La terrible année de l’industrie horlogère suisse

Rob Bates

Plusieurs facteurs ont pesé sur l’activité horlogère en 2016.
La Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH) vient de publier ses résultats définitifs pour 2016 et, comme on s’y attendait, ceux-ci sont assez moroses. Les ventes globales ont perdu 9,9 %, le plus fort recul depuis les lendemains de la crise financière de 2009, lorsque les ventes avaient vacillé de 22 %.

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Après 2009, le marché avait connu une reprise « en V », un boom de quatre ans qui avait rapidement permis de rattraper le retard, et plus encore. Mais ce boom s’est désormais tassé pour plusieurs raisons :

– L’Asie. Les initiatives anticorruption de la Chine ont fait subir un lourd tribut aux ventes de montres, comme l’a fait le malaise général constaté dans l’économie asiatique. Tous ces aspects se reflètent dans les chiffres de la FH : les exportations vers Hong Kong et la Chine ont enregistré de forts reculs tout au long de l’année.

Après cela, les fabricants se sont retrouvés avec une surabondance de produits due, en partie, d’après les petits horlogers, au fait que les grandes sociétés cotées en bourse tentent de plaire à leurs actionnaires, ainsi qu’à la nécessité pour les horlogers de définir des calendriers de production deux ou trois ans à l’avance.

Depuis lors, les fabricants ont racheté une partie de cet excès de stock, même si une part a sans aucun doute fini sur…

– Le marché gris. Il s’agit d’un aspect dont on ne parle pas toujours ouvertement mais il est difficile d’oublier que Jomashop est devenu un acteur majeur de l’industrie horlogère (ventes estimées en 2014 : 140,7 millions de dollars). Amazon, qui s’est vanté de ses ventes de montres pour les fêtes, vend maintenant des montres « sans garantie ». Nous entendons de nombreux détaillants se plaindre de la concurrence en ligne. Beaucoup considèrent que les gros horlogers lorgnent aujourd’hui vers le marché gris pour tenter de débloquer la filière.

Même si l’année a été globalement bonne pour l’économie américaine, les exportations de montres vers le continent américain ont également baissé et le marché gris en a probablement été l’un des facteurs.

– Les montres connectées. C’est également un aspect que beaucoup sur le marché ont tendance à ne pas évoquer ouvertement, voire à ignorer totalement. L’Apple Watch n’est pas encore aussi répandue que l’iPhone (la société ne veut pas publier ses statistiques). Étant donné les avis mitigés des utilisateurs, elle risque même de ne jamais y parvenir. Le géant technologique semble aussi avoir abandonné le marché haut-de-gamme. Pourtant, ces derniers mois, j’ai vu des Apple Watch à de nombreux poignets et Apple est, aujourd’hui, d’après ce que prétend la société, le deuxième plus gros vendeur de montres au monde, derrière Rolex. Vous trouverez de nombreux arguments expliquant pourquoi les montres connectées vont ou non nuire au commerce des montres traditionnelles mais il est difficile de croire que cette nouvelle catégorie n’a pas eu d’impact sur l’industrie, pendant une période particulièrement troublée.

Jean-Claude Biver, le PDG de l’activité montres pour LVMH, qui a obtenu de bons résultats pour sa montre connectée Tag Heuer, affirme que ce segment pourrait finir par sauver l’industrie. Mais il faudrait que davantage de sociétés horlogères et de clients les adoptent et le chemin est encore long.

Si l’on se penche sur 2017, le tableau semble un peu plus optimiste. Même si les exportations de montres suisses ont baissé en décembre, le recul était un peu inférieur aux précédents (4,6 %). La FH prévoit officiellement que les exportations resteront stables cette année ; certains analystes optimistes considèrent qu’une éventuelle reprise sera lente et stable, bien loin de la forme du V. Plusieurs points d’interrogation demeurent, notamment l’instabilité du monde et les perspectives de nouveaux droits commerciaux américains qui pourraient nuire gravement à l’activité horlogère suisse.

Toutefois, l’industrie n’a qu’une capacité limitée à peser sur les événements mondiaux ou sur le comportement de la Chine, voire d’Apple. Ce qu’elle peut toutefois contrôler, c’est sa capacité à innover, une chose que beaucoup observent de plus en plus attentivement. La crise a obligé certains à avoir un autre regard sur le marketing, la distribution et la capacité à s’attirer les bonnes grâces des clients de demain. (Ainsi, de nombreuses grandes marques de luxe restent frileuses face aux réseaux sociaux.) L’industrie horlogère dispose à l’évidence d’une clientèle solide mais celle-ci augmente-t-elle ? Jérôme Lambert, coprésident entrant de Richemont, a récemment déclaré à l’Australian Financial Review que le « monde évolue plus rapidement, partout… Il est essentiel de recruter de nouveaux clients. » Si l’industrie horlogère commence à travailler sur cet aspect, il en ressortira quelque chose de bon de cette très mauvaise année.

Source JCK Online