La pratique des « allers-retours » en recul en Inde

Aruna Gaitonde

En théorie, la pratique des « allers-retours » aurait débuté peu après 2008, lorsque le gouvernement indien a imposé des droits de 2 % sur les importations. [:]Il se pourrait que nous soyons très loin de la vérité, car la pratique domine l’industrie indienne depuis des années. Cette combine malsaine ronge l’industrie indienne depuis longtemps. Et elle nuit à la réputation de l’industrie dans son ensemble. Malheureusement, les lacunes de la politique d’import-export ont été exploitées par quelques hommes d’affaires peu scrupuleux afin de gagner de l’argent en catimini. Toutefois, dans la réalité, l’industrie indienne des diamants et des bijoux est en grande majorité gérée par des personnes honnêtes et professionnelles… à l’exception de quelques « brebis galeuses ». Le phénomène est universel, il ne se limite pas à l’Inde.

Le gouvernement indien est face à un exercice exigeant et difficile lorsqu’il tente de lutter contre ces « allers-retours » : quoi qu’il fasse, il est perdant. D’un côté, il s’efforce de soutenir l’industrie des diamants et des bijoux afin que l’Inde devienne un centre d’échanges. De l’autre, il doit recourir à des droits de plus en plus lourds sur les importations afin de freiner les « allers-retours ». Le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) indien s’est prononcé contre cette pratique, tout en soutenant les initiatives du gouvernement.

[two_third]Pour les retardataires, la pratique des « allers-retours » consiste, pour les négociants, à engager une série d’exportations et d’importations sur du taillé, dans le but de percevoir un financement bancaire plus important. En théorie, lorsqu’un pli effectue quatre allers-retours, cela signifie que pour 1 million de dollars de marchandises, l’exportateur a reçu 4 millions de dollars de financement. Voilà qui sonne comme une transaction intéressante, à condition que le négociant arrive à convaincre la banque de réinjecter l’argent dans le secteur diamantaire et de ne pas le gaspiller en l’affectant à d’autres secteurs. Mais le « financement bancaire » n’est pas la seule chose que les négociants ont à l’esprit lorsqu’ils cèdent aux sirènes des « allers-retours ».[/two_third][one_third_last]

« La pratique des « allers-retours » consiste, pour les négociants, à engager une série d’exportations et d’importations sur du taillé, dans le but de percevoir un financement bancaire plus important. »

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C’est après 2008, lorsque l’Inde a abandonné les droits de 3 % sur les importations et autorisé les importations libres de taillé que les « allers-retours » ont adopté un visage monstrueux. La décision du gouvernement avait pour objectif principal de récompenser certains professionnels indiens de la transformation des diamants qui possédaient des permis d’extraction dans les pays africains, où ils assuraient l’extraction et la transformation des diamants qu’ils voulaient rapporter taillés en Inde. Or, l’absence de droits a également séduit d’autres négociants de diamants, qui se sont lancés dans les « allers-retours » avec une joyeuse insouciance. Après cela, rien n’aurait pu les arrêter et les importations de taillé dans le pays ont commencé à se développer considérablement d’une année sur l’autre.

IndiaColor-DiamondsIndustryEn réalité, l’explosion de ces « allers-retours » en Inde remonte à une époque où l’industrie indienne a demandé au gouvernement de modifier le système fiscal. Alors que la plupart des autres industries étaient taxées sur leurs bénéfices, le secteur diamantaire voulait être imposé sur le chiffre d’affaires, comme en Israël. Le gouvernement s’est exécuté et, en 2007, a supprimé tous les droits sur le taillé. Pourtant, aussi bien le gouvernement que les dirigeants de l’industrie diamantaire l’ont regretté par la suite. C’est à cette époque que de nombreux diamantaires se sont entichés des « allers-retours » : ils y voyaient une nouvelle méthode simple pour gagner de l’argent. La pratique est devenue particulièrement inquiétante lorsque même les plus grandes banques de financement du diamant ont commencé à se montrer nerveuses.

[two_third]S’en est suivi un déséquilibre dans les échanges du pays, les importations de taillé surpassant les exportations, avec un effet négatif pour les véritables fabricants de taillé en Inde. Les échanges ont semblé prendre le dessus et, avec les « allers-retours », le gouvernement et le Trésor public, qui ne se remplissait plus correctement, perdaient de l’argent. De nombreux négociants ont fait l’objet d’une surveillance approfondie de la part du service des douanes du pays et les descentes de police sont devenues monnaie courante. Constatant la disparité entre les importations de brut et les exportations et importations de taillé, totalement irréalistes, le gouvernement indien a dû imposer une surveillance étroite à toute l’industrie. [/two_third][one_third_last]

« S’en est suivi un déséquilibre dans les échanges du pays, les importations de taillé surpassant les exportations, avec un effet négatif pour les véritables fabricants de taillé en Inde. »

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Certains négociants ont commencé à s’adonner à des transactions au cours desquelles une même quantité de taillé était échangée à maintes et maintes reprises, pour diverses malversations : obtenir du capital à peu de frais, escroquer les banques, gonfler les volumes d’échange des sociétés, voire blanchir de l’argent. La pratique a été utilisée de façon flagrante, sans aucun scrupule, par certains exportateurs de diamants. Et avec la constance dont a fait part le gouvernement à soutenir et assurer un financement peu onéreux pour les exportations de l’industrie, même les banques qui finançaient les exportations ont semblé ignorer les malversations de leurs clients. On jugeait tout à fait normal que les négociants exportent encore et encore les mêmes marchandises, jusqu’à quatre à cinq fois, et, dans le même temps, empruntent aux banques en s’appuyant sur des créances à un taux d’intérêt plus favorable que ceux proposés par les prêteurs traditionnels.

C’est là que Dubaï entre en jeu. L’émirat a servi de refuge aux négociants indiens qui s’adonnaient aux « allers-retours ». Dubaï n’applique aucune taxe sur l’importation ou l’exportation de diamants. Ce territoire a simplement servi de « terrain d’échange », car la consommation de taillé y était réduite à son minimum. De toute façon, les diamants exportés vers un destinataire, dans un pays donné, ne sont généralement pas acceptés dans leur globalité. La plupart du temps, la moitié du colis est renvoyée. Cet aspect a bien été exploité par les négociants, qui exportaient vers Dubaï et recevaient en retour la quasi-totalité de leurs marchandises, mais avec les avantages d’un exportateur. Pas étonnant donc que de nombreux diamantaires indiens aient eu et conservent des bureaux à Dubaï, en plus des autres pays.

Selon un analyste, les échanges circulaires servent également à blanchir de l’argent sale. L’argent sale est envoyé à Dubaï par l’intermédiaire d’une transaction hawala (un système bancaire illégal). Il est ensuite déposé sur le compte bancaire d’un négociant. La société vend alors un pli de diamants, payé avec l’argent hawala. Puis, le pli est réimporté et échangé plusieurs fois. L’opération a pour but de réinjecter l’argent sale dans le système. Une fois cela réalisé, l’argent revient dans le pays et il entre sur les marchés, sous forme d’investissements à l’étranger, de comptes secondaires ou d’investissements de portefeuille. Toutefois, les droits de 2 % sur les importations, appliqués par le gouvernement indien, ont considérablement freiné les échanges de diamants par hawala. La marge que reçoivent les négociants pour organiser la transaction et en apporter une trace écrite n’est que de 1 %, un montant peu attractif, étant donné les risques engagés.

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De même, un diamantaire qui possède des agences partout dans le monde ne livre pas forcément ses diamants dans tous ces pays. Il s’agit parfois d’une simple « escale » pour un pli qui voyage d’une agence à l’autre dans différents pays… avec parfois jusqu’à trois ou quatre agences sur le trajet des « exportations ». Ainsi, la valeur du taillé gonfle à mesure qu’il passe dans de nouveaux pays, et ce afin de couvrir le taux d’emprunt du pays précédent. Un seul colis de diamants peut donc générer quatre fois sa valeur en prêts. C’est une « nouvelle » méthode d’allers-retours. Vous avez dit « resserrement des liquidités »… mais de quoi parlez-vous ?

Ceci dit, bien que les « allers-retours » aient terni l’image de l’industrie indienne, il faut savoir qu’ils sont largement utilisés par les négociants de nombreux autres pays. Rappelons que les « allers-retours » ne sont pas un produit « fabriqué en Inde », ni même une pratique spécifique à ce pays. Si l’Inde engage des démarches pour y mettre fin, de nombreux autres gouvernements la soutiennent, mais de façon plus subtile. Peut-être est-ce leur façon de promouvoir leur pays en tant que centre d’échanges, ou en tant qu’industrie solide et prospère, comme à Dubaï, par exemple. Par ailleurs, les « allers-retours » ne sont pas illégaux, mais l’industrie indienne estime qu’ils sont problématiques, car ils compliquent grandement la situation lorsque des « étrangers » utilisent la route des allers-retours. Il y a quelques années, des hommes d’affaires peu scrupuleux sont arrivés sur le secteur diamantaire, dans le seul but de l’exploiter pour ce type de financement, puis disparaître. Certes, la pratique existe dans l’industrie indienne, mais le gouvernement a réussi à la contrôler et à l’arrêter dans une large mesure, voire dans sa totalité. La taxe actuelle de 2 % sur les importations n’est pas vraiment dissuasive, car si un négociant peut générer un crédit et obtenir un retour sur investissement supérieur à 2 %, les « allers-retours » resteront rentables pour lui.

[two_third]Un grand nom du marché considère que les malheurs de l’industrie, comme la crise des liquidités, sont attribuables à ses membres eux-mêmes. Outre s’adonner aux « allers-retours » pour stimuler leur chiffre d’affaires et leurs chiffres sur les exportations, et afin d’obtenir des financements bancaires à bas taux d’intérêt, ils se sont également diversifiés, s’intéressant à l’immobilier et à d’autres secteurs étrangers à la filière du diamant. La situation a entraîné d’importants resserrements des liquidités. Les exportations et les importations de taillé ont atteint des chiffres irréalistes avec, parfois, des importations de taillé supérieures aux exportations. C’était l’exemple classique des « allers-retours » dans un pays comme l’Inde, qui transforme et exporte du taillé, le tout avec un détournement du financement bancaire.[/two_third][one_third_last]

« Un grand nom du marché considère que les malheurs de l’industrie, comme la crise des liquidités, sont attribuables à ses membres eux-mêmes. »

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Lorsque le gouvernement indien a mis un terme aux droits de 2 % sur les importations de taillé en janvier 2012, il visait clairement à éliminer les échanges circulaires. En réalité, ce modèle de financement dans l’ombre est favorisé par l’industrie indienne, du fait des changements qu’elle a demandés au gouvernement en termes d’impôts et de droits. La décision du gouvernement, qui ressemblait davantage à un exercice pour générer des revenus, visait en fait à corriger sa précédente décision d’abolir les droits à l’importation, laquelle avait ouvert la voie aux échanges circulaires ou aux allers-retours dans l’industrie. Bien entendu, cela a satisfait les dirigeants de l’industrie indienne, car l’étape était destinée à assainir le côté sombre de l’industrie. Les droits à l’importation imposés par le gouvernement ont, d’une certaine façon, réduit les « allers-retours ». Savoir s’ils ont véritablement mis fin à cette pratique reste matière à débat.

L’imposition des droits de 2 % sur les importations a payé. Les statistiques d’import-export, publiées par le Gems and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC), ont montré que les importations de taillé ont chuté de 59 % en valeur, à 944,93 millions de dollars, et de 52 % en volume, à 1,966 million de carats en janvier 2012 par rapport au même mois de l’année précédente. Sans surprise, en janvier 2012, les exportations de taillé ont chuté de 19 % en valeur, à 1,7 milliard de dollars, et de 37 % en volume, à 3,32 millions de carats par rapport au même mois en 2011. Le GJEPC a considéré qu’il s’agissait d’un signe encourageant, malgré la baisse des chiffres des exportations.

Pour l’heure, les « allers-retours » des diamants dans le pays sont réellement en repli, mais le syndrome menace de se répandre en Inde si le gouvernement n’engage pas des mesures appropriées pour l’endiguer. Récemment, on a entendu dire que les « allers-retours » avaient contaminé le secteur des bijoux en or, où il était devenu endémique. Cela aurait débuté après que le gouvernement indien a imposé des réductions sur les importations d’or. Mais il s’agit là d’une autre histoire et d’une autre époque.

Source Rough&Polished


[1] Note : article d’archive, publié le 9/01/14 sur Rough & Polished mais qui a semblé important à l’équipe de Rubel & Ménasché pour la compréhension générale du fonctionnement de l’industrie diamantaire.