Le PDG de Tiffany & Co. évoque l’approvisionnement éthique, les mines responsables et le leadership

Rahim Kanani

Dans un entretien avec Michael J. Kowalski, président du Conseil d’Administration et PDG de Tiffany & Co., nous avons abordé des sujets comme la responsabilité sociale des entreprises, l’approvisionnement éthique et l’exploitation minière responsable, les principes du leadership, et bien plus encore.[:]

Quels sont, selon vous, les types de problèmes ou de défis que rencontrent les joailliers, notamment ceux de la taille et de la stature de Tiffany & Co. ?

Michael J. Kowalski : Une société de la taille et de la stature de Tiffany & Co., qui évolue dans un marché des bijoux très fragmenté, où les « marques » sont vraiment absentes, est confrontée aussi bien aux avantages qu’aux défis du leadership de l’industrieÀ l’évidence, nous disposons des ressources nécessaires pour faire ce que peu d’autres dans l’industrie peuvent réaliser. Je veux bien sûr parler d’une chaîne d’approvisionnement intégrée verticalement et sécurisée, en y incluant les opérations de taille de la plupart de nos diamants et la création d’un grand nombre de nos bijoux, dans des ateliers Tiffany du monde entier. Mais nous sommes aussi confrontés, à juste titre, à des attentes beaucoup plus fortes que bon nombre de nos concurrents, moins célèbres. La puissance de la marque Tiffany nous offre à la fois opportunités et responsabilités.

Récemment, vous avez évoqué l’approvisionnement éthique et la responsabilité, des thèmes intimement liés à la promesse de marque de Tiffany & Co. Pourriez-vous préciser ?

Je me plais à penser que la majorité des consommateurs s’intéressent vraiment à l’approvisionnement éthique. Mais, pour parler franchement, ce sujet arrive rarement « en pole position » lorsqu’ils envisagent d’acheter un bijou. Cela dit, je crois que les clients de Tiffany ont confiance ; soit ils le formulent, soit c’est sous-entendu. Ils croient que Tiffany – dans le cadre de sa promesse de marque –a des solutions en la matière. Nous garantissons, tout d’abord, que les matériaux ont été achetés et fabriqués de façon responsable, notamment avec l’utilisation de métaux précieux recyclés et un accent mis sur les mines qui minimisent leur impact sur l’environnement et respectent les droits de l’homme. Nous engageons aussi des efforts pour proposer des opportunités économiques, au-delà des opérations minières, dans les pays en développement où a lieu l’exploitation. Pour bon nombre de nos clients, ces promesses sont peut-être implicites, mais cela ne les rend pas moins réelles. Et, si nous les décevons, les dégâts pour notre marque seront certainement très réels.

Laetitia-Casta-Tiffany-Co

Pourriez-vous citer quelques-uns des efforts ou des initiatives dans lesquels vous êtes actuellement impliqué ? Quels sont vos modes de collaboration avec d’autres secteurs – par exemple la société civile – pour aborder les problèmes des droits de l’homme et répondre aux militants écologistes ?

En ce moment, nous nous concentrons, entre autres choses, sur notre travail en tant que membre fondateur de l’IRMA, l’initiative pour l’assurance d’une extraction minière responsable. Selon nous, le secteur des bijoux a désespérément besoin d’un système d’assurance pour ses activités minières, qui soit vérifiable par des tiers indépendants et qui fixe des normes rigoureuses en matière de performances sociales et environnementales. Il conviendra d’y inclure des normes de localisation des mines, qui préservent les zones écologiquement et culturellement importantes, des normes de gestion environnementale rigoureuses, une forte protection des travailleurs et des communautés concernées, ainsi que des normes de gouvernance d’entreprise, pour garantir la transparence des paiements des revenus, des sociétés aux gouvernements. L’IRMA travaille aux dernières étapes de l’élaboration de ces normes. Nous avons bon espoir que ce système d’assurance soit largement adopté par tous les segments de l’industrie des bijoux, de la société civile et, surtout, des consommateurs.

Nous nous sommes également opposés à l’exploitation de la mine Pebble, dans la région de Bristol Bay, au sud-ouest de l’Alaska. La mine représente une grave menace pour un écosystème très productif et immaculé. La pêche au saumon y est la plus importante au monde. La mine est fortement contestée par une coalition de communautés locales, d’organisations sportives et commerciales et d’organismes de préservation de la nature. Nous croyons depuis longtemps que, dans certains endroits bien particuliers, l’exploitation minière ne doit tout simplement pas avoir droit de cité. Nous travaillons pour sensibiliser l’industrie du détail et les consommateurs de bijoux au fait que Bristol Bay est l’un de ces sites. Nous exhortons également l’Agence américaine de protection de l’environnement à faire usage de son pouvoir, en vertu de la Clean Water Act, pour y interdire tout développement minier.

[two_third]

Enfin, nous pensons qu’il faut renforcer le Kimberley Process. Il a obtenu de nombreux succès en matière d’éradication des diamants du conflit sur le marché mondial.

Selon nous, la définition des diamants du conflit devrait être élargie. Cela permettrait au KP de traiter les abus des droits de l’homme liés aux diamants, où qu’ils se produisent.

[/two_third]

[one_third_last]

« Selon nous, la définition des diamants du conflit devrait être élargie. »

[/one_third_last]

Vos clients exigent-ils d’en savoir plus sur le lieu et la méthode d’approvisionnement de vos bijoux ? Autrement dit, quelle part de vos efforts est dictée par le consommateur et quelle part peut être attribuée à des questions de conscience ?

Les consommateurs sont certainement plus exigeants quant à la provenance de nos bijoux et à nos méthodes. Il s’agit encore d’une minorité, mais leur nombre augmente rapidement. Certes, nous éprouvons un fort engagement moral qui nous pousse à agir de façon responsable – et pas seulement moi ou la direction supérieure, mais aussi tous nos collègues de Tiffany à travers le monde. Pourtant, nous avons aussi un impératif commercial à agir ainsi. Nous nous sommes toujours enorgueillis de la gestion de Tiffany & Co. sur le long terme. Nous existons depuis 177 ans ! À l’avenir, il ne fait aucun doute que les consommateurs voudront sans cesse plus de comportements responsables. Répondre efficacement à cette demande sera source de différenciation pour la marque. Au final, cela nous permettra de créer de la valeur actionnariale à long terme.

Dans les 5 à 10 ans, quel rôle espérez-vous pour Tiffany & Co. au sein de cet espace ?

[two_third]Dans un monde parfait, Tiffany & Co. aurait sa propre chaîne d’approvisionnement, totalement transparente. Nous achèterions directement à la mine nos diamants et métaux précieux. La fabrication de tous nos bijoux s’effectuerait dans des ateliers contrôlés ou suivis de près par Tiffany. Mais il reste beaucoup à faire avant que nous puissions atteindre cet objectif. Au niveau des mines, j’espère que nous continuerons à ne choisir que celles qui répondent aux normes les plus élevées en matière de responsabilité sociale et environnementale. Nos stratégies d’approvisionnement doivent également montrer que les communautés qui accueillent une exploitation minière doivent recevoir une part plus équitable des bénéfices, en aval dans l’industrie des bijoux.[/two_third]

[one_third_last]

« À l’avenir, il ne fait aucun doute que les consommateurs voudront sans cesse plus de comportements responsables. »

[/one_third_last]

J’espère que Tiffany jouera un rôle majeur dans l’élaboration des normes d’exploitation minière (comme nous le faisons grâce à l’effort IRMA), pour protéger l’environnement, les communautés et les travailleurs. Nous pourrons ainsi garantir que notre activité dépend d’une industrie minière saine. J’espère que nous resterons les interprètes d’une réglementation progressive de l’industrie, y compris ici, aux États-Unis, avec la réforme de la Loi de 1872 sur les mines. Je souhaite que nous continuions à exploiter la puissance de la marque Tiffany pour nous opposer aux développements miniers dans des zones importantes, au plan environnemental et culturel.

Plus largement, j’espère que nous nous intégrerons à un mouvement professionnel réfléchi, qui reconnaisse le danger évident du changement climatique, et soutienne des actions combatives du gouvernement – que ce soit par la réglementation ou la fiscalité – pour contrer cette menace.

Enfin, étant PDG depuis près de 15 ans, quelles sont les méthodes de leadership que vous avez apprises en essayant de vous attaquer à ces problèmes de société, d’un point de vue professionnel ?

La leçon numéro un est la suivante : reconnaître, de manière claire et sans équivoque, les nombreux défis que rencontre toute entreprise fondamentalement dépendante de l’extraction de métaux précieux et de diamants. De nombreux clients préfèrent sans doute ne pas en savoir trop sur les réalités troublantes de l’exploitation minière. L’aveuglement volontaire ou le secret, dans les entreprises, peuvent en tenter plus d’un. Mais les clients méritent de connaître l’impact de leurs achats. En effet, c’est cette connaissance et les choix qu’elle induit, qui peuvent donner du pouvoir à ceux, dans l’industrie, qui défendent les comportements responsables.

Deuxièmement, bien que beaucoup dans l’industrie admettent l’impératif commercial et moral d’agir de façon responsable, c’est malheureusement le militantisme, ou sa menace, qui attire l’attention et décide à agir. J’ai appris que le projecteur que la société civile peut braquer sur un comportement irresponsable est un allié puissant du progrès.

Enfin, en termes de développement organisationnel et de culture, sachez que le premier soutien à nos initiatives sociales et environnementales provient de nos propres employés, de notre conseil d’administration et de nos actionnaires. Les projets de la société sont une immense source de fierté, de même que la conviction que nous pouvons trouver un lieu où les impératifs moraux et commerciaux sont compatibles, pour créer un modèle efficace de comportement responsable.

Source Forbes