Le projet Lightbox de De Beers destiné à protéger les revenus des diamants naturels

Albert Robinson

La décision de De Beers de lancer une marque de bijoux en diamants synthétiques appelée Lightbox a probablement été motivée par la volonté de séparer clairement l’industrie des diamants naturels et celle des synthétiques et de protéger ses revenus tirés des diamants naturels, a indiqué ABN Amro Bank dans un article.[:]
« Les synthétiques de qualité menacent le modèle d’activité des miniers, a écrit la banque dans son rapport. Pour la plupart des miniers et producteurs de diamants, les synthétiques de qualité sont une menace, et ce pour plusieurs raisons. Pour commencer, le mélange non déclaré de synthétiques à des diamants naturels a eu des conséquences graves sur la confiance dans l’industrie. Toutefois, depuis l’introduction des machines de détection, les craintes se sont apaisées. En revanche, les miniers ont été confrontés à un produit de substitution mais aussi à l’arrivée d’un grand nombre de nouveaux acteurs sur le marché qui menacent de mettre fin à la structure oligopolistique de l’industrie. Enfin, la campagne marketing des miniers pour défendre leur part du gâteau n’a pas été un succès flagrant jusqu’à maintenant. En réalité, certains signes montrent que les producteurs de synthétiques ont le dessus. »

« De Beers est réputée pour anticiper, elle est le leader de l’industrie à de nombreux égards. Tout d’abord, elle a exploité les connaissances de son unité de production de synthétiques (Element 6) pour construire des machines capables de détecter précocement ces marchandises dans des lots de diamants naturels. De plus, son service de certification – l’International Institute of Diamond Grading & Research (IIDGR) – possède les connaissances nécessaires pour détecter les synthétiques. Deuxièmement, elle a annoncé en janvier 2018 avoir pour objectif de lancer la première Blockchain de l’industrie cette année, afin de suivre les pierres à chaque changement de propriétaire, dès qu’elles sont extraites du sol. Aujourd’hui, De Beers s’attaque directement au défi des synthétiques avec sa dernière annonce en date, le lancement d’une marque de bijoux en diamants synthétiques appelée Lightbox. »

« Quelle peut être la stratégie derrière cette avancée ? Nous n’étions pas présents dans la salle du conseil de De Beers lors des prises de décisions mais les stratégies les plus probables derrière cette annonce semblent être les suivantes. Tout d’abord, De Beers souhaiterait créer une segmentation claire entre les deux industries, une industrie des diamants naturels et une industrie des diamants synthétiques. Si elle y réussit, cela pourrait protéger les revenus issus de l’activité des diamants naturels. Il est possible de créer deux industries différentes. Reste à savoir si cela se produira vraiment. Les marchés ne pourront rester séparés que si les produits sont suffisamment distincts. »

« Deuxièmement, les deux industries ont des structures différentes : un oligopole pour l’industrie des diamants naturels, où la stratégie de restriction de l’offre est importante. De son côté, l’industrie des synthétiques sera caractérisée par une concurrence féroce. »

Polished Diamonds

« Troisièmement, il existe une nouvelle série de stratégies génériques. Pour l’industrie des diamants naturels, la stratégie semble être la différenciation et le ciblage alors que pour les synthétiques, la stratégie repose sur les économies d’échelle et le ciblage. De Beers a fixé les prix de ses synthétiques en fonction des coûts de production et non en pourcentage de leurs équivalents naturels, comme l’ont fait les autres producteurs. Cette stratégie devrait contribuer à donner l’impression que les deux produits sont suffisamment différents pour qu’ils aient deux marchés séparés. Les autres producteurs de synthétiques sont mis au défi de suivre la stratégie des faibles prix de De Beers (non calquée sur les tarifs des diamants naturels) et le principe selon lequel les synthétiques ne sont ni spéciaux ni rares. »

« Quatrièmement, en disposant de deux produits totalement différents, de stratégies de tarification distinctes et de campagnes marketing différenciées, De Beers espère que deux industries vont naître et qu’elles resteront séparées. Par exemple, De Beers utilise de l’argent ou de l’or 10 carats pour le sertissage des synthétiques (avec des diamants naturels, la norme est de l’or de pureté supérieure ou du platine). En introduisant de l’argent et de l’or de faible pureté comme possibles sertissages, De Beers voudrait montrer que la valeur est moindre. Les pierres moins précieuses et les imitations sont souvent serties sur de l’argent ou de l’or de pureté inférieure. L’objectif est ainsi de donner la sensation qu’il ne s’agit que d’un produit de masse bon marché. »

« De Beers a la réputation d’être à l’avant-garde et de produire des campagnes marketing à succès. Cette démarche stratégique montre la gravité de la menace des synthétiques pour l’industrie des diamants naturels. Il revient maintenant aux autres producteurs de synthétiques de réagir. Plusieurs choix s’offrent à eux. Tout d’abord, ils pourraient lancer une campagne publicitaire affirmant que les synthétiques ne sont pas qu’une alternative bon marché, mais bien des diamants précieux fabriqués par l’homme. Selon nous, ce sera très difficile car De Beers a un temps d’avance. »

« De surcroît, il est probable que d’autres producteurs de synthétiques puissent se calquer sur ces prix, voire faire mieux. Les coûts les plus importants pour les synthétiques sont ceux de l’énergie. Le producteur qui aura la facture la plus basse et la meilleure technologie pourra remporter cette guerre des prix. De Beers a peut-être mis en route cette opération pour protéger sa poule aux œufs d’or (les diamants naturels) mais cela ne veut pas dire qu’elle gagnera la bataille. L’objectif ultime semble être de séparer suffisamment les synthétiques des diamants naturels pour que les caractéristiques de ces derniers soient aussi préservées que possible. »

« En outre, d’autres producteurs de synthétiques pourraient décider de ne pas différencier les produits proposés à si bas prix. Ils pourraient choisir de proposer des synthétiques pour des alliances, des grosses pierres avec des sertissages en or de pureté supérieure. Ces producteurs pourraient alors rechercher des alliances avec des producteurs d’or pour abaisser les coûts. »

« Dans l’ensemble, cette avancée montre une fois de plus que De Beers a un temps d’avance. La société essaie de neutraliser le modèle d’activité de nombreux producteurs de synthétiques et de changer le point de vue du public sur ces diamants. Les synthétiques ont été présentés comme un produit hautement novateur et durable. Le temps nous dira si cette approche déterminée de De Beers protègera l’industrie des diamants naturels. Il se pourrait très bien que les consommateurs adoptent les synthétiques sans réserve et que la demande de diamants naturels chute. »

Polished-round-brilliant-cut-diamonds

« Au final, le consommateur est le vrai gagnant car il trouvera des synthétiques peu coûteux sur le marché, qui seront aussi beaux que des diamants naturels. La principale question est de savoir si, finalement, le consommateur choisira l’article beau, économique et plus durable ou celui qui est beau, rare, moins abordable et moins durable. Il s’agira d’une décision personnelle. Mais une chose est sûre, des changements se profilaient dans l’industrie diamantaire et cette initiative de De Beers provoquera des changements irréversibles. Toute la question est de savoir si cette stratégie sera ou non suffisante pour sauver sa poule aux œufs d’or (les diamants naturels). De Beers montre qu’elle est prête pour le grand défi et prête à se battre. Il n’y a pas beaucoup de miniers qui peuvent se permettre d’être présents dans l’industrie des diamants naturels et dans celle des synthétiques. Par conséquent, De Beers survivra probablement dans l’une des deux mais son rôle pourrait changer à long terme. »

« En ce qui concerne les autres miniers, la plupart sont à la traîne. S’ils veulent aussi faire partie de l’industrie des synthétiques, ils vont devoir repenser leurs stratégies. Ils pourraient, par exemple, s’associer à des producteurs de synthétiques. Les sociétés d’extraction de diamants (qui décident ne pas s’impliquer dans les synthétiques) et les pays producteurs ne peuvent qu’espérer que la démarche de De Beers protègera l’activité des diamants naturels. Ceux qui se contentent d’espérer n’ont plus leur destin en main. Les acheteurs de diamants (négociants, fabricants et détaillants) doivent aussi décider d’une stratégie. Les négociants ne seront présents que dans le secteur des diamants naturels alors que les fabricants pourraient tailler des diamants naturels, ce qu’ils font depuis longtemps, mais aussi des synthétiques. Dans l’industrie des synthétiques, les fabricants de bijoux pourraient commander les diamants dont ils ont besoin. Il y a évidemment de l’offre (plus de producteurs et des pierres qui peuvent être réalisées à la demande) et des prix plus attractifs. Mais une incertitude demeure quant à savoir si les clients finiront par adopter les synthétiques. »

Source Idexonline