Gérer les diamants synthétiques

Avi Krawitz

Actuellement, les craintes redoublent que des diamants synthétiques de laboratoire ne s’infiltrent sur le marché, mélangés à des plis de diamants naturels. Certes, la question n’est pas nouvelle.

[:]Elle a pourtant pris de l’ampleur ces dernières années, la technologie permettant de produire des pierres synthétiques de meilleure qualité, qui se rapprochent de plus en plus d’un éventail croissant de diamants naturels.

Avec la hausse de la production de diamants synthétiques – qui se poursuit –, le risque s’accroît que ces pierres pénètrent le marché sans déclaration, présentés comme des diamants naturels. Toute une série de rumeurs et d’articles de presse conseillent vivement aux acheteurs de vérifier leurs sources.

La semaine dernière, Rapaport Group prévenait : « Acheteurs, méfiez-vous. On constate régulièrement que de grandes quantités de diamants synthétiques de laboratoire sont mélangées à des diamants naturels dans des plis de mêlées et de pointers. Renseignez-vous sur votre fournisseur et insistez pour que la mention « diamants naturels non traités » figure sur toutes les factures. »

Rapaport Group l’a déjà affirmé, l’industrie doit insister pour que les diamants synthétiques soient correctement déclarés, en insistant sur les trois D : détection, déclaration et documentation.

La récente vague d’inquiétude n’a jusqu’à présent pas été confirmée par des preuves tangibles. Aucune affaire n’a mis au jour un grand volume de diamants synthétiques non déclarés. Le dernier incident, largement commenté, remonte à mai 2012. À l’époque, l’International Gemological Institute (IGI) avait affirmé avoir reçu plusieurs centaines de diamants synthétiques CVD (par dépôt chimique en phase vapeur) dans ses laboratoires d’Anvers et de Mumbai, destinés à être certifiés comme diamants naturels.

Roland Lorié, co-PDG d’IGI, a signalé à Rapaport News ne pas avoir constaté de cas aussi important depuis lors. En revanche, selon lui, ce sont de plus en plus de pierres individuelles ou de bijoux qui sont découverts. « Chaque semaine, nous recevons quelques pierres ou quelques bagues, présentés comme des diamants naturels. Il se trouve qu’il s’agit de pierres synthétiques, a-t-il expliqué. Les quantités ne sont pas énormes, mais la situation se répète. »

Cela ne veut pas dire que les cas de gros volumes n’existent pas. Pourtant, la plus grosse difficulté concerne les très petites marchandises mêlées, vendues dans des plis composés de milliers de diamants.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen infaillible de tester ces plis. La technologie exige de tester un échantillon. Mais même alors, le travail, effectué avec des machines DiamondView, DiamondSure ou DiamondPlus de la De Beers, se fait pierre par pierre ; il est fastidieux et coûteux.

La De Beers s’évertue à simplifier le processus grâce à un appareil automatisé de détection de mêlées (AMS). Un porte-parole de la société a expliqué que des tests internes, réalisés à l’aide du dispositif AMS, avaient été fructueux. La société mène actuellement des essais complets sur le terrain, auprès d’un petit nombre de sightholders, spécialisés dans les mêlées. L’étude devrait bientôt arriver à son terme. La De Beers prévoit le déploiement plus généralisé de l’AMS auprès des sightholders au premier semestre 2014. Une telle technologie serait fort utile face au développement du marché synthétique légitime.

Bien entendu, les producteurs de diamants synthétiques misent sur une croissance rapide. Mike McMahon, PDG de Scio Diamond Technology Corporation, a affirmé que les producteurs ne peuvent tout simplement pas faire face à la demande. Scio Diamond produit actuellement 30 000 à 40 000 carats de brut chaque année ; pourtant, selon Mike McMahon, la société pourrait satisfaire sans délai une demande pour plus de 1 million de carats, si le besoin s’en faisait sentir.

Pour faciliter cette croissance, Scio Diamond a signé le mois dernier un accord de coentreprise avec un partenaire américain et israélien. Le contrat porte sur l’installation d’une structure en Chine, destinée à décupler la production globale de la société d’ici l’été 2014. « Nous avons constaté une hausse de la demande ces 18 derniers mois. Dans l’ensemble, le marché admet la création d’un secteur des diamants de laboratoire », a-t-il déclaré à Rapaport News.

À bien des égards, les diamants synthétiques présentent des avantages par rapport aux diamants naturels. Ils sont commercialisés comme des pierres abordables, éloignées des conflits et respectueuses de l’environnement. L’argument est difficile à contrer. Bien sûr, ils ne bénéficient peut-être pas du côté romantique que représentent les milliers d’années d’évolution des diamants naturels. Le nombre de qualités est également limité, bien que la technologie évolue rapidement.

Les créateurs de bijoux y voient également une opportunité. « Un diamant de laboratoire est un diamant ; au plan optique, physique et chimique, il est semblable à une pierre naturelle, a souligné Reena Ahluwalia, de Reena Ahluwalia Design Inc., à Rapaport News. Pour les créateurs, leur valeur est énorme : l’origine est garantie, le diamant est exempt de conflits et d’abus en matière de droits de l’homme, il est écologique et respectueux d’un environnement durable, c’est aussi le triomphe de l’innovation humaine. Ils représentent une formidable opportunité et un atout économique. » Reena Ahluwalia a déclaré avoir constaté une augmentation des demandes de renseignements sur les diamants de laboratoire ces deux dernières années dans son entreprise.

Ainsi, à mesure qu’ils gagnent en popularité, davantage d’entreprises de l’industrie traditionnelle s’intéressent aux diamants taillés de laboratoire. Scio Diamond compte parmi ses clients les plus grands fabricants de tous les grands centres, comme l’Inde, la Belgique, Israël, Hong Kong et New York.

Pour accréditer son produit, Mike McMahon a souligné que toutes les factures de Scio Diamond stipulent clairement que les diamants sont fabriqués en laboratoire. Il ne peut pas faire beaucoup plus, étant donné qu’il ne traite que du brut. En fin de compte, c’est aux fabricants de différencier leurs stocks de diamants de laboratoire de leurs diamants naturels. Ce sont les fabricants qui envoient le taillé synthétique aux laboratoires pour certification. À eux d’indiquer clairement si leurs diamants sont naturels, autrement dit non traités, ou synthétiques.

De même, Gemesis, le plus important distributeur de taillé et de bijoux en diamants de laboratoire, assume cette responsabilité. La société n’était pas disponible pour répondre à une interview avant que nous ne mettions sous presse, mais elle précise sur son site Internet : « Gemesis s’est engagée à maintenir l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement et à communiquer l’origine de ses produits. Pour établir la certification d’origine et distinguer ses diamants de ceux extraits dans la nature, Gemesis insiste sur un point. Dans le cadre du processus de certification, chaque diamant de laboratoire taillé de plus d’un quart de carat est gravé au laser, avec un nom et un numéro d’identité. »

Nous l’indiquions, le plus grand défi reste donc ces petits diamants, mélangés dans des plis de mêlées. Ils ne peuvent être ni gravés au laser ni certifiés.

Roland Lorié a expliqué que chaque pierre qui entre dans un laboratoire IGI – généralement de plus de 0,30 carat – est vérifiée. Les diamants non déclarés ne doivent pas poser problème. Les marchandises de 0,05 carat à 0,29 carat, qui ne sont généralement pas soumises à certification, peuvent également être contrôlées facilement. Le véritable problème concerne les marchandises de moins de 0,05 carat. Il a ajouté que, même si IGI a mis au point les techniques nécessaires pour les identifier, le processus est relativement coûteux en raison de leur petite taille. En outre, il n’est pas vraiment faisable de présenter tous les plis de mêlées à un laboratoire, a ajouté Roland Lorié.

Les fabricants coupables pourraient être tentés de mélanger ces marchandises à des plis de mêlées pour améliorer leurs marges. En effet, les marchandises synthétiques se vendent et s’échangent à des prix nettement inférieurs. Mike McMahon estime qu’un G, SI de 1 carat de laboratoire coûte environ 25 % à 35 % moins cher qu’une pierre extraite de la terre. Il ajoute que l’écart est bien supérieur pour les petites marchandises dans la catégorie des mêlées, les différences pouvant atteindre 60 % dans certains cas.

Cela n’excuse certainement pas ceux qui trompent le public, en faisant passer des marchandises à moindre coût pour des marchandises plus onéreuses. Avec le brut naturel, les prix semblent perpétuellement élevés. Or, les fabricants s’efforcent d’obtenir des marges décentes ; il est donc compréhensible qu’ils soient de plus en plus nombreux à rechercher des marchandises synthétiques de laboratoire, assorties des déclarations idoines. Malheureusement, davantage de fournisseurs optent pour des marchandises synthétiques légitimes. Et, à mesure que la production augmente, le risque croît qu’un volume supérieur de marchandises non déclarées entre sur le marché.

Le marché des diamants naturels, décontenancé, est en quête de directives pour aborder le problème. Ernie Blom, président de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB), a souligné que son organisme applique une politique de tolérance zéro. Les bourses sont prêtes, a-t-il affirmé, à désigner, accuser et expulser ceux pour qui il est prouvé qu’ils ont vendu des marchandises synthétiques en guise de marchandises naturelles. Pourtant, rien n’a encore été fait.

L’International Diamond Manufacturers Association (IDMA) a averti que de telles pratiques sans scrupules sont en infraction flagrante avec les principes et les règles de base du commerce. Elles nuisent à la réputation du secteur sur le marché en aval.

Roland Lorié a déclaré que les dirigeants de l’industrie doivent prendre des mesures immédiates, par exemple demander à chaque vendeur de stipuler, sur ses factures, que les marchandises sont d’origine naturelle, avant que la situation ne dégénère réellement. Selon lui, des niveaux inquiétants pourraient être atteints dans les deux à trois ans, si les choses n’étaient pas correctement gérées aujourd’hui.

Beaucoup reconnaissent que l’industrie risque de voir sa réputation fortement dégradée dans toute la filière si ces garanties n’étaient pas apportées. Rien que cette semaine, IGI a reçu quatre pierres artificielles, parmi les 19 adressées par une grande chaîne de distribution qui n’est pas nommée. Si un négociant n’est pas à même de garantir l’authenticité de son offre à ses acheteurs, ce manque de confiance rejaillira sur les consommateurs. Actuellement, la détection, la divulgation et la documentation ne suffisent pas pour empêcher ce genre de situation. Pour éviter une crise, il faut désigner les coupables et insister sur les trois D.

Source Rapaport