Entretien de départ avec l’ancien responsable du World Diamond Council, Eli Izhakoff

Rob Bates

La semaine dernière, Eli Izhakoff a quitté ses fonctions, après 13 ans passés à la tête du World Diamond Council, l’organisme qui représente l’industrie devant le Kimberley Process. [:]Au terme de son exercice, il a été nommé président d’honneur à vie du WDC et honoré par le gouvernement sud-africain pour son travail au KP.
Ici, il s’entretient avec le JCK sur les défis rencontrés dans son parcours, et sur de possibles enseignements pour l’avenir :

Quels sont vos projets ?

Pour l’instant, je prends quelques jours de congé. Quand j’aurai pris ma décision, tout le monde le saura. J’ai l’intention de rester très impliqué dans la vie politique de l’industrie.

Revenons aux débuts de l’histoire. En 2000, vous avez été désigné à la tête de ce nouvel organe de l’industrie.

On m’a demandé de prendre ce poste un peu à l’improviste. Je ne connaissais pas vraiment ce domaine, ni même les personnes impliquées.

Dès que j’ai été désigné à Anvers [en Belgique], je me suis rendu à New York. Une crise a éclaté immédiatement. Il y avait une manifestation sur la Cinquième Avenue, emmenée par Tony Hall, membre du Congrès [à l’époque démocrate pour l’Ohio], où l’on brandissait des pancartes qui disaient : « Les diamants tuent. » Cela a permis de comprendre l’ampleur de la crise qui avait éclaté.

Avez-vous toujours su que le KP naîtrait ?

Nous avons affronté de nombreuses crises. Parfois, nous pensions que tout allait s’effondrer.

Finalement, nous avons réussi à mettre tout le monde d’accord sur des normes minimales.
Nous avons ensuite prévu les moyens de les faire respecter, en parvenant à un accord sur un mécanisme de suivi. Il s’agit de la plus grande avancée au KP.
Les pays craignaient fort que ce contrôle ne porte atteinte à leur indépendance. Nous avons fini par aboutir à la structure de la mission d’examen. Sans elle, le KP ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il n’aurait jamais obtenu la crédibilité qui est la sienne.

Si le Kimberley Process n’avait pas vu le jour, quelles en auraient été les conséquences pour l’industrie ?

Cela aurait été une catastrophe. Les diamants ne doivent jamais être associés au sang ou à la violence. Pouvez-vous imaginer le film Blood Diamond , si le KP n’avait pas existé ? Le Kimberley Process a sauvé l’industrie.

Le film a-t-il nui aux relations entre l’industrie et les organisations non gouvernementales ?

Beaucoup de gens avaient le sentiment que les ONG faisaient pression en faveur du film. C’était peut-être le cas. D’après moi, les ONG ont un travail à faire.

Bien sûr, elles exagèrent parfois, mais elles veulent apporter leur aide. Elles doivent réussir à se faire apprécier pour le rôle qu’elles jouent. J’ai toujours entretenu d’excellentes relations avec toutes les ONG.

Le dossier Marange a-t-il été le plus grand défi du KP ?

Certainement. Mais la crise au Zimbabwe a également été l’occasion pour le KP de montrer les dents. Quand les gens affirment que le KP n’est pas puissant, qu’ils demandent au Zimbabwe. Nous avons gelé leurs exportations pendant deux ans.

Étant donné la division de vues dans l’organisation quant à savoir s’il faut réautoriser les exportations de Marange, aviez-vous des craintes sur la capacité du KP à survivre ?

Bien sûr, j’étais inquiet. C’était un moment très, très difficile pour le KP. La façon dont la question a été abordée n’a pas toujours été à mon goût. Ce n’était pas un bon moment pour l’Occident en Afrique. L’Afrique avait le sentiment qu’on lui imposait ce qu’elle avait à faire. Le KP a pris les bonnes mesures, mais l’approche de certains pays n’était pas toujours adaptée à la situation.

Étant donné l’ampleur de la production du Zimbabwe, si le pays n’était pas au KP, ces diamants auraient quitté le pays illégalement. Il fallait donc faire tout notre possible pour amener le Zimbabwe à respecter les règles et les normes minimales. C’est ce que nous avons réussi.

Eli 2

Que pensez-vous des organisations américaines qui poursuivent des initiatives de leur propre chef ?

Je pense que ces initiatives se seraient développées bien plus largement si d’autres organisations avaient été consultées lors de leur élaboration.

Agir sans transparence, sans que le leadership de l’industrie ne soit impliqué ni averti de leur existence, a voué ces projets à l’échec. Ils se sont mis à dos l’ensemble de l’industrie. Je ne parle pas des idées en elles-mêmes, mais des modalités de la prise de décision.

Tous ces concepts destinés à produire de « bons diamants » et de « meilleurs diamants » sont parfaitement inutiles. Tous les diamants sont créés égaux. Tous les critères doivent donc s’appliquer à tous. Je ne suis pas contre l’élaboration de critères plus stricts, mais nous devons veiller à ne pas créer une ségrégation pour les diamants africains. En outre, les peuples d’Afrique doivent pouvoir tirer le maximum de leurs ressources.

Avez-vous des idées qui pourraient permettre au KP de mieux fonctionner ?

Le succès du KP me paraît tout simplement fantastique. Voir autant de pays, affichant des intérêts aussi divers, se réunir et s’entendre est un accomplissement énorme. Cela dit, une organisation qui se repose sur ses lauriers perd de sa pertinence. Nous devons toujours nous efforcer de nous améliorer, et je crois que le KP le fera. Quelques réformes sont encore nécessaires, notamment l’élargissement de la définition des « diamants du conflit ».

En ce qui concerne les réformes, l’ASL [le mécanisme de soutien administratif], que nous avons créé l’année dernière, a déjà montré son utilité.

Actuellement, nous organisons une intersession et une session plénière. Il s’agit d’une dépense importante pour les pays d’accueil, les ONG et l’industrie. Le président devrait rester en poste pendant encore deux ans et accueillir deux sessions plénières. Toute autre affaire du KP peut être traitée par téléconférence.

Nous devrions assurer plus de transparence au KP. Pour moi, les assemblées générales devraient être ouvertes à la presse. Les participants pourraient même jouer un rôle plus positif, s’ils sentaient que le monde les regarde.

Y a-t-il une chose dont vous avez été particulièrement fier durant votre mandat ?

Je suis fier du WDC, d’être parvenu à un tel résultat. Je suis fier du KP qui, je pense, est plus efficace et plus crédible que ce que les gens croient. Dans 20 à 30 ans, quand nous regarderons en arrière, nous le réaliserons.

Y a-t-il quelqu’un que vous vouliez remercier ?

Il y a beaucoup de personnes que je tiens à remercier. Tout mon conseil d’administration, l’actuel et le précédent. Je tiens également à distinguer quatre femmes très importantes du KP : l’ancien ministre sud-africain des Mines [et vice-présidente] Phumzile Mlambo-Ngcuka, l’actuel ministre des Mines, Susan Shabangu, l’ancienne présidente du KP, l’ambassadeur Gillian Milovanovic, et notre Cecilia Gardner, au WDC. Ces quatre femmes ont eu un impact énorme sur le KP, pour en faire ce qu’il est aujourd’hui.

La plupart des présidents ont fait un excellent travail, notamment les diplomates, comme Karel Kovanda, et le président actuel, Welile Nhlapo. La De Beers a toujours été utile, et il y a eu un fort soutien du WDC, à la fois politique et financier.

Pendant que j’y suis, je tiens à mentionner Chaim Even-Zohar [journaliste israélien et membre du WDC]. Il en a irrité beaucoup dans cette industrie, notamment des gouvernements et moi-même. Cela dit, il a apporté d’importantes contributions. Je peux citer deux exemples. Il m’a aidé à rédiger et faire adopter la résolution en faveur de l’élargissement de la définition des diamants du conflit [à l’assemblée annuelle du WDC de 2012] à Vicence et à faire pression pour obtenir la libération de Farai Maguwu [militant d’une ONG du Zimbabwe], puis à faire abandonner les charges contre lui.

Quelque chose à ajouter ?

Nous devons constamment veiller à ce que notre produit soit exempt de tout soupçon de conflit, qu’il demeure un symbole d’amour et d’engagement. Nous devons rester unis et ne jamais cesser de parler, discuter et nous engager.

Je pense aussi qu’en tant qu’industrie, nous passons trop de temps à nous réguler. La réglementation est importante, mais nous avons d’autres défis face à nous. Nous devons proposer des initiatives pour assurer l’essor de notre industrie et restaurer sa rentabilité, tout en maintenant le WDC et le KP. Si nous n’y réfléchissons pas, nous n’aurons plus d’industrie à réglementer.


Source JCKonline