Les courtiers, de véritables partenaires

Ettagale Blauer

Les courtiers en diamants constituent un maillon essentiel de la chaîne commerciale pour les sightholders et leur rôle est d’autant plus renforcé que le déménagement au Botswana approche.
Le manège complexe qui associe les sightholders de la De Beers à leurs courtiers de Londres est sur le point de se compliquer bien plus avec le déménagement imminent des sights à Gaborone. Le premier sight organisé de bout en bout au Botswana devrait avoir lieu en janvier 2014[:]

Ce transfert signera la fin d’une période exceptionnelle, marquée par un flux d’activités homogène pour la De Beers et son bureau de commercialisation, de marketing et de distribution, la Diamond Trading Company (DTC), mais aussi un changement radical dans le lieu d’exercice et la manière de mener leurs activités. Ce déménagement total au Botswana aura des effets allant au-delà de l’aspect géographique. Il constitue une nouvelle étape essentielle du projet de ce pays d’Afrique australe de se réinventer pour devenir un centre mondial du diamant multiservice. Il entend proposer toutes les étapes, de l’exploitation minière à la vente, en passant par la fabrication de bijoux. Or, ce changement va révolutionner le secteur et bouleverser la vie de tous ceux qui travaillent avec les diamants, en particulier les courtiers et les sightholders.

UN CONTACT ESSENTIEL
Au fil de l’histoire de l’industrie du diamant, les courtiers ont compté parmi les associés commerciaux les plus importants et les mieux informés de leurs clients. Puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils sont devenus absolument indispensables à la réussite, voire à la survie des acheteurs de diamants aux États-Unis. À cette époque, la De Beers a eu des ennuis avec le ministère de la Justice des États-Unis et d’autres agences gouvernementales américaines. D’abord critiquée par les États-Unis pour avoir refusé de contribuer à l’effort de guerre en apportant des diamants industriels, la De Beers a rapidement fait l’objet d’enquêtes sur ses activités monopolistiques, au cœur même de ses méthodes de vente du brut. Des accusations antitrust ont été portées contre elle par les États-Unis en 1945, 1957 et 1974, l’obligeant à cesser toutes ses opérations directes dans ce pays, son plus gros client à l’époque.

La situation de monopole de la De Beers ne faisait quasiment aucun doute. Elle contrôlait alors 85 % des ventes de la production mondiale de diamants et, dans le même temps, fixait quasiment les prix du marché d’après les fluctuations de l’offre et de la demande. Ses activités étaient opaques, unilatérales, extrêmement efficaces… et rentables. La De Beers contrôlait non seulement la quantité de marchandises proposée dans chaque boîte, mais elle choisissait aussi les types et les grosseurs des pierres, selon l’estimation qu’elle se faisait des besoins de chaque sightholder.

Or, pour certains clients aux États-Unis, qui collaboraient depuis fort longtemps avec la De Beers, l’interdiction de toute opération américaine a sonné comme un coup de tonnerre. Aux environs de 1973, se rappelle un diamantaire, il a soudain été impossible de contacter la DTC. Lorsqu’il a finalement réussi à les joindre, et avant même qu’il ne puisse prononcer un seul mot, il s’est entendu dire : « Ne m’appelez plus jamais, sous aucun prétexte. » Dans le même temps, les cadres de la De Beers ne pouvaient plus se rendre aux États-Unis, quelle que soit la raison, de peur d’être arrêtés en tant qu’agents d’un monopole.

Il ne restait plus aux sightholders américains, qui ne pouvaient plus traiter directement avec la De Beers, qu’à engager des courtiers basés à Londres qui agiraient en tant qu’intermédiaires. Les courtiers représenteraient leurs clients au cours du processus de décision essentiel, au cours duquel la De Beers choisissait les marchandises à attribuer à chaque sightholder. De nombreux courtiers avaient déjà travaillé pour la De Beers, directement ou par l’intermédiaire de la DTC, familièrement appelée le « syndicat ». Ils connaissaient donc précisément le mode de fonctionnement de la société et ont fait bon usage de ce savoir pour orienter leurs clients au cours des dix sights de brut annuels.

UNE NOUVELLE ÈRE
Aujourd’hui, les allégations antitrust contre la De Beers se sont dissipées, en partie parce que la société ne contrôle plus la majeure partie de l’exploitation minière et de la commercialisation des diamants. Ces dernières années, l’activité s’est déplacée vers d’autres centres diamantaires et rares sont les sightholders à travailler actuellement aux États-Unis. Le rôle du courtier n’a toutefois pas diminué. Il s’est plutôt accru et modifié, reflétant le brusque virage négocié par l’industrie, qui était auparavant dirigée par l’offre et maintenant plutôt axée sur la demande.

Mike Aggett, directeur général de H. Goldie, une entreprise centenaire basée à Londres, explique les multiples rôles que jouent les courtiers sur le marché aujourd’hui. Mike Aggett est basé dans l’agence d’Anvers de la société, en plein cœur du quartier historique des diamants. « Le rôle du courtier a évolué face à la rareté croissante de ce produit naturel, à la hausse des exigences de consommateurs de mieux en mieux informés et au développement de nouveaux marchés », explique-t-il. La réduction du volume des marchandises de la DTC a également amenuisé son rôle de dépositaire du stock de diamants, même si ses décisions continuent de façonner l’industrie. Pour cette raison, Mike Aggett explique : « H. Goldie travaille d’arrache-pied pour aligner les activités de ses sightholders sur la vision stratégique et les objectifs de la DTC pour l’industrie. »

Saul Goldberg, président de la société new-yorkaise fondée par son père, William Goldberg, et qui porte son nom, décrit son courtier, Bonas, comme étant bien plus qu’un simple intermédiaire. « La DTC applique une stratégie lors de l’attribution des marchandises. Le courtier y travaille toute l’année. Il doit élaborer des plans pour représenter le client, pour obtenir le produit. Vous représente-t-il correctement face à la DTC ? Le tout n’est pas d’acheter du brut. La DTC va vous demander : « Vendez-vous sous l’égide d’une marque ? » « Comment placez-vous vos marchandises ? » L’achat ne constitue que la première étape du processus ; le courtier aide aussi le sightholder à positionner ses diamants sur le marché mondial. Ensemble, ils forment une équipe », ajoute Saul Goldberg.

UN RÔLE ÉTENDU
Des courtiers tels que H. Goldie, Hennig et Bonas, tous basés à Londres, sont devenus des partenaires discrets, les sightholders évoluant dans un secteur en pleine mutation. Mike Aggett explique qu’avec la baisse prévue de la production mondiale de brut, les courtiers ont eu un rôle actif à jouer pour aider leurs clients à s’assurer un approvisionnement régulier et durable. « H. Goldie est en contact régulier avec d’autres producteurs et avec les gouvernements de ces producteurs pour promouvoir et présenter les activités de ses clients. Nous devons leur prouver que nos clients peuvent devenir un atout précieux pour un fournisseur. Parfois, nous devons même formaliser des présentations en leur nom », tout comme les courtiers aident leurs clients à postuler au programme des fournisseurs privilégiés (SOC) de la DTC et à son nouvel engagement, le questionnaire de proposition de contrat (CPQ).

« Outre la garantie de l’approvisionnement et un virage vers l’amont, de nombreux sightholders ont besoin d’aide et de soutien pour établir des relations en aval. » À cette fin, la société propose une analyse des prévisions minières et des futures sources d’approvisionnement possibles pour aider ses clients à développer leurs activités.

Le courtier, à l’origine simple intermédiaire, est désormais considéré comme un partenaire marketing d’appoint. « Les courtiers sont passés d’un statut de « lobbyiste » pour leurs clients face à la DTC à un rôle beaucoup plus professionnel et anticipatif ; ils s’impliquent bien plus dans tous les aspects de l’activité de leurs clients », explique Mike Aggett. « Au-delà de les représenter à la DTC, nous pouvons nous charger de l’approvisionnement en brut auprès d’autres producteurs, de la commercialisation et de la création de liens avec des partenaires en aval pour les bijoux et le taillé en vrac », sans oublier « d’assurer le respect des bonnes pratiques et des règles de base tout au long de la filière. »

LES DÉPLACEMENTS AU BOTSWANA
Dans le sillage du déménagement à Gaborone, les courtiers ouvrent des bureaux dans la capitale et y transfèrent leur personnel pour mieux se positionner et continuer à servir leurs clients sightholders. Mike Aggett lui-même prévoit de passer dix jours par mois au Botswana et explique : « Nous déménagerons une partie de notre infrastructure à Gaborone ; nous voulons disposer de personnel sur place pour assurer une liaison régulière avec la DTC, organiser tout le côté financier, les exportations et de nombreuses autres fonctions qui étaient auparavant gérées à Londres. »

Hennig, un autre courtier de longue date, a déjà ouvert une agence à Gaborone, avec à sa tête Tshebetso Kgatlwane. Jamie Mordaunt, expert chevronné de l’industrie du diamant et un ancien de la De Beers, a récemment rejoint Hennig dans le but bien précis de déménager au Botswana pour maintenir les relations de l’entreprise avec l’équipe de la DTC, qui déménagera aussi certainement au Botswana. Un porte-parole de Hennig remarque : « Le déménagement offre des possibilités intéressantes à nos clients, qui vont au-delà du simple changement d’emplacement des sights. Parmi elles, figurent la proximité avec la plus grande source unique de brut et avec d’autres fournisseurs de brut de la région, ainsi que des opportunités d’affaires au Botswana. » La société ajoute que les déménagements « font partie des projets d’expansion visant à la transformation de l’agence du Botswana, afin de la transformer en une importante plaque tournante. »

Le surcoût des activités au Botswana est incontestable et considérable. Les courtiers devront gérer des bureaux satellites et se déplacer fréquemment pour superviser leurs opérations sur place. Les sightholders, habitués à Londres, devront s’accoutumer aux allers-retours mensuels à Gaborone, beaucoup plus longs, problématiques et onéreux. Qu’ils viennent de New York, Tel-Aviv, Mumbai ou Anvers, ils devront prendre une correspondance à Johannesburg avant l’étape finale de Gaborone.

UN VOYAGE PLUS LONG
Goldberg prévoit que ses voyages vers les sights seront bouleversés. Sightholder associé à Leo Schachter, Goldberg décrit ses déplacements vers les sights de Londres comme « un saut rapide au-dessus de l’Atlantique. Vous arrivez dans la matinée, vous vous reposez un peu, vous rencontrez votre courtier et vous jetez un coup d’œil à la boîte. Vous pouvez être de retour le lendemain soir. » Ce ne sera plus le cas à Gaborone.

La création de Bonas remonte quasiment à l’époque de la découverte des diamants en Afrique du Sud, dans les années 1870. Cette entreprise, à l’histoire très longue, a fait preuve d’une souplesse suffisante pour s’adapter aux changements de l’industrie. Selon son site Web, la société s’implique non seulement dans l’exploitation minière, le commerce et l’achat de brut, mais aussi dans la taille des diamants, la fabrication de bijoux, la vente au détail et la commercialisation pour les consommateurs. Elle répartit ses activités dans deux domaines distincts : la gestion des relations avec la DTC et les conseils pour la chaîne de valeurs. Même si sa clientèle rassemble des détaillants, des gouvernements et des banques, Bonas affirme que ses clients diamantaires produisent plus d’un quart du taillé dans le monde. La société dispose d’un bureau dans le nouveau cœur de la plaque tournante des diamants du Botswana, le Diamond Technology Park (DTP) à Gaborone.

Le site Web de Bonas rappelle aussi la diversité des défis auxquels sont aujourd’hui confrontés les sightholders, notamment la fragmentation de l’offre, l’émergence de nouveaux centres d’échange, les regroupements en amont et en aval, l’impact du développement des marchés de consommation, une surcapacité de production et le rôle croissant joué par les gouvernements nationaux.

ALLER DE L’AVANT
Le déménagement de toute l’histoire et des traditions des sights, de Londres à Gaborone, est sans précédent, que l’on évoque son ampleur ou son impact. Il représente une remarquable adaptation à l’évolution rapide de l’industrie et, plus particulièrement, à la capacité du Botswana (le plus récent et le plus grand pays producteur de diamants) à générer de la valeur ajoutée sur sa ressource la plus célèbre. Plus que pour toute autre nation du continent noir, son leadership intelligent et clairvoyant lui a permis non seulement de tirer le meilleur parti de ses diamants, mais aussi de bâtir un avenir qui s’appuie sur cette ressource pour garantir la croissance et la prospérité économiques et créer des emplois de meilleure qualité pour ses citoyens.

Source Rapaport