Grandir avec la génération Z

Rachael Taylor

Vendre aux moins de 25 ans est un défi mais les sociétés capables de présenter sur les médias numériques des produits accessibles et auxquels on peut s’identifier seront les mieux placées pour profiter de cette tranche démographique.

Malgré toutes les nuits blanches passées à se demander si la génération Y voudra toujours acheter des bijoux en diamants, il se trouve que ce groupe n’est pas très différent des générations précédentes. Or, la génération Z – qui arrive à l’âge qui nous intéresse – se présente tout à fait différemment. 

Le World Gold Council (WGC) a interrogé 18 000 consommateurs dans le monde entier pour son rapport Gold Retail Market Insights 2019, incluant des membres de la génération Z les personnes nées à partir de 1995, qui représenteront 40 % du pouvoir d’achat mondial d’ici la fin de cette année, d’après des analystes chez McKinsey & Company. Lorsqu’on leur demande s’ils ont l’intention d’acheter des bijoux en or au cours des 12 prochains mois, seuls 11 % des 18-22 ans aux États-Unis ont répondu par l’affirmative.

« Les bijoux en or souffrent de certains a priori chez les plus jeunes acheteurs, indique le rapport du WGC. Ils sont confrontés à des difficultés particulières en termes de style et à un manque de lien émotionnel avec les consommateurs de la génération Z. Ceux-ci ont acheté beaucoup moins de bijoux en or que leurs parents et envisagent de continuer sur la même voie. »

Même si cette nouvelle risque de briser le cœur des joailliers, il est intéressant de noter l’âge du groupe concerné. Après tout, peu d’adolescents disposent du budget nécessaire pour acheter des bijoux en or mais ils pourraient très bien le faire une fois devenus adultes.

Pas totalement désintéressés

Marla Aaron, designer de New York – connue pour sa gamme personnalisable de « fermoirs » précieux qui imitent les mousquetons des grimpeurs – se veut plus positive quant aux perspectives de la génération Z. Elle est l’une des rares joaillières déjà bien positionnées sur ce marché. Selon elle, « les jeunes aiment autant les bijoux que n’importe quelle autre génération. »

Le secret de son succès est le Baby Lock. Bien que ses bijoux puissent se vendre jusqu’à 75 000 dollars, elle propose également un design en argent d’entrée de gamme à 85 dollars. C’est lui qui a attiré une grande partie de la génération Z, affirme-t-elle, notamment dans le sud du pays, dans des boutiques comme Cicada et Maison Weiss dans le Mississippi et ETC, à Birmingham, en Alabama. Dans ces régions, des adolescents dès 13 ans découvrent Marla Aaron en ligne et achètent, en passant souvent à des versions serties de diamants à mesure qu’ils grandissent. 

« Je pense qu’ils adorent l’aspect convertible du produit », explique Marla Aaron qui évite sciemment d’utiliser des top-modèles dans ses photographies pour ne pas cantonner la marque à un groupe d’âge particulier.

La Diamond Producers Association (DPA) lance également des études pour connaître l’attitude de la génération Z envers les bijoux. Elle a retenu 12 groupes cibles, de 13 à 18 ans, partout aux États-Unis. Même si elle a montré que les bijoux en diamants donnent « confiance » aux adolescents et que ceux-ci les jugeaient plus uniques que d’autres types de bijoux, il y avait un « mais » : comme les centres commerciaux regorgent de designs en diamants et que bon nombre de membres de leur famille, plus âgés, possèdent des diamants, les adolescents ont du mal à intégrer le message marketing de la « rareté ». 

Plus c’est authentique, mieux c’est

L’authenticité est un concept étroitement lié à cette génération. Les membres de la génération Z la recherchent en toute chose : ils veulent une provenance éthique des produits, de la responsabilité sociale, l’acceptation de la diversité, la stabilité financière (après avoir tiré les leçons de la récession qui a ébranlé leurs parents), des entreprises fiables et de confiance. En effet, Marla Aaron explique que l’authenticité de sa marque a été un motif de succès, faisant remarquer : « Nous nous présentons tous sans fard sur Instagram et dans nos communications avec nos clients. »

Cela signifie qu’une grande part du marketing actuel destiné aux bijoux en diamants n’atteindra pas la génération Z : illusion de la rareté, modèles parfaitement polis, symboles de statut du luxe, messages éthiques compliqués. Démêler ces tropes et tout recommencer, telle est la méthode que défendent Clémence Devaux et d’autres membres du groupe Young Diamantaires – qui a été lancé en 2016 lors du World Diamond Congress à Dubaï.

« Nous essayons activement de reconstruire l’industrie diamantaire, affirme la parisienne de 31 ans qui a lancé la marque de diamants minimaliste NYF Jewellery avec son frère de la génération Z, âgé de 22 ans. Elle n’a été ni fiable ni transparente. Nous avons toujours à l’esprit la génération Z et la façon dont nous pouvons créer des liens avec elle. »

Elle considère que l’industrie diamantaire devrait mettre à plat tous les faits concernant l’extraction minière – le bon, le moins bon et le pire – et simplement permettre aux membres de la génération Z de se forger leur propre opinion, sans leur faire de sermon. 

« J’ai peut-être évité de porter des bijoux par le passé parce qu’ils peuvent me vieillir ou être inadaptés pour moi, explique Holly Friend, écrivaine et experte des jeunes, âgée de 26 ans et installée à Londres. Peut-être est-ce dû à leur association avec le luxe et les métaux précieux, qui ne m’intéresse pas tellement. Il est essentiel pour moi que le marketing ne soit pas ostentatoire car j’apprécie la simplicité en matière de bijoux et d’accessoires. Les campagnes qui présentent de vraies personnes – ou des mannequins accessibles ou auxquels on peut s’identifier – pourraient aussi m’attirer, car pour moi, le marketing des bijoux est associé à des top-modèles froids comme la glace. »

« La diversité sous toutes ses formes »

La diversité a fait son entrée dans le marketing des bijoux. Des marques comme Blue Nile et Taylor & Hart ont lancé des campagnes publicitaires présentant des couples homosexuels. La campagne « I Take You, Until Forever » de Tiffany & Co. met en valeur divers types d’engagements, et non pas uniquement le mariage. Des bijoutiers comme Chanel et Swarovski abordent la question de la diversité ethnique grâce à des trios de mannequins noirs, blancs et asiatiques, tandis que des designers comme Fernando Jorge, Shaun Leane et Julien Riad Sahyoun ont lancé des collections de bijoux unisexes. Mais cela est-il suffisant ?

« La génération Z est très certainement celle qui est la plus sensible aux genres et la plus diverse en la matière dans l’histoire de l’humanité », écrit Jonathan Kendall, président de la commission sur l’éducation et le marketing de la World Jewellery Confederation (CIBJO), dans un document intitulé Déconstruire la prochaine grande génération de consommateurs de bijoux. Il souligne que « les membres de la génération Z ne veulent pas être catégorisés. Ils veulent être fluides. Une chose aujourd’hui, peut-être une autre demain. »

Le marketing des bijoux devrait « célébrer la diversité sous toutes ses formes », en utilisant des mannequins ayant des tailles, des mensurations, des couleurs, des âges et des styles vestimentaires différents, conseille Jonathan Kendall. « Plus vous représentez le melting-pot de la vie, mieux c’est. Et les mannequins n’ont pas besoin d’être parfaits. En réalité, généralement, la perfection est jugée très artificielle. »

De WhatsApp à TikTok

Le rapport consacre une grande partie de son analyse au segment des achats sur Internet. Les membres de la génération Z sont des natifs du numérique, qui n’ont jamais vécu sans Internet. Et même si les recherches ont montré que ce groupe de consommateurs apprécie d’aller acheter dans des boutiques traditionnelles, les bijoutiers doivent utiliser Internet pour capter leur attention. Jonathan Kendall conseille d’être présent sur les applications de réseaux sociaux comme WhatsApp, comme a réussi à le faire le détaillant Threads Styling, WeChat, utilisé par des marques comme Bvlgari et Cartier pour s’attirer les faveurs des acheteurs asiatiques, et Instagram qui a révolutionné les ventes directes aux consommateurs.

Toutefois, c’est sur la plate-forme de partage de vidéos TikTok que réside le véritable potentiel. L’application TikTok a été téléchargée 2 milliards de fois – 165 millions de fois rien qu’aux États-Unis – et dispose actuellement de 800 millions d’utilisateurs actifs qui semblent porter un grand intérêt aux bijoux. Les publications TikTok contenant le hashtag #jewelry (bijoux) ont déjà recueilli 1,1 milliard de vues et ce chiffre continue d’augmenter. Avec l’orthographe #jewellery, ce sont 315 millions de vues supplémentaires qui s’y ajoutent. Les sujets de ces courtes vidéos varient, allant de démonstrations de création et de nettoyage de bijoux à des tests d’authenticité sur des bijoux anciens, sans compter les déballages de bagues de fiançailles et l’inventaire des bijoux des célébrités. La plupart sont accompagnées de bandes-sons pop dynamiques.

Bien que certaines marques commencent à utiliser TikTok, les bijoutiers y sont encore relativement sous-représentés, ce qui constitue une opportunité pour ceux qui l’utiliseront parmi les premiers. Près de 40 % des utilisateurs de TikTok ont entre 16 et 24 ans mais le nombre d’utilisateurs plus âgés qui s’y connectent a grimpé en flèche, en particulier aux États-Unis.

Un penchant pour la simplicité

Comment peut-on vendre à ce groupe de consommateurs ? En dehors de certaines exceptions dans le domaine du luxe, comme Threads Styling, cette génération n’est généralement pas assez mature financièrement pour s’offrir de la joaillerie – mais ce sera le cas, et dans peu de temps.

Les achats personnels chez les moins de 35 ans ont augmenté de 21 % à 30 % depuis 2013, d’après le rapport Diamond Insight2019 de De Beers Group. Les colliers, bracelets, boucles d’oreilles rondes et pendants d’oreille en diamants ont gagné en popularité. L’étude de la DPA sur la génération Z a montré que les boucles d’oreilles sont les bijoux en diamants les plus populaires auprès des adolescents, suivies par les colliers, puis les bagues et bracelets (les membres du groupe cible ont jugé ces deux derniers articles peu pratiques). Elle a également montré un penchant pour de l’or blanc « classique » et de l’or rose « tendance », au détriment de l’or jaune, très apprécié de la génération Y.

Ce qu’a appris Clemence Devaux, de NYF Jewellery, après avoir testé plusieurs scénarii, c’est que la génération Z privilégie la simplicité. « Je ne pense pas qu’Elizabeth Taylor soit leur idole », explique-t-elle. En effet, l’étude de la DPA a montré que la chanteuse Rihanna était l’icône préférée de ce groupe d’âge en termes de style de bijoux. « Ils veulent quelque chose qu’ils vont pouvoir porter tout le temps, sans s’en préoccuper. Dès qu’ils auront un peu d’argent, ils voudront le dépenser pour quelque chose qui va durer. »

Bien entendu, la génération Z continue d’évoluer – à mesure que ses membres prennent de l’âge –, aussi bien dans la facilité dont elle aborde tout ce qui a trait au sexe et au style, mais aussi dans sa relation changeante envers les bijoux de luxe. Comme le conseille Jonathan Kendall de la CIBJO dans son rapport : « Si vous voulez vraiment rester au goût du jour… il pourrait être bon de s’assurer les services d’un mentor âgé d’une vingtaine d’années. Dans l’environnement disruptif actuel, inverser le mode de mentorat pourrait bien être la seule façon de continuer à prendre le pouls du marché. »

 

VENDRE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Il ne possède pas de boutique, pas de site Web marchand, pas d’appli. Pourtant, le détaillant de luxe Threads Styling est sans conteste le concept de retail le plus tendance qui existe. Grâce à une armée de « personal shoppers » qui organisent des ventes d’articles de mode et d’accessoires de luxe de marque sur WhatsApp, il cible une clientèle jeune et se renforce grâce à sa présence dynamique sur les réseaux sociaux. Les acheteurs adeptes des technologies de 100 pays s’arrachent les 300 marques mises en avant sur Instagram et Snapchat. Les ventes ont ainsi bondi de 75 % en 2019. Les relations personnelles qu’entretient Threads avec ses followers lui permettent également de bien comprendre les jeunes consommateurs du luxe. La marque vient de lancer une nouvelle chaîne destinée aux moins de 25 ans, @threadsgen, proposant « de la mode de luxe, du streetwear et des occasions tendance ». Voici trois bijoutiers proches de la génération Z présents sur cette chaîne. 

Carolina Bucci

Les Forte Beads de Carolina Bucci – des perles en pierre réalisées en œil de tigre, turquoise, rhodonite, cristal de roche, etc. – représentent la combinaison idéale entre légèreté et luxe. Suspendues à des bracelets ou des colliers, elles dégagent un charme enfantin. En effet, Carolina Bucci s’est inspirée des vacances en bord de mer de son enfance. Mais les matières, qui comprennent des breloques texturées en or 18 carats, relèvent ce concept. Les Fortes Beads sont proposées sous forme de bracelets assemblés – certains conçus par des fashionistas comme Leandra Medine Cohen de Man Repeller et Margherita Missoni de M Missoni – ou dans un coffret, afin de les réaliser soi-même. Ce coffret contient une sélection de perles et un cordon en lurex de signature Carolina Bucci, aux extrémités en or.

Fry Powers

« Des bagues empilées en arc-en-ciel de licorne », telle est la façon dont Fry Powers, une marque de New York, vend ses bijoux en argent et émail ultra-lumineux. Avec des tarifs généralement inférieurs à 300 dollars, ses bagues et bijoux d’oreilles aux couleurs de l’arc-en-ciel – que la marque aime parsemer de bijoux sertis de diamants – sont abordables et affichent une esthétique percutante. Les articles plus onéreux comprennent des bagues en or contenant des pierres de couleur taillées en cœur. Fry Powers délivre également un message éthique : tous ses bijoux sont réalisés à la main à New York et la marque encourage ses clients à lui envoyer les perles qu’ils possèdent déjà, en leur promettant « d’en faire quelque chose de magique ». 

Shay

Le streetwear et l’athleisure (sport et loisir) sont des catégories clés pour les acheteurs de la génération Z. Il n’y a rien de mieux pour apporter un côté « luxe brut » à ces tenues qu’un empilement de chaînes à maillons incurvés. Rares sont ceux qui y parviennent aussi bien que le duo mère-fille Ladan et Tania Shayan, créatrices de la marque intergénérationnelle Shay à Los Angeles, en Californie. Leurs designs en or 18 carats et diamants peuvent être empilés, superposés, mélangés et coordonnés pour aboutir à ce que leur site Internet décrit comme « une garde-robe de bijoux assurant une transition homogène entre sorties au café, réunions et soirées en ville » – ou, dans le cas de la génération Z, entre TikTok et un restaurant socialement responsable.

Source Rapaport


Photos © Marla Aaron, Fry Powers, Shay, Carolina Bucci.