Le documentaire de Showtime est divertissant. Mais est-il exact ?

Rob Bates

Impossible pour moi de faire une critique objective de « Nothing Lasts Forever » (« Rien ne dure pour toujours »), le tout nouveau documentaire provocateur sur les diamants qui sera diffusé cet automne sur Showtime. Il présente un grand nombre de personnes que je connais, de conférences auxquelles j’ai assisté et des sujets sur lesquels j’écris depuis des dizaines d’années. On me voit même très brièvement lors d’un événement, en train de m’ennuyer.

Ceci dit, voici mes impressions à la suite d’un visionnage organisé au cinéma BAM Rose à New York, le 26 juin.

Ce film, réalisé par Jason Kohn (Manda Bala), est consacré au débat portant sur les diamants synthétiques et les diamants naturels. Il ne fait de cadeaux à aucune des parties. Il est clairement plus hostile aux diamants naturels mais n’est pas amical non plus avec les diamants synthétiques, les qualifiant de « mensonge à propos d’un mensonge ». Le mot « synthétique » est prononcé si souvent que les publicitaires vont peut-être devoir ressortir ce terme qu’ils détestent pourtant tout particulièrement.

Le film a été réalisé et monté de très belle façon, il est globalement divertissant même s’il contient quelques passages un peu plus lents. Les séquences les moins intéressantes concernent de longs passages faits d’images ordinaires, comme l’ouverture d’un écrin ou la mise en service d’une machine. Le résultat est peut-être agréable dans les salles obscures mais, sur un écran d’ordinateur ou de téléphone, l’attention des spectateurs pourrait s’égarer. (À l’exception de diffusions occasionnelles, comme celle à laquelle j’ai assisté à Brooklyn, le film ne sera pas disponible en projection ou en streaming avant sa sortie sur Showtime.)

L’une des stars du film, le gemmologue Dusan Simic, déclare au JCK que Jason Kohn – qu’il compte parmi ses amis et inversement – a fait du « bon boulot », expliquant qu’il a été très applaudi lors du festival international du film de Berlin. Il admet toutefois qu’il propose une « simplification brutale ».

« Lorsque des commentateurs à l’écran prononcent les mots « vérité » et « mensonges », le débat ne peut pas être sérieux. C’est bon pour le divertissement. Mais pour un débat digne de ce nom ? Allons bon. »

Lors d’un récent webinaire, Dusan Simic a déclaré que le film était supérieur à la bande-annonce proposée par Showtime, qu’il a qualifiée de « pourrie », ajoutant que même Jason Kohn était « déçu » par celle-ci.

Après avoir vu les deux, je ne constate pas de véritable différence. Si je devais résumer le message du film, ce serait que « l’industrie diamantaire a été créée par le marketing et sera bientôt détruite. » Ces deux idées apparaissent dans la bande-annonce de Showtime.

L’autre star du film s’appelle Aja Raden, elle est auteur, designer de bijoux et créatrice d’Opinion Engineering. Ses réparties vives ont fait d’elle la chouchoute du public (et du réalisateur). Si Nothing Lasts Forever ressemble parfois à des échanges style Twitter, Aja Raden a marqué les plus beaux points.

« J’ai apprécié que ce film ne prenne le parti de personne, m’explique Aja Raden. De nombreux documentaires tombent dans le piège et deviennent des publicités pour un camp ou l’autre. Celui-ci montrait bien divers points de vue. »

Mon plus gros souci tient au fait que, malgré la brève histoire de De Beers – racontée au moyen de séquences vieilles de plusieurs décennies, à l’époque où elle était en position de force –, le film fait croire à tort aux spectateurs que le monopole de De Beers perdure. (Au BAM, un participant a d’ailleurs posé une question à Jason Kohn à propos du « cartel ».)

À l’époque de ces vieilles images, la part de marché de De Beers atteignait les 80 % à 90 %. Aujourd’hui, elle est à moins de 25 %. La baisse est majeure et a été entamée il y a 22 ans. Le monopole du diamant est terminé. C’est une bonne chose.

Dans les séquences anciennes, on voit que les cadres de De Beers ne pouvaient pas se rendre aux États-Unis à cause de problèmes antitrust liés à la société. Le film n’apporte aucune autre information à ce sujet, un spectateur lambda pourrait donc croire que c’est toujours vrai. Pourtant, les cadres de De Beers se rendent régulièrement en Amérique, du moins depuis dix ans. Les réalisateurs les ont probablement croisés lors des salons JCK auxquels ils ont participé.

Nothing Lasts Forever n’en fait pas état. En revanche, si vous deviez boire un verre à chaque fois que quelqu’un parle de « mélange », vous seriez bien éméché à la moitié du film.

Alors, dans ce contexte, souligner qu’ALROSA est le premier producteur de diamants au monde n’est pas une vraie victoire. Mais au moins, c’est vrai. Donner aux spectateurs l’impression que l’industrie diamantaire est toujours contrôlée par un cartel ou que les cadres de De Beers ne peuvent pas se rendre aux États-Unis est, comme le dit si bien le film, un « mensonge à propos d’un mensonge ».

Jason Kohn n’était pas disponible pour m’accorder un entretien complet mais il a répondu par e-mail à cette question, expliquant que la fin du cartel de De Beers « n’était pas pertinente » pour son histoire :

« Puisqu’il s’agit d’un film traitant principalement de la puissance de la narration, il était important de montrer comment De Beers a si bien réussi à créer le « rêve diamantaire ». Nous avons abordé cette information lors d’un entretien et nous l’avons présentée visuellement en utilisant des images d’archives. C’est l’histoire de la société racontée au passé, elle est essentielle pour comprendre comment De Beers a dominé le ton du marketing des diamants. »

« L’une des grandes difficultés que l’on rencontre en voulant raconter une histoire, quelle qu’elle soit, c’est de déterminer les informations essentielles. La façon dont De Beers a créé sa narration et comment cette narration a perduré sont évidemment des points importants de notre récit. Personnellement, je ne vois pas en quoi les événements qui ont fait évoluer la part de marché de De Beers étaient essentiels pour comprendre son positionnement face aux diamants synthétiques. »

Pour préciser, je ne dis pas que ce film devrait rappeler « les événements qui ont fait évoluer la part de marché de De Beers »… C’est un vaste sujet. Je crois simplement qu’il aurait fallu indiquer que cette part de marché avait changé.

Lorsqu’un réalisateur raconte une histoire vraie et fait état de certains faits, il a l’obligation d’informer les spectateurs que ces faits ont changé depuis longtemps, même si cela ne va pas dans le sens de son histoire ou complique son récit. S’il n’est pas là pour dépeindre un tableau authentique, à quoi cela sert-il ?

Au BAM, Jason Kohn a qualifié son film « d’essai reposant sur des personnages et doté d’une intrigue ». Selon lui, il lui a fallu 12 ans pour le réaliser et il a été particulièrement difficile à « caster ».

« L’industrie rassemble un grand nombre de personnes qui seraient capables de parler de ces sujets. Mais lorsque l’on choisit les protagonistes d’un documentaire, on cherche des profils. On ne cherche pas des personnes… »

« Je pense que tous les acteurs du film ont amplement la possibilité de donner leur version. Et même si vous n’êtes pas à 100 % d’accord avec eux, si vous ne leur laissez pas d’espace et si vous ne comprenez pas l’intention de chacun, pour moi, c’est malhonnête. »

C’est là un formidable principe directeur. Je ne suis pas certain qu’il l’ait suivi.

Jason Kohn permet à ses « personnages » de s’exprimer longuement mais il met également sa touche de réalisateur qui pèse dans la balance.

Prenons le portrait que fait le film de Martin Rapaport, président de Rapaport Group, et de Stephen Lussier, directeur chez De Beers, actuellement retraité, deux personnes que je connais personnellement.

Jason Kohn a expliqué qu’il voulait remonter à « l’origine » des différents sujets. Mais même si le film évoque le mariage de Stephen Lussier avec un membre de la famille Oppenheimer – à deux reprises –, il ne parle jamais du fait que Martin Rapaport est le fils de deux rescapés de l’holocauste.

Par moments, les paroles de ces deux hommes sont coupées par des arguments brusques, ainsi que par de la musique forte et des images qui, selon Screen Daily, « s’apparentent à des commentaires éditoriaux codés. »

Les arguments éculés de Martin Rapaport sur les synthétiques ne lui rendent guère justice et ses rêveries sur le rôle des genres et l’égalité hommes-femmes n’ont pas été comprises, s’attirant les rires de la foule connaisseuse de Brooklyn.

Au BAM, Jason Kohn a raconté qu’un spectateur, présent lors de la première à Berlin, avait décidé que Martin Rapaport était « peut-être quelqu’un de méchant » et « vénal », mais qu’il « l’aimait bien » quand même. Je connais Martin depuis 30 ans et j’ai eu des différends avec lui mais je ne le qualifierais jamais de vénal.

Que vous soyez ou non en accord avec tout ce que dit Martin Rapaport sur les diamants synthétiques (ce qui n’est pas mon cas), il faut savoir qu’il aurait pu gagner pas mal d’argent en les inscrivant sur sa plate-forme. Comme on le voit dans le film, il a choisi l’option contraire, estimant que ce n’était pas la bonne chose à faire. C’est l’opposé de la définition de vénal.

Martin Rapaport n’a donc pas réussi à créer un lien avec les spectateurs lors de la projection. Lorsqu’il relayait l’histoire d’un détaillant, découvert en train de vendre des diamants dont la pureté avait été améliorée sans divulgation, et qui avait perdu son entreprise puis, selon les mots de Rapaport, « avait fini par boire pour s’en absoudre et se tuer », les membres du public ont ricané. Je suppose qu’ils riaient de la description acerbe de Martin Rapaport, et non de l’incident en lui-même. Or, je sais, ayant interviewé ce bijoutier, que sa mort affreuse n’avait rien d’une blague.

Et même si Martin Rapaport se présente comme un trouble-fête sur la défensive, les professionnels du secteur savent que ce n’est absolument pas le cas.

Si l’axe du film avait été différent, Martin Rapaport aurait pu être présenté comme un héros, étant donné sa position sans compromis face aux diamants du conflit, ses incitations louables à utiliser les pierres Fair Trade, ainsi que ses altercations répétées avec certains membres de l’industrie à propos de sa liste tarifaire, qui lui ont valu des menaces de mort dans les années 80. (Martin Rapaport n’a pas encore vu le film.)

Stephen Lussier – que Variety et IndieWire ont qualifié par erreur de PDG de De Beers – prononce un long monologue sur l’importance des diamants pour l’économie du Botswana. Mais ses propos sont accompagnés de ce qu’un critique a appelé « un montage ironique », montrant des explosions et un éléphant mort.

Cette « métaphore sarcastique » est particulièrement étrange. Les réalisateurs ne semblent pas s’être documentés pour vérifier si les propos de Stephen Lussier sont vrais, ce qui est le cas. Mais ils ne pouvaient pas laisser ses commentaires tels quels. Si la destruction de l’industrie diamantaire avait pour conséquence la dégradation d’un pays en développement, le documentaire deviendrait bien moins amusant. Ils ont donc intégré des animaux morts, sans autre explication.

Dusan Simic affirme qu’il était en désaccord avec Jason Kohn sur la séquence de l’éléphant en train de mourir. « Je lui ai dit que c’était totalement inutile », explique-t-il.

Dusan Simic joue le rôle du héros tragique du film. Il en est réduit à conduire un Uber lorsque son projet pour insérer un produit chimique détectable dans chaque diamant synthétique est rapidement enterré. Son idée, même si l’intention était bonne – et plutôt mal expliquée dans le film –, présente un défaut majeur : il faut qu’elle soit acceptée par les fabricants.

Et pourtant, il espère que le film aura un effet sur les efforts de l’industrie pour détecter les diamants synthétiques. Il ajoute que, lorsque le film a été tourné en Israël, des négociants craignaient, tout comme lui, la présence d’éventuels synthétiques non déclarés. Il considère que c’est à la Federal Trade Commission ou à l’industrie de fixer des règles pour les laboratoires.

« Qui peut se qualifier de laboratoire ? Quel équipement faut-il ? Pour installer un vrai laboratoire, il faut un demi-million de dollars en équipement. »

Tout cela mérite d’être discuté. Même si l’on considère dans l’industrie que les synthétiques non déclarés sont assez rares, mieux vaut rester vigilant. La Covid-19 nous a montré que la science n’est pas toujours en mesure d’affronter une menace sans cesse changeante.

À la fin du film, Dusan Simic rencontre des fabricants chinois pour discuter d’un synthétique qui pourrait tromper les évaluateurs.

Quel a été le résultat de ce test ? « Nous ne voulons pas en parler, explique Dusan Simic. Jason et moi avons convenu que ce serait au public de déterminer si j’ai réussi ou non. »

Enfin, de nombreux lecteurs du JCK se montrent curieux : Nothing Lasts Forever fera-t-il du tort au marché ?

La plupart des défenseurs du film le pensaient, tout comme ses détracteurs.

Et malgré un avis contraire, plutôt minoritaire, parmi les professionnels qui ont assisté à la projection – à peu près tous étaient consternés –, je ne crois pas que ce sera le cas. Tout d’abord, le film n’évoque pas les diamants du conflit. Interrogé à ce sujet, Jason Kohn a déclaré au BAM : « Ces questions, davantage politiques, n’avaient pas vraiment leur place, émotionnellement, dans un film comme celui-ci. »

Par ailleurs, le film est diffusé sur Showtime, qui n’a pas autant d’abonnés que Netflix ou Hulu.

Et même s’il connaît le succès, les réactions du public sont souvent imprévisibles. La coproductrice Amanda Branson Gill m’a déclaré qu’elle continue d’aimer les diamants. Aja Raden considère que rien ne changera après cela.

Le film présente aussi de ravissantes photographies de diamants, qui me rappellent une anecdote de l’ère Reagan :

En octobre 1984, CBS Evening News a publié un article critique, évoquant l’utilisation par Ronald Reagan d’images apaisantes pour faire passer ses mesures impopulaires. La journaliste Lesley Stahl a été abasourdie lorsque Richard Darman, assistant à la Maison-Blanche, lui a téléphoné pour la féliciter. « Vous tous, gens de télévision, vous n’avez pas deviné, n’est-ce pas ?, a déclaré Richard Darman. Lorsque les images sont puissantes et émotionnelles, elles masquent, voire assourdissent complètement le son. »

Dans une économie où l’on cherche à capter l’attention, diffuser une série de photos de diamants enjôleuses pourrait même favoriser les ventes.

« Il faut continuer à participer au débat, a avoué David Kellie, PDG du Natural Diamond Council en janvier. Je préfère que l’on parle de moi plutôt que d’être invisible. »

Quelle que soit l’idée que l’on se fait du film, Dusan Simic considère qu’il ne vaut pas la peine de s’en inquiéter.

« C’est juste un film, explique-t-il. La plupart des consommateurs s’y intéresseront, peut-être pendant une heure. Ils l’auront oublié au bout de trois jours. »

Source JCK Online