétés qui ont des problèmes à ce niveau font généralement preuve d’inconstance. La rentabilité est très importante pour notre évaluation mais nous savons également que certaines périodes sont moins rentables que d’autres, voire pas du tout rentables. Nous portons une attention très soutenue aux niveaux de stock et à leurs évaluations. 

Nous recherchons également les personnes impliquées dans la société. Peu importe que l’entreprise soit constituée des membres d’une même famille mais nous apprécions qu’il y ait, par exemple, un service financier et un directeur financier indépendants. Nous notons aussi qui sont les commissaires aux comptes.

Plus la société est transparente, plus sa note de crédit sera élevée. 

Ces mesures sont-elles le résultat des nouvelles réglementations qui régissent le secteur bancaire en général ?

Notre opération de désendettement était au départ une tentative pour déterminer si nous avions la main sur notre portefeuille diamantaire. Il fallait également regagner la confiance de l’industrie et comprendre sa réputation.

Toutefois, nous avons également rencontré d’autres contraintes. Du fait des réglementations plus strictes, les banques ont de nouveaux moyens pour attribuer des capitaux. Le coût de l’activité bancaire a considérablement augmenté, en particulier lorsque l’on tient compte des réglementations et des normes auxquelles les banques doivent se plier. Les banques et les législateurs doivent en savoir plus sur leurs clients diamantaires que sur les clients de la plupart des autres secteurs. Les diamantaires sont classés à « risque accru ». L’industrie doit donc se refaire une image de marque et se repositionner dans ce contexte.

Comment évaluez-vous le risque et quels sont les facteurs pris en compte dans vos dossiers ?

Les banques sont confrontées à différents types de risques par rapport à un client : risque opérationnel, risque de crédit, risque de marché et risque de réputation. Nous avons donc différents modèles pour les calculer. Un risque se voit appliquer un pourcentage du crédit disponible d’une banque, puis on évalue la capitalisation de la banque. 

Ainsi, si vous disposez d’un milliard de dollars en circulation pour l’industrie, la banque va étudier tous ces risques. Elle calculera que, pour satisfaire les ratios de fonds propres pour 1 milliard de dollars, vous devez disposer de 500 millions de dollars en capital. La gestion des capitaux et leur attribution sont des aspects essentiels pour maintenir des ratios réglementaires et sains. 

Par conséquent, si le ratio de fonds propres d’une banque augmente, elle va devoir attirer davantage de capitaux pour maintenir ses prêts ou alors réduire son exposition. 

À combien estimez-vous le crédit bancaire accordé à l’industrie diamantaire dans le monde ? <

Le financement des achats de brut est probablement descendu à 13 milliards de dollars environ. Je suppose que près de 4 milliards à 5 milliards de dollars vont à l’Inde, le reste est réparti entre les autres centres.

Y a-t-il eu un resserrement similaire sur les prêts en Inde ?

L’Inde est un marché très diversifié, avec environ 60 banques qui travaillent avec l’industrie diamantaire. Les législateurs indiens ont exprimé leurs inquiétudes face aux niveaux élevés d’actifs non performants dans l’industrie des diamants et des bijoux. Nous sommes préoccupés par le comportement de certains partenaires de l’industrie dans ce pays. Je crois qu’il existe un effort commun de la Reserve Bank of India et du Gem and Jewellery Export Promotion Council afin d’améliorer cette situation. 

Qu’attendez-vous de l’année 2015 pour l’industrie ?

J’espère que la demande va se reprendre. Nous ne nous attendons pas à une croissance à deux chiffres mais il y aura certainement une amélioration et cela permettra de réduire les stocks de taillé. Je pense que les gens vont devoir créer davantage de niches et de spécialités pour gagner en rentabilité. J’espère que les prix du brut vont baisser, mais pas trop rapidement, pour que les fabricants obtiennent de meilleurs bénéfices. 

En matière de prêts, je pense que davantage d’acteurs vont réduire les lignes de crédit et que de nouveaux noms vont entrer en scène. Le crédit bancaire ne devrait pas se développer rapidement mais je ne pense pas que cela soit vraiment nécessaire. Je suis assez optimiste à ce sujet mais si vous ne savez pas ce que vous faites, vous allez vous brûler les ailes. 

Source Rapaport