Les fabricants sont divisés sur la question de savoir si l’augmentation aussi brusque des prix des petits diamants était vraiment nécessaire.
Au cours de la semaine du 20 février, De Beers a agi de façon inédite depuis le boom de début 2022 : elle a augmenté les prix du brut lors de deux sights consécutifs.
En se présentant à la vente de février, les clients ont découvert que les plus petites pierres coûtaient à peu près 10 % de plus qu’en janvier, époque à laquelle le minier avait déjà appliqué une hausse similaire.
Le point particulièrement inhabituel est le fait que la société a ciblé un segment très précis, le tamis -7, d’environ 0,03 carat – qui permet de produire du mêlé minuscule. Dans une sous-catégorie, les prix ont été relevés d’environ 30 % depuis le début de l’année, d’après certaines sources.
« Selon moi, personne ne s’y attendait », a indiqué une personne informée du marché du brut, sous couvert d’anonymat.
De nombreux négociants imaginaient que De Beers attendrait, pour affiner davantage ses tarifs, de connaître les niveaux de la demande à l’occasion des salons de Hong Kong – qui débutent mercredi 1er mars – et la vitesse à laquelle la Chine redémarrerait.
Le marché bouillonnant des petites marchandises – confronté à une certaine faiblesse dans la plupart des autres catégories – est dû à la popularité du taillé qui en est issu auprès des marques haut-de-gamme qui l’utilisent pour créer de la joaillerie et des montres. Le brut était également en quantité insuffisante ces derniers mois du fait de l’absence de production russe. Par ailleurs, il a gagné la faveur des fabricants qui cherchent à compenser les faibles marges bénéficiaires en apportant aux usines du brut à moindre coût.
Sights ou tenders ?
Le changement contribue pour partie à corriger une divergence entre les prix du brut sur les marchés primaires et secondaires, comme l’ont expliqué les personnes informées. Les sightholders profitaient d’offres relativement intéressantes sur les petites marchandises, puisque De Beers avait réagi avec prudence au boom du segment, constaté au second semestre de l’année dernière. Ceci leur a permis de tirer des bénéfices de la revente du brut à d’autres fabricants. (On ne trouve que peu d’informations sur les prix qu’ALROSA facture aux clients sous contrat qui continuent à acheter son brut.)
« Les fabricants […] achètent des marchandises de seconde main auprès de sightholders et de négociants qui appliquent des suppléments élevés, à deux chiffres, a indiqué un dirigeant d’une société de taille indienne. S’ils avaient l’obligation d’acheter au tarif de De Beers ou d’ALROSA, ce serait un massacre. »
En raison d’une singularité du système des ventes sous contrat, les prix ne sont pas toujours corrélés avec la demande de taillé. Une hausse du marché peut inciter De Beers à relever ses tarifs mais peut aussi entraîner des baisses de prix, après les crises, si ses dirigeants tentent de stimuler les achats. C’est ce qui s’est produit en août 2020, après les premiers confinements de la Covid-19, puis de nouveau en janvier – dans les grosseurs supérieures –, à l’époque où la Chine a semblé prête à se relancer après un ralentissement récent.
Les toutes dernières hausses de prix de De Beers ne correspondent pas totalement à la demande constatée par les fabricants, a indiqué un autre sightholder anonyme. Les fournisseurs en Inde assistent à un retour graduel de la demande des marchandises de 0,30 à 0,50 carat car les acheteurs chinois reviennent progressivement mais les plus petites marchandises empruntent une trajectoire opposée, a-t-il prétendu.
« Je ne sais pas pourquoi ils ciblent autant les plus petits diamants, a-t-il déclaré. Si vous posiez la question à n’importe quel Indien, il dirait que la production de petites marchandises ralentit. Cela va donc vraiment à l’encontre de ce ressenti. »
Des marges réduites
L’initiative intervient aussi alors que les bénéfices sont faibles chez les fabricants car les prix du brut sont globalement restés élevés – en particulier sur le marché ouvert – malgré la demande mitigée de taillé.
« Nous nous intéressons à la rentabilité dans la filière intermédiaire et chez les fabricants et nous travaillons en particulier sur […] notre responsabilité et notre rôle dans le développement durable à long terme », a déclaré Sarah Kuijlaars, directrice financière de De Beers.
Les Stars et le mêlé – les plus petits articles taillés – sont très demandés, a fait observer Vipul Shah, président du conseil du Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) indien et PDG du fabricant de Mumbai, Asian Star. Toutefois, « nous rencontrons des difficultés en matière de rentabilité », a-t-il déclaré à la mi-février, avant la hausse des prix de De Beers. Il a indiqué que le problème tenait davantage aux marchandises onéreuses des enchères et des tenders qu’à l’approvisionnement du sight.
Au second semestre de l’année dernière, les prix du brut de plus de 0,75 carat – aussi appelé 3 grains – ont vacillé sur le marché ouvert avec l’épuisement de la demande de taillé chinoise et le déclin des ventes américaines. Les petites pierres se sont mieux comportées.
« Nous avons constaté une forte correction des marchandises brutes plus grosses et toute cette pression se répercute désormais sur les petites marchandises, a expliqué Vipul Shah. L’absence de rentabilité n’est pas logique. »
Il existe une limite très subtile entre l’ajustement des prix, destiné à les adapter au marché, et une situation dans laquelle l’activité devient très compliquée pour les sightholders. De Beers a peut-être franchi cette limite avec la dernière hausse en date, a prétendu l’un des fabricants.
« Ils étaient très très modérés dans leurs hausses de prix et plutôt attentistes l’année dernière pour les -7 (tamis) et -3 grains, a-t-il admis. Je pense qu’ils vont vraiment rattraper leur retard et le dépasser. »