Entretien avec Bruce Cleaver, PDG de la De Beers

Rob Bates

Il est évident que Bruce Cleaver, le PDG de la De Beers, en poste depuis un peu moins d’un an, avait un emploi du temps chargé au cours de la semaine du 5 juin au JCK Las Vegas. Notre entretien sur le stand de Forevermark était prévu pour 25 minutes. [:]À la fin du temps imparti, son rendez-vous suivant s’impatientait à la porte. Notre discussion a abordé de nombreux sujets, dont le marché américain, les synthétiques et les avantages pour la De Beers après la prise de contrôle intégrale de sa chaîne de retail.

JCK : La De Beers a récemment racheté l’intégralité de De Beers Diamond Jewellers (DBDJ). Quelles vont être désormais les différences de fonctionnement ?

Bruce CleaverBruce Cleaver : Je pense que lorsque Tony Belloni [directeur général de LVMH] m’a approché, c’était moins pour parler de l’activité spécifique que de son portefeuille global. Vous avez peut-être entendu parler de la transaction Christian Dior, une étape majeure pour eux. Je pense qu’ils essaient d’épurer leur portefeuille. Ils m’ont dit qu’ils souhaitaient se concentrer davantage sur quelques marques.

Nous avons commencé à bien positionner DBDJ. Je mentirais si je disais que tout s’est bien passé dès le départ. Mais je pense que nous évoluons dans une sphère plus adaptée. L’entreprise est très ciblée sur la Chine continentale, même si la majeure partie se trouve en dehors de cette région. Nous avons donc le bon positionnement géographique. Nous travaillons maintenant sur ce que cela représente du point de vue de l’approvisionnement, du point de vue de la marque. Je ne pense pas que cela devienne un jour une activité majeure mais c’est une part importante du portefeuille et de la proposition de la marque…

C’est bien plus qu’un simple rachat d’entreprise, il s’agit de racheter le nom [De Beers], puis établir ce que nous faisons de ce nom. Cela représente beaucoup de travail en ce moment. Mais il nous paraît assez important d’obtenir cette flexibilité.

Pouvez-vous maintenant utiliser le nom pour des activités de gros ?

Cela nous offre plus de flexibilité pour utiliser notre nom de différentes façons, que ce soit au niveau du gros ou pour renommer certaines des activités de notre portefeuille qui, vous l’avez peut-être remarqué, rassemble des noms intéressants. En effet, nous avons toujours supporté cette limite. Alors, en premier lieu, que faisons-nous lorsque nous rebaptisons l’entreprise ? Deuxièmement, que pouvons-nous faire d’autre avec le nom sur le plan commercial ? Au moins, maintenant, nous profitons d’une certaine flexibilité.

Réfléchissez-vous à la façon de faire travailler ensemble Forevermark et DBDJ ?

Oui et non. L’avantage, c’est que ces deux entités n’évoluent pas vraiment dans un espace où il y a beaucoup de chevauchements. Je pense que nous avons toujours été très attentifs à leur positionnement. Nous espérons trouver un moyen de les faire cohabiter sous une architecture de marque commune mais sans se cannibaliser.

De Beers Diamond Jewellers va-t-elle rester aux États-Unis ?

Oui. Si vous avez une marque internationale, il vous faut une présence aux États-Unis, en particulier à New York. Mais nous n’envisageons pas de la développer fortement dans ce pays. Cela ne veut pas dire que nous n’allons pas ouvrir une ou deux boutiques mais il n’y aura pas de forte expansion ici.

La marque a trouvé un écho extrêmement fort auprès des consommateurs de différents pays, la Chine en particulier. En Chine, la marque est très puissante. Les marques bien installées réussissent bien dans ce pays, elles jouissent de confiance. Il y a donc une grande opportunité à ce niveau-là.

Vous avez développé une nouvelle initiative de vente de taillé. Comment pensez-vous l’intégrer ?

Nous essayons toujours d’utiliser certaines des fabuleuses technologies dont nous disposons. Nous avons commencé à mettre sur pied une activité d’enchères de brut. L’initiative était très innovante. Nous avons commencé par des enchères de base. Nous avons ensuite proposé des enchères plus complexes, des enchères néerlandaises, des enchères japonaises, etc. Nous avons aussi organisé des enchères de contrats à terme. Et, puisque la plate-forme a donné de très bons résultats, nous avons commencé à nous aventurer dans le taillé. Mais à petite échelle. La majeure partie du taillé n’est pas le nôtre, il provient de tiers. Nous voulons voir si nous sommes en mesure d’offrir de la valeur à nos clients.

Vous extrayez des pierres brutes, vous vendez du taillé, vous avez une marque de gros [Forevermark], vous avez une chaîne de retail. Pensez-vous pouvoir tout concilier ?

Nous n’en sommes encore qu’au début. Il faut rappeler que [les enchères de taillé] en sont au stade de l’essai. Nous allons procéder comme avec tous nos autres essais, observer son évolution. Mais une des motivations était de profiter du nom. La capacité à tout intégrer sous un seul nom est utile. Or, nous restons principalement une entreprise de pierres brutes. C’est notre cœur d’activité et nous ne nous en éloignons pas. La question est donc : quels aspects collatéraux pouvons-nous ajouter grâce à nos compétences et quelles autres compétences pouvons-nous gagner ?

Le fait d’avoir déménagé dans le même bâtiment qu’Anglo American a-t-il eu des conséquences sur la société ?

Je pense parler au nom de tous mes collègues : c’est une bonne chose que nous soyons dans le même bâtiment. Il sera beaucoup plus facile d’interagir avec eux et d’apprendre de leur part. C’est une société d’extraction minière très solide. Ils jouent un rôle important dans l’ensemble de nos projets miniers. Ils ont accès à des compétences techniques difficiles à égaler. Je pense qu’ils ont apporté beaucoup à l’extraction minière. Si vous regardez nos résultats de l’année dernière, l’aspect minier a été très bon en matière de baisse des coûts et de production.

Une présentation du NPD Group vient d’affirmer que les diamants de laboratoire représentent aujourd’hui 4 % des pierres vendues par les joailliers spécialisés. Cela a-t-il empiété sur votre part de marché ?

Les diamants synthétiques sont évidemment un problème. Il ne faut pas prétendre le contraire. Mais rien ne prouve qu’ils aient grignoté notre part de marché. Nous savons que les détaillants testent les synthétiques, en particulier aux États-Unis. Je ne dirais pas que cela a eu un effet grave mais je ne vais pas prétendre que nous ne les surveillons pas de près.

L’un des aspects est la détection et on en entend moins parler qu’il y a un an, ce qui prouve que nos machines font effectivement leur travail. Je pense vraiment que cette annonce de la Diamond Producers Association est très importante car cela va, en grande partie, produire une grosse campagne marketing pour promouvoir le bien que seuls peuvent faire les diamants naturels.

Que pensez-vous du marché américain actuellement ?

Le marché américain est mitigé. Certes, les deux grands détaillants cotés en bourse ont vécu des périodes difficiles au cours du dernier trimestre et cela n’est bon pour personne. De nombreux indépendants Forevermark obtiennent de très bons résultats et il ne fait aucun doute que le mois de mai a été très bon mais qu’avril n’a pas été excellent. Je dirais donc que la situation est variable mais que nous constatons des niches très solides. Les gens sont assez optimistes pour le second semestre.

Un message pour les détaillants américains ?

Nous avons un très beau produit dont les gens ont vraiment envie mais nous devons réfléchir différemment sur la manière de le vendre car les clients changent. Et ce n’est pas seulement nous. Le monde lui-même est en plein changement. Il existe de très belles opportunités pour ceux qui agissent comme il faut. Mais si vous refaites toujours la même chose, vous risquez d’être déçu. Du coup, nous allons tous devoir réfléchir différemment, De Beers comprise.

Source JCK Online


Photos © Courtesy of De Beers Group.