La demande de diamants est-elle déterminée par Pékin et Washington ?

Avi Krawitz

Ne soyez pas surpris si les diamantaires évoquent brusquement Zhou Xiaochuan et Janet Yellen. Les actions de ces deux personnes, qui dirigent respectivement la Banque populaire de Chine et la Réserve fédérale américaine, pourraient mettre encore plus la pression sur la demande de diamants et, au final, sur les prix du taillé. [:]
Autrement dit, la brusque dépréciation du yuan chinois et une hausse imminente des taux d’intérêt américains n’auraient pas pu intervenir à un pire moment pour le marché. 

Au cours de la semaine du 10 août, la Banque populaire de Chine de Zhou Xiaochuan a autorisé une dépréciation du yuan d’environ 3,5 %. La devise se négocie actuellement aux alentours de 6,4 CNY pour un dollar américain. Pour résumer, Pékin cherchait à offrir à l’économie du pays un sursaut dont elle aurait bien besoin. En effet, la dévaluation du yuan devrait encourager les exportations : les produits chinois deviennent moins chers à l’étranger, en particulier aux États-Unis.

Pour l’industrie diamantaire, la baisse du yuan a un tout autre effet. La Chine est un grand consommateur de diamants, contrairement à d’autres produits. 

Un yuan dévalué rend les importations de diamants plus chères en Chine pour tous ceux qui convertissent leurs devises afin d’acheter des marchandises en dollars – ou négocient des diamants sur le marché local en yuans à partir d’une base en dollars. Michael Huang, directeur général de Diamond Index Group, un fournisseur de diamants et de bijoux en diamants haut-de-gamme en Chine, a indiqué à Rapaport News que les négociants et les grossistes ont déjà augmenté leurs prix d’environ 5 % pour compenser leurs pertes de change. Les détaillants n’ont pas encore modifié leurs prix mais devraient le faire dans les semaines à venir, a-t-il ajouté.

Par conséquent, les acheteurs de diamants chinois, qui se sont montrés prudents en 2015, pourraient insister pour obtenir des remises plus importantes afin de compenser la faiblesse de la devise, a fait remarquer Michael Huang. L’humeur des acheteurs lors du prochain salon des gemmes et de la joaillerie de Hong Kong en septembre constituera un bon baromètre de la demande chinoise.

À contre-courant

Efraim Zion, le directeur général de Dehres Limited, une société basée à Hong Kong et spécialisée dans les grosses pierres et les tailles et couleurs fantaisie, n’a que peu d’espoirs pour le salon. Toutefois, il ne croit pas que le yuan, à son niveau actuel, puisse avoir un effet important sur la consommation.

« Cela pourrait peser sur le marché mais il faudrait que le yuan soit davantage dévalué, à 6,70 CNY ou 6,90 CNY, pour qu’il y ait une réelle incidence », a-t-il déclaré. Pour lui, les véritables défis du marché concernent le ralentissement général de la croissance économique chinoise et les mesures gouvernementales de lutte contre la corruption et les dépenses excessives.

Certes, un yuan en baisse devrait limiter encore la consommation. Les touristes chinois qui se rendent à l’étranger pour acheter des articles de luxe auront maintenant moins de dollars à dépenser dans des boutiques telles que Tiffany, LVMH et Cartier.

En Chine même, le nouveau cours du yuan devrait aussi limiter la demande de bijoux en or, contrecarrant ainsi les effets de la baisse des cours de l’or en dollars. Les consommateurs chinois se précipitent généralement sur le métal jaune lorsque ses cours baissent. Cela s’est produit en avril 2013, lorsqu’une brusque chute des cours a stimulé les ventes de bijoux en Chine et à Hong Kong. Même si une ruée vers l’or plus limitée a été signalée en juillet dernier, lorsque les cours ont perdu 6 % dans le mois, les consommateurs considéreront probablement le marché avec plus de prudence après le recul consécutif du yuan.

Gold Graph

En quête d’un refuge plus sûr

Tout n’est pas si noir pour l’industrie. La devise chinoise et la volatilité des marchés boursiers – parallèlement à la déflation de sa bulle immobilière – devraient augmenter la demande d’investissement dans l’or et les diamants, qui deviendront des actifs refuges plus sûrs, attirant les richesses. Ils pourraient gagner en importance car l’économie chinoise connaît des difficultés croissantes et prolongées, à mesure qu’elle passe d’un modèle centré sur les infrastructures et les exportations vers une économie axée sur la consommation.

Pour l’heure, cependant, chacun estime ses pertes. De grosses sommes d’argent ont été injectées sur les marchés boursiers pendant le boom de ces dernières années. Et une grande partie de cet argent a été perdue ces deux derniers mois.

Michael Huang aperçoit une légère éclaircie parmi les nuages qui planent sur l’industrie diamantaire. « Les gens vont être découragés à court terme car ils n’ont pas d’argent à dépenser, a-t-il expliqué. Mais à long terme, on a vu, avec les récentes baisses, que les marchés boursiers et les autres investissements sont volatils. La demande porte sur des actifs qui ne cachent pas leur vraie valeur et qui sont stables, ce qui est le cas des diamants. Selon moi, ils se tourneront vers les diamants pour le long terme. »

Efraim Zion admet que les consommateurs ne pensent pas encore aux diamants. Il préférerait que le gouvernement engage des mesures pour rétablir la confiance, par exemple en baissant encore les taux d’intérêt – bien en dessous de leur plus bas record actuel de 4,85 %.

Les observateurs estiment qu’avec la dernière dépréciation de la devise, les autorités ont tenté d’assouplir la masse monétaire pendant la transition économique, face à une dynamique mondiale changeante. Les analystes de VTB Capital ont expliqué que la politique monétaire chinoise suit implicitement la politique américaine, du fait de son régime de « parité à crémaillère » avec le dollar. 

Ce qui nous ramène à la raison pour laquelle les diamantaires vont devoir prêter attention aux décisions de Janet Yellen, à la Fed.

« Lorsque le dollar américain était faible, les autorités chinoises ont dû intervenir pour en acheter, augmentant ainsi leurs réserves de change et leur masse monétaire (avec pour résultat une hausse de l’inflation), ont écrit les analystes. Aujourd’hui, tout va à l’inverse. Alors que la réserve fédérale se prépare à resserrer les conditions monétaires aux États-Unis, la Chine va vouloir éviter une pression indirecte à la hausse sur ses taux d’intérêts. Le pays compense cela en dépréciant sa devise, ce qui, dans la pratique, implique d’élargir la marge de fluctuation. »

La fin de l’argent pas cher

Une hausse de la masse monétaire devrait inciter la classe aisée chinoise, en pleine croissance, à se détourner des banques pour placer son argent. La situation devrait être propice à l’achat de produits d’investissement de qualité, comme les diamants et les bijoux en diamants. On peut supposer que le marché diamantaire était soutenu aux États-Unis ces dernières années pour la même raison. Avec de l’argent peu cher, les marchés boursiers proposaient de meilleurs rendements que les banques ou les obligations du gouvernement. Lorsqu’ils ont bondi, les richesses ont augmenté, tout comme la demande de diamants.

Rates Vs. Dow 2

Et pour ajouter encore aux affres de l’industrie, cet effet « richesse » pourrait s’amenuiser car la Fed devrait augmenter les taux d’intérêt avant la fin de l’année. Les marchés boursiers américains ont déjà perdu du terrain, anticipant une hausse des taux. Le Dow Jones Industrial Average était en recul de 3 % le mois dernier. Lorsque la perception des richesses baisse, les dépenses discrétionnaires des consommateurs diminuent elles aussi. 

Parallèlement, le marché diamantaire doit prendre garde au surendettement car le coût des emprunts devrait augmenter. Dans cette optique, les replis récents des banques de l’industrie diamantaire apparaissent comme une bénédiction.

Il faut aussi remarquer que lorsque les pénuries deviennent plus évidentes, un dollar fort favorise le marché diamantaire américain, ce qui devrait se produire après la saison des fêtes au quatrième trimestre. S’il doit y avoir concurrence pour les marchandises et si l’on considère la solidité du dollar, les négociants américains seront mieux placés pour s’approvisionner que leurs homologues en Chine et en Inde.

Pourtant, du point de vue de la demande, les dernières évolutions en Chine et aux États-Unis ne favoriseront pas la croissance de l’industrie diamantaire. Aucun de ces marchés ne peut en effet être pris isolément. Par conséquent, la dépréciation du yuan et les décisions à venir de la Fed concernant les taux d’intérêt font naître de nouvelles incertitudes pour l’industrie. En effet, la crise actuelle – et des perspectives de stagnation pour le reste de l’année – est largement due à des déséquilibres au sein du marché : des prix du brut gonflés, une baisse de la fabrication, des stocks volumineux et, surtout, une demande figée de la part des consommateurs. Ajoutez à cela les influences économiques négatives provenant de l’extérieur et vous obtenez la dernière chose dont le marché avait besoin à l’heure actuelle.

Source Rapaport