L’une des plus grosses carences dont souffre notre industrie est l’absence de statistiques fiables. J’ai donc décidé de lancer une série de billets pour tenter d’obtenir des informations précises et récentes sur notre secteur.[:]
Une question reste d’actualité sur le marché, elle ne semble jamais passer de mode : quelle part représentent les diamants artificiels de qualité sur le marché global ? Ou combien y a-t-il de diamants synthétiques non déclarés en circulation ? Il y a un an, ces sujets ont beaucoup fait parler et suscité de l’appréhension. Les rapports étaient alors nombreux à évoquer des diamants de laboratoire non déclarés. Depuis que le GIA et la De Beers proposent de nouvelles machines et que la De Beers a lancé un service de test indien, les craintes se sont un peu atténuées.
Comme dans l’industrie traditionnelle, la plupart des fabricants de diamants de laboratoire sont des sociétés privées (à l’exception de Scio) et certains se montrent tout aussi secrets. En outre, de nouveaux arrivants se lancent sans cesse, certains s’évertuant à faire profil bas. Ainsi que me l’a dit Tom Chatham, le PDG de Chatham Created Gems : « Il y a toujours eu beaucoup de personnes en Russie qui cultivent des diamants et ces presses n’ont pas disparu. Elles travaillent sur LinkedIn, elles travaillent sur Facebook, elles n’ont pas de site Internet bien à elles. Une partie de cette production est assez bonne. » Selon des statistiques du gouvernement américain, au moins 15 pays sont en mesure de produire des diamants synthétiques même si, généralement, ce ne sont pas des pierres de qualité.
Cela soulève bien sûr la question de la définition du terme « qualité ». « La limite est floue, elle laisse beaucoup de place à l’interprétation et à la manipulation », explique Eric Franklin, le président de D.Nea, qui vend des diamants de qualité cultivés en laboratoire. « Une société en Chine, qui fabrique d’énormes quantités de poudre de 2 mm de couleur jaune-brun (voire JKLM+I2), pourrait figurer dans la catégorie « qualité joaillerie ». Il suffit de rechercher des diamants synthétiques sur Alibaba. Il y a une énorme différence avec un G VS2 de 1 ct, voire un I SI2 de 0,10 ct. »
Les discussions sur les petits diamants amènent une autre réflexion. « Il est quasiment impossible de déterminer l’ampleur de la présence des diamants synthétiques dans la chaîne des diamants et dans les stocks existants », affirme une étude d’une ONG du Botswana, qui analyse les conséquences potentielles des pierres fabriquées sur l’économie du pays, dépendante de l’extraction minière. « Il est souvent impossible de distinguer les produits naturels des produits synthétiques et bon nombre des mêlés (moins de 0,2 carat) n’ont jamais été testés, tout simplement parce que ce n’est pas rentable. »
Étant donné tous ces aspects, les chiffres qui nous sont proposés sont souvent variables.
L’étude peut-être la plus approfondie sur les diamants synthétiques et l’industrie a été menée cette année par le Gem & Jewellery Export Promotion Council, qui a estimé la production actuelle de diamants de laboratoire à 350 000 carats, contre 125 millions de carats pour le brut de qualité extrait des mines (soit 0,28 % du marché).
Le rapport de Frost and Sullivan pour 2014 estime que les diamants synthétiques représentent actuellement de 0,2 % à 0,6 % du marché du taillé en valeur, soit entre 45 millions et 135 millions de dollars environ. Il prévoit qu’à horizon de deux ans, la hausse atteindra entre 1,1 % et 3 %. L’estimation ne porte pas sur la production en carats.
L’analyste Paul Zimnisky estime qu’un million de carats de qualité seront produits cette année pour être sertis sur des bijoux. Ce chiffre représente moins de 1 % de la production totale des diamants.
« Je pense que la quantité produite restera limitée tant qu’il n’existera pas de système de distribution à plus grande échelle, explique-t-il. Les joailliers nationaux de renom et les grands magasins finiront par réserver une ou deux vitrines aux diamants synthétiques, mais il faudra encore attendre trois à cinq ans… Sans système de distribution, les marges ne sont pas assez favorables pour que les producteurs de synthétique se consacrent aux diamants de qualité pour la joaillerie, en particulier si les marges sont supérieures pour les diamants synthétiques industriels. »
Le rapport de Bain de 2011 sur l’industrie diamantaire mondiale déclare que seuls 0,01 % des diamants de qualité sont cultivés en laboratoire (page 75), mais cette information n’apparaît que sur un graphique et elle n’est pas développée.
L’estimation qui est peut-être la plus élevée provient de l’analyste et journaliste israélien Chaim Even-Zohar. Il a maintes fois répété que, sur les 22 milliards de dollars de taillé vendus en 2012, au moins 500 millions de dollars étaient des diamants synthétiques (généralement non déclarés). Il affirme que les chiffres sont particulièrement élevés dans les catégories inférieures (de 1 à 3 carats). Chaim Even-Zohar était en voyage au moment où nous mettions sous presse et n’a pas pu fournir d’estimation plus récente.
Certaines sources conviennent que les diamants synthétiques pourraient bien être plus présents dans certaines catégories. Les auteurs de l’étude du Botswana font référence à un article de 2007 de Gems and Gemology (page 201), qui relaie une recherche menée par un laboratoire japonais. Il a été découvert que 10 % des mêlés jaunes envoyés pour certification au laboratoire sur une période de quatre mois étaient des synthétiques, et que la moitié des bijoux sertis de mêlés jaunes contenait des pierres de laboratoire.
Toutefois, le GIA affirme que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Un rapport de 2013, publié sur son site Web, reprenait une affirmation de son directeur, Tom Moses. Il affirmait que le laboratoire n’avait pas remarqué de recrudescence des diamants artificiels, déclarés ou non. Un an plus tard, un porte-parole maintient cette affirmation.
Un dernier point : les personnes qui évoluent dans le secteur des pierres de laboratoire ont tendance à croire les chiffres les plus faibles et restent sceptiques quand on évoque la présence sous-jacente de mêlés non déclarés, en particulier dans la catégorie incolore. « Il existe une offre abondante de mêlés naturels », explique Tom Chatham, ajoutant qu’il a « essayé d’acheter des mêlés de laboratoire blancs pour [ses] propres bijoux par l’intermédiaire de [son] usine de Shenzhen. Rien à faire. »
Le problème, affirme-t-il, est que la fabrication de brut incolore de laboratoire, de faible grosseur, n’est pas assez rentable. « Personne n’arrivera à en fabriquer à des prix qui soient compétitifs avec ceux des diamants naturels, explique-t-il. Vous avez vu les prix pratiqués pour des pierres de laboratoire. Ils sont élevés et je n’arrive pas à faire changer quiconque d’avis. N’oubliez pas que nous sommes facturés de la même façon pour la taille, qu’il s’agisse de pierres naturelles ou artificielles. Lorsque le brut est de moindre grosseur, le prix est minime. Tout part dans les frais de taille. »
Alors, même si les synthétiques sont une activité en plein essor, dans tous les sens du terme, la plupart des estimations affirment qu’elle reste de faible envergure. Et elle pourrait le rester, comme l’affirme une note sur le site Web de D.Nea :
Cultiver un diamant, cela consiste à créer une matière brute. Cette production est guidée par les lois de la nature, non par une logique économique. Chaque diamant est cultivé individuellement, dans un environnement très contrôlé, dans lequel les cristaux se forment naturellement. Chaque machine a un prix prohibitif et ne produit que quelques diamants par mois.
Pour que les producteurs de diamants de laboratoire égalent la capacité de production de seulement 10 % de l’industrie des diamants extraits, il faudrait produire 15 millions de carats par an. Le coût de l’équipement à lui seul dépasserait facilement les 10 milliards de dollars.
Le commentaire se termine sur un point qui pourrait en surprendre plus d’un : pour véritablement produire des diamants à une échelle viable, « il est plus rentable de prospecter pour trouver de nouvelles mines que de construire des installations de culture des diamants. »
Dans le prochain épisode, j’aimerais étudier les chiffres disponibles sur le nombre de bijoux vendus sur Internet.