Face aux mauvais comportements, utilisez des citations vertueuses

Scott Berinato

La recherche : Sreedhari Desai, professeur assistant en comportement des entreprises à la Kenan-Flagler Business School de l’UNC, a lancé une série d’études. Dans ce cadre, les sujets pensaient qu’ils faisaient partie d’une équipe virtuelle qui jouait à un jeu.[:] Ils ont été informés qu’ils gagneraient plus d’argent s’ils réussissaient à convaincre les membres de leur équipe de dire un mensonge. Les autres participants étaient tous des chercheurs, ce qu’ignoraient les sujets recrutés. Dans les signatures de leurs e-mails adressés aux sujets, certains inséraient une citation évoquant l’intégrité, d’autres utilisaient une citation neutre et d’autres encore n’en inséraient aucune. Les sujets étaient moins enclins à demander à ceux qui avaient cité une phrase vertueuse dans leurs messages de jouer le jeu de l’immoralité.

La difficulté : Pouvez-vous vraiment vous affranchir des malversations en affichant vos valeurs ? Ou ne risquez-vous pas de passer pour un moralisateur ? Professeur Desai, défendez votre recherche.

Sreedhari Desai : Nous avons clairement constaté que, si les gens avaient opté pour la solution immorale, ils étaient bien moins susceptibles d’essayer d’impliquer quelqu’un qui affichait un texte sur la moralité que d’autres membres de l’équipe. Nous avons également découvert que, lorsque les sujets lisaient une citation de ce type, la probabilité qu’ils envoient un message fallacieux était généralement plus faible. Une citation vertueuse évitait à un membre d’équipe qu’on lui demande de faire quelque chose de mal et semblait également réguler les sujets.

HBR : Quelles étaient les citations utilisées ?

Sreedhari Desai : « Un succès sans honneur est pire qu’une fraude. » Celle-ci affiche un point de vue clair en matière d’éthique. La citation neutre, au contraire, était la suivante : « Succès et chance vont de pair. »

Dans une autre étude, nous n’avons pas utilisé de messages e-mail mais nous avons demandé aux membres d’équipe de réaliser de petits avatars numériques d’eux-mêmes. En fait, les sujets pensaient que l’étude portait sur les avatars. Les chemises des avatars affichaient des marques. Certaines étaient « morales », comme YourMorals.org, d’autres ne l’étaient pas. Le résultat a été similaire : lorsque les sujets voyaient qu’un membre d’équipe avait un avatar portant une marque morale, ils n’essayaient pas de l’inciter à participer à un mensonge.

Dans une autre étude, nous avons incité les gens à se sentir puissants avant de participer au jeu, simplement pour constater si ce sentiment atténuait quelque peu l’effet du talisman moral. Ça n’a pas été le cas, nous avons là encore obtenu des résultats très similaires.

HBR : Qu’est-ce qui a provoqué ces résultats ?

Sreedhari Desai : Lorsque quelqu’un est en position de demander quelque chose d’immoral, il ne pense peut-être pas consciemment : « je ne demanderai pas à cette personne. » Au lieu de cela, il pourrait percevoir la personne comme moralement « pure » et considérer que lui demander de faire quelque chose de « sale » exacerbe encore la transgression éthique. Il craint peut-être aussi qu’une personne morale refuse simplement la demande.

HBR : Les jeux en laboratoire sont artificiels. Pensez-vous vraiment qu’ils traduisent des situations du monde réel ?

Sreedhari Desai : Dans les études commerciales, un pourcentage élevé d’employés affirment qu’on leur demande de réaliser des choses immorales. C’est ainsi que tout a commencé. Ma collaboratrice, Maryam Kouchaki, et moi-même voulions voir si nous pouvions responsabiliser des employés afin que leurs superviseurs ne leur demandent pas ce genre de choses. Nous avons effectué une analyse sur des employés et des responsables en Inde. Nous avons demandé aux patrons s’ils avaient remarqué des signes religieux chez leurs subordonnés, comme un point rouge sur le front, des images de dieux hindous ou des citations du Coran ou de la Bible dans leurs postes de travail. Nous savons, d’après une recherche précédente, que les gens associent ces symboles religieux à la moralité. Nous avons également demandé aux subordonnés si on leur avait demandé de faire quelque chose d’immoral au cours des six derniers mois. En étudiant la satisfaction au travail, les performances et la qualité des relations de travail, nous avons malgré tout découvert que les personnes qui portaient ou affichaient des signes religieux étaient moins susceptibles de se voir demander de faire quelque chose de malveillant.

HBR : C’est encourageant. C’est une intervention très simple.

Sreedhari Desai : Ce qui m’a le plus encouragé, c’est que nous nous sommes également penchés sur les croyances religieuses. Même si les responsables pouvaient constater la présence de symboles d’une religion différente de la leur, ces symboles avaient un effet modérateur. Nous entendons souvent dans les médias parler de tensions inter-religieuses mais l’étude suggère que les symboles religieux transmettent quelque chose d’universellement positif.

HBR : Cet effet ne risque-t-il pas de disparaître si tout le monde affiche des citations et des signes religieux ?

Sreedhari Desai : C’est en partie pourquoi nous voulions réaliser l’étude dans le monde du travail. Si je vois Krishna à votre poste de travail tous les jours, l’effet initial va-t-il s’atténuer avec le temps ? Les responsables risquent-ils de ne plus y être sensibles ? Il ne semble pas que cela ait été le cas.

HBR : N’y a-t-il que les symboles religieux et les citations sur la moralité qui nous touchent ?

Sreedhari Desai : J’adorerais étudier d’autres types d’éléments. Je pense que si j’affichais des citations sur des causes environnementales, relatives au caractère sacré de la nature, mon patron serait moins susceptible de me demander de jeter des produits chimiques dans une rivière. Évidemment, il faudrait des preuves empiriques mais je pense que nous arriverions au même résultat.

HBR : De fait, recommanderiez-vous aux employés d’afficher leur moralité de façon plus évidente ?

Sreedhari Desai : Eh bien, pour être précis, nous n’avons pas testé la moralité des personnes. Nous avons étudié la façon dont les autres percevaient les symboles de moralité et comment ils se comportaient face à eux. Vous pourriez afficher une très jolie citation dans votre e-mail mais être une personne immorale. En général, je dirais que les conclusions montrent une chose : l’affichage des symboles de moralité pour montrer aux autres que vous êtes un homme ou une femme de bien réduit les risques que l’on vous demande de faire quelque chose de répréhensible.

HBR : Les symboles pourraient-ils toutefois freiner les patrons qui doivent faire des choix difficiles ?

Sreedhari Desai : Nous en avons testé certains sur ce sujet. Dans une autre étude, nous avons découvert que l’affichage des symboles de moralité n’avait aucun effet sur la décision d’un patron de vous licencier ou non. Dans une autre, nous avons voulu voir si cela jouait sur la perception des autres quant à votre leadership et vos compétences et nous avons découvert que ce n’était pas le cas. D’ailleurs, nous avons demandé à ces personnes si elles se souvenaient des citations de moralité des dirigeants qu’elles évaluaient. Bizarrement, elles ne parvenaient pas toujours se souvenir de la citation qu’elles venaient de lire, mais elles conservaient malgré tout une impression favorable sur la moralité des dirigeants. Il pourrait y avoir un facteur inconscient.

HBR : Serait-il possible que ce résultat soit inhérent à certaines cultures ?

Sreedhari Desai : Il pourrait y avoir des frontières culturelles. En réalité, nous étudions la réaction des personnes face aux symboles de moralité en Australie. Notre étude préliminaire a montré que les Australiens étaient sceptiques face à l’affichage de la moralité. Ils semblaient penser que la personne affichant la citation était moralisatrice et qu’elle avait probablement quelque chose à cacher. Ils appréciaient davantage une personne affichant des citations rigolotes ou amusantes et étaient plus susceptibles de l’épargner. Je dois maintenant déterminer ce qui fait que les Australiens sont différents à cet égard.

HBR : En quoi cette recherche est-elle importante ?

Sreedhari Desai : Ce que j’apprécie beaucoup à ce propos, c’est que cela ne concerne pas du tout des comportements connus du public. L’étude mesure ce que font les gens lorsqu’ils savent que leur comportement malhonnête ne sera pas connu des autres. Pour moi, ce qui est réconfortant, c’est que, globalement, l’incidence du comportement immoral a baissé en raison des manifestations de moralité. Non seulement au niveau de ce que les gens demandaient aux autres de faire, mais également au niveau de ce qu’ils faisaient eux-mêmes. Cela me montre que nous pouvons mieux faire. Pour moi, le verre est à moitié plein.

HBR : Vous avez pourtant fait une erreur. Si vous aviez démarré cette conversation par une petite citation à propos de l’intégrité, je serais moins enclin à déformer vos propos et à faire passer votre recherche pour un travail naïf.

Sreedhari Desai Je ne pense pas qu’il soit trop tard. « Agis comme si tes actes secrets et invisibles pouvaient être observés par ceux que tu admires le plus. » Maintenant, je compte sur vous pour agir de la sorte.

Source Harward Business Review