Peu de sujets dans l’industrie font couler autant d’encre que le financement. Le financement bancaire permet à la plupart des entreprises de se développer, de surmonter des difficultés de trésorerie temporaires, d’acheter un nouvel équipement, de se projeter sur le long terme et de réaliser ses prévisions.[:] Dans de nombreux secteurs, un dicton populaire veut que « le financement bancaire soit de l’oxygène ». Dans le secteur de la fabrication diamantaire, c’est littéralement le cas : il le maintient en vie.
La fabrication et la vente de diamants exigent beaucoup de flexibilité et d’agilité. Les fabricants ont de multiples tâches à réaliser et, avec leurs marges ultra-réduites, ils ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent trouver. Ils mobilisent toutes leurs ressources et, parfois, malheureusement, flirtent avec les limites de la légalité.
Flirtent ? Parfois, ils ont aussi fait montre d’une comptabilité créative et d’une « ingénuité » financière qui n’auraient jamais dû exister. Les pires cas, comme celui des allers-retours, ont fait les gros titres. Toutefois, les banques qui financent l’industrie se sont plaintes d’approches plus subtiles, et apparemment plus répandues, qui les ont amenées à se salir, même si cela s’est généralement fait à pas feutrés. Certains cas bien particuliers ont pu aller jusqu’aux tribunaux ; et lorsque des banques ont demandé à leurs clients de collaborer plutôt avec d’autres établissements, cela n’a pas toujours fait la une des journaux. Malgré leur caractère exceptionnel, ces situations ont constitué des alertes auxquelles nous aurions tous dû prêter attention.
[two_third]La situation a récemment changé. Les exigences de Bâle III, la hausse du coût des prêts, l’augmentation des risques et d’autres problèmes obligent les banques à changer d’approche. Avec un besoin croissant de transparence, les banques veulent que leurs emprunteurs adoptent des pratiques comptables d’entreprise qui faciliteront la compréhension de leur activité. Elles veulent savoir comment sera utilisé le financement, ce qui sera acheté et où iront les marchandises. Enfin, elles veulent pouvoir suivre les paiements, afin de comprendre d’où provient l’argent.[/two_third][one_third_last]
« Les exigences de Bâle III, la hausse du coût des prêts, l’augmentation des risques et d’autres problèmes obligent les banques à changer d’approche. »
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J’ai déjà évoqué ce sujet, qualifiant les banques de nouveaux dépositaires du marché. Elles ont pris la situation en main de plusieurs façons (notamment en décidant de réduire le financement des achats lors des sights). Le changement qu’elles ont mis sur les rails pourrait finalement contribuer à assainir l’industrie.
Le nouveau contrat de la De Beers, « rigoureux sur l’aspect financier »
C’est là qu’entre en scène la De Beers. Ce vétéran du diamant n’est pas étranger au changement et est à l’origine de profondes évolutions dans l’industrie. Il est inutile de les énumérer ici. La société révise actuellement les termes de ses accords avec les sightholders pour la prochaine période contractuelle. Pour cela, elle a entamé une série de discussions avec eux afin d’établir la forme et les composantes du nouveau contrat et des critères de sélection.
Nous l’avons déjà indiqué, le questionnaire fastidieux et approfondi, le redouté CPQ, a disparu. Le choix des sightholders pour la prochaine période contractuelle reposera donc lourdement sur leur demande passée – essentiellement sur les achats déjà effectués. Le respect total des normes éthiques, détaillées dans les principes de bonnes pratiques (BPP), constitue déjà une part majeure de ces contrats. Une nouvelle exigence est aussi sur le point d’être ajoutée : le respect des Normes internationales d’information financière (IFRS).
Selon une source à la De Beers, le nouveau contrat sera « plus rigoureux sur l’aspect financier », relevant la barre en matière de conformité financière. L’IFRS est un ensemble de normes comptables internationales, qui précisent comment déclarer certaines transactions et autres événements au sein des rapports financiers. On ignore l’influence exacte des banques sur la De Beers, mais il est évident que le minier les a consultées sur le sujet.
Le sujet est notamment important au niveau de la déclaration de la valeur des stocks de diamants. Les sociétés dont les déclarations ne sont pas conformes à l’IFRS se voient pour l’instant gratifiées d’un commentaire des commissaires aux comptes, affirmant qu’elles ne peuvent pas attester de la valeur de leurs stocks. Ils se reposent donc sur les déclarations et les compétences de la société. Ainsi, le système laisse une certaine liberté d’action aux sociétés en termes de valeur de stocks. Ce commentaire semble ne pas être conforme à l’IFRS.
Si la De Beers exige désormais des déclarations conformes à l’IFRS, ces commentaires ne seront plus acceptables et les commissaires aux comptes devront attester de la valeur du stock. Puisqu’ils ne sont pas experts en diamants, des évaluateurs externes devront peut-être intervenir. Il est aussi possible que les commissaires aux comptes se reposent sur des logiciels internes de gestion des stocks. Tous ces facteurs limiteront la capacité des sociétés à jouer avec la valeur de leurs stocks. Les exigences financières proposées portent aussi sur les ratios d’endettement et de levier. L’une des idées à l’étude consisterait à fixer le ratio chiffre d’affaires sur fonds propres à 20 %. Pour les très grosses sociétés, dont le chiffre d’affaires annuel atteint des centaines de millions, voire des milliards de dollars, l’exigence pourrait être difficile à satisfaire. Elle concernerait en effet des négociants, qui déplacent leur argent jusqu’à 10 fois par an.
Si elles sont adoptées, ces normes de déclaration pourraient ouvrir une nouvelle ère dans l’industrie, à cause des effets sur les sightholders, mais aussi plus loin en aval dans la filière. Elles auront aussi des retombées sur les sociétés postulant aux sights : les autres principaux fournisseurs – ALROSA et Rio Tinto – exigeront que leurs clients les respectent. Puis, les clients des clients pourraient à leur tour demander des normes financières plus strictes, comme Rio et BHP Billiton l’ont fait avec la conformité aux normes du RJC.
[two_third]Pour la De Beers, la question est essentielle. Elle a besoin de clients en bonne santé financière et ne veut pas en perdre à cause d’une gymnastique comptable complexe. Les détails n’ont pas encore été finalisés, mais il est établi que, parallèlement au resserrement des normes financières, la De Beers pourrait malgré tout choisir de se montrer « raisonnable » dans ses exigences. Reste à déterminer comment et de quelle façon elle le fera. Acceptera-t-elle des clients qui ne font pas des déclarations conformes à l’IFRS ? Leur demandera-t-elle de faire la transition dans un délai prescrit ? Se satisfera-t-elle d’une déclaration d’intention pour le passage à l’IFRS, prévoyant que ses clients finissent par adopter la nouvelle norme ?[/two_third][one_third_last]
« La société minière profite d’une excellente opportunité pour engager un changement bénéfique, sinon essentiel, et parfaitement nécessaire. »
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J’espère que ce ne sera pas le cas et que la De Beers insistera pour appliquer les changements. La société minière profite d’une excellente opportunité pour engager un changement bénéfique, sinon essentiel, et parfaitement nécessaire. Sous l’influence positive des grandes banques de financement, ces forces centrales peuvent pousser le secteur de la fabrication diamantaire vers des bases financières plus saines.