La responsabilité sociale

Martin Rapaport

Le rôle de l’entreprise s’élargit. Même si la nécessité de fournir de bons produits à des prix compétitifs n’a pas changé, la définition des « bons produits » évolue rapidement. La responsabilité sociale peut être considérée comme un attribut positif qui augmente la « qualité » d’un produit. Comme pour toute montée en gamme, plus elle est élevée, plus les coûts et les prix augmentent. Les consommateurs ont le choix parmi toute une série de combinaisons entre qualité et prix. Certains veulent des produits socialement responsables, de qualité supérieure, et sont prêts à payer plus cher. Mais pas tous.

Même si un grand nombre d’acteurs de notre marché souhaitent agir de façon juste et fournir des produits socialement responsables et de grande qualité, c’est au consommateur de décider ce qu’il souhaite et combien il entend le payer. De fait, le niveau de responsabilité sociale est un choix du consommateur. Le niveau qu’il obtiendra sera celui qu’il est prêt à payer – ni plus ni moins.

Le marché peut jouer un rôle positif en faisant la publicité des atouts des bijoux socialement responsables, principalement en stimulant une demande socialement responsable grâce à la concurrence.

Il faut admettre que l’envers d’un bon produit est un mauvais produit ayant des effets délétères sur les gens et la société. Il existe un vaste éventail d’actions socialement irresponsables qui réduisent la « qualité » de nos produits et de l’industrie. La violation des droits de l’homme est la pire de toutes mais les dégâts sur l’environnement, des conditions de travail dangereuses ou inéquitables et toute une série d’autres facteurs ont des conséquences sur la « qualité » de nos produits.

Par ailleurs, les mauvaises actions en entraînent d’autres. Lorsqu’un acteur corrompt un fonctionnaire gouvernemental ou qu’il s’engage dans une pratique illégale qui abaisse ses coûts, les sociétés honnêtes seront défavorisées. Si le marché n’est pas égalitaire, il est impossible de disposer d’une juste concurrence. Les sociétés illégitimes gagnent des bénéfices supplémentaires, ce qui incite certains de ses homologues à s’engager dans de mauvaises pratiques. Tout comme il existe une bonne concurrence, socialement responsable, il existe également une mauvaise concurrence, socialement irresponsable.

Certes, le combat contre l’illégalité peut décourager certains comportements non éthiques, mais cela ne résout pas le problème. Pour avancer, il faut encourager, promouvoir et récompenser les bons comportements et les bons produits. Il faut pour cela une différenciation, un étiquetage et une certification des bons produits. Nous devons récompenser les bons comportements et fixer les bases pour obtenir une valeur ajoutée socialement responsable. Nous devons transcender l’altruisme et créer un marché dans lequel les entreprises ont un intérêt financier à être du côté du bien.

La création de « bonnes » chaînes d’approvisionnement assure une alternative responsable à des sources d’approvisionnement inconnues, pouvant véhiculer de « mauvais » produits. La meilleure façon d’avancer est principalement de proposer de bons produits. Et heureusement, c’est la situation que nous connaissons aujourd’hui.

L’industrie des diamants et des bijoux avance sur la pente glissante de la légitimité. Chaque jour, davantage d’efforts sont engagés pour identifier et surveiller les bonnes chaînes d’approvisionnement. Le Responsible Jewellery Council (RJC) ouvre la marche en créant des références socialement responsables et un système de vérification transparent. De nombreuses organisations, comme l’Alliance for Responsible Mining, Impact, De Beers et d’autres travaillent dur pour aider le secteur artisanal à atteindre les références du commerce équitable qui autonomise les communautés paupérisées. Des groupes commerciaux internationaux, comme la Confédération internationale de la bijouterie (CIBJO) s’unissent pour soutenir les objectifs de développement durable des NU. Vous trouverez sur le site Rapaport.com/src des informations sur les organisations et les sociétés qui travaillent sur la responsabilité sociale.

Il faut reconnaître que l’avancée vers la responsabilité sociale requiert tout un processus. Les choses ne sont pas parfaites et le greenwashing suscite parfois des craintes légitimes. Ainsi, ceux qui soutiennent la légitimation des diamants du Zimbabwe impliqués dans des abus des droits de l’homme font du tort à l’image de tous les diamants, y compris les bons diamants qui profitent à la société dans son ensemble.

Par ailleurs, il faut accepter la mise en place de solutions partielles à des problèmes complexes. C’est le cas par exemple des diamants bruts provenant de mines légitimes, mais taillés dans des usines ne faisant l’objet d’aucune vérification. Certes, il ne faut jamais soutenir des produits dangereux, mais nous devons aller dans le sens d’une légitimation partielle. Nous devons encourager les bons éléments de la chaîne d’approvisionnement, même si, à cette étape, il est impossible de contrôler l’intégralité des étapes. Tant que nous nous montrons totalement transparents sur les limites de nos prétentions, nous ne devrions pas avoir peur d’annoncer ce que nos produits font de bien.

D’autres questions nécessitent des discussions approfondies de la part de l’industrie. Ainsi par exemple, l’initiative d’une chaîne d’approvisionnement que l’on peut contrôler a des répercussions sur le secteur artisanal, car l’opération engendre des coûts de surveillance et de vérification très élevés. Cela vaut aussi pour les petits fabricants. Les conséquences inattendues de la vérification des chaînes d’approvisionnement vont-elles nuire aux petites entreprises ?

Conclusion

La société questionne aujourd’hui les missions et les objectifs des entreprises. Le rôle essentiel des entreprises est-il de générer des bénéfices pour les actionnaires ou de profiter aux divers acteurs et à la société dans son ensemble ? Les entreprises gagnent-elles trop d’argent ? Les entreprises ont-elles l’obligation de créer une société plus juste ? Hillel Hazaken a déclaré : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? »

Milton Friedman a écrit : « Il existe une seule et unique responsabilité sociale de l’entreprise – utiliser ses ressources et s’engager dans des activités destinées à augmenter ses bénéfices, tant que cela reste dans les règles du jeu, c’est-à-dire, s’engager dans une concurrence ouverte et libre, sans tromperie ni fraude. »Pouvons-nous rapprocher ces deux idées ? Des marchés libres, justes, ouverts et compétitifs peuvent-ils optimiser la responsabilité sociale ? Dans quelle mesure les sociétés doivent-elles renoncer à des bénéfices et s’engager dans des activités altruistes ? Qui décide de l’équilibre entre responsabilité sociale et bénéfices ?La thèse principale de cet article est de dire que la société vote pour le niveau de responsabilité sociale qu’elle choisit, en dépensant son argent. Il doit y avoir une corrélation positive directe entre la rentabilité et la responsabilité sociale. La responsabilité sociale doit être motivée par la demande. L’ampleur et la valeur de la responsabilité sociale doivent être décidées par l’offre et la demande.
Les clients sont-ils prêts à payer plus cher pour des produits socialement responsables ? Et combien en plus ? Les employés décident-ils où ils vont travailler en fonction de considérations éthiques ? Les fournisseurs assureront-ils la légitimité de leur chaîne d’approvisionnement si cela leur procure des bénéfices insuffisants ?

Nous devons admettre que l’altruisme et la charité ne peuvent pas être pérennes, sauf s’ils sont appréciés par les clients et appuyés par des bénéfices. Alors que la réglementation gouvernementale peut jouer un rôle pour réguler la responsabilité sociale, elle décourage le développement positif en augmentant les coûts, sans entraîner de bénéfices.

Pour avancer, l’industrie de la bijouterie doit reconnaître et soutenir la valeur ajoutée qu’apporte la responsabilité sociale à ses produits.
Nous devons stimuler la demande de produits socialement responsables en faisant la promotion et le marketing des avantages qu’ils apportent à la société. Nous devons augmenter l’offre de produits socialement responsables, en certifiant une chaîne d’approvisionnement transparente.

Pour que notre industrie réussisse à développer des bijoux socialement responsables, nous devons créer une demande durable qui assure un avantage économique à notre marché. En matière de responsabilité sociale, les résultats financiers sont incontournables. Nous devons créer une réalité dans laquelle faire le bien soit payant.

Source Rapaport

Article from the Rapaport Magazine – August 2021