Enthousiasme sur le marché du brut

Avi Krawitz

La demande de brut s’est considérablement améliorée en janvier. Beaucoup se demandent pourtant si ce brusque revirement est durable. [:]Les fabricants ont demandé plus de brut que ce qui était disponible, la De Beers et ALROSA ayant limité leurs approvisionnements respectifs sur fond d’incertitudes constantes quant à la demande des consommateurs.

La De Beers a vendu pour 540 millions de dollars de brut en janvier, lors du premier de ses 10 cycles de vente, qui comprennent le sight, des ventes aux enchères et un approvisionnement pour la valorisation et ses partenaires du gouvernement. Ce chiffre est à rapporter aux 248 millions de dollars enregistrés en décembre, le dernier cycle de 2015 et aux 486 millions de dollars estimés par Rapaport News pour le sight de janvier de l’année dernière.

« Globalement, le chiffre [des ventes de la De Beers] est meilleur que prévu car l’année a débuté avec des pénuries de brut, a écrit Des Kilalea, analyste chez RBC Capital Markets. Le problème sera de savoir si l’enthousiasme sur le marché du brut va durer, étant donné la faible croissance en Chine et un dollar américain fort. Les conditions de crédit restent également difficiles. »

Pour la première fois depuis des mois, les boîtes de la De Beers se sont vendues avec un premium sur le marché secondaire après le sight. Les rumeurs affirment qu’ALROSA serait également parvenue à écouler toutes ses marchandises en janvier ; les prix ont flambé sur le circuit des enchères.

Mais même si les sightholders n’ont pas tardé à annoncer que l’humeur était actuellement « bien plus positive », les acteurs ne doivent pas se leurrer quant aux facteurs qui favorisent le brusque revirement de la demande de brut.

Les sightholders admettent que les liquidités ont légèrement augmenté sur le marché – au moins pour certains de ceux qui ont survécu à l’année 2015. Après tout, les fabricants ont vendu du taillé pendant la période de Noël et du Nouvel An chinois, ils ont été payés mais n’ont pas engagé grand-chose pour acheter du brut ces six derniers mois.

Toutefois, les liquidités restent relativement rares, notamment parce que les banques européennes ont réduit leurs crédits à l’industrie. Les professionnels ont expliqué que l’amélioration de la demande de brut était stimulée par une absence de marchandises sur le marché. La pénurie touche le taillé, en particulier les pierres de qualité supérieure de moins de 2 carats, après un recul de 30 % à 50 % de la fabrication – et des achats de brut – en 2015.

Une fois de plus, la demande de brut a été satisfaisante dans la plupart des catégories en janvier, y compris pour les très petites marchandises – stars et mêlé – et pour les grosseurs supérieures, pour lesquelles il n’existe pas de pénurie notable. Cela pourrait laisser entendre que la demande est aussi fonction des usines : les fabricants ont simplement besoin de brut pour continuer à faire tourner les usines ; ils ne peuvent plus se permettre de perdre d’autres travailleurs.

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Les sightholders ont également remarqué que le brut de la De Beers était plus intéressant en janvier, la société ayant baissé ses prix de 5 % à 10 % environ. Beaucoup s’attendaient à cette correction et avaient retenu leurs achats au mois de décembre. Les achats peuvent tout aussi bien avoir lieu maintenant car aucune autre correction ne devrait intervenir au cours des mois à venir.

Certains prétendent que les sightholders auraient acheté les marchandises, même si les prix étaient restés stables, comme ils l’ont fait lors de la vente d’ALROSA. Andrey Zharkov, le président d’ALROSA, a affirmé à Interfax : « Nous avons maintenu nos prix inchangés car nous ne voyons aucune raison à l’heure actuelle pour qu’ils baissent. » Le minier russe aurait prolongé sa vente d’une semaine en raison de la forte demande. Il était prévu qu’il vende environ 500 millions de dollars pendant le cycle mensuel, le double de ses projets initiaux, selon Bloomberg.

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« Les sightholders ont également remarqué que le brut de la De Beers était plus intéressant en janvier, la société ayant baissé ses prix de 5 % à 10 % environ. »

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Il n’est pas vraiment logique que les fabricants achètent actuellement le brut d’ALROSA au prix où ils l’ont refusé au quatrième trimestre. Les achats ont été fortement freinés au second semestre, principalement parce que les fabricants s’étaient engagés à n’acheter du brut qu’à un prix qui permettrait de vendre le taillé avec des bénéfices.

On peut se demander si le brut d’ALROSA, dont les prix n’ont pas changé depuis septembre, et le brut vendu aux enchères, qui aurait augmenté à un taux estimé à deux chiffres ces deux derniers mois, sont actuellement rentables. Les fabricants semblent parier que les prix du taillé vont continuer d’augmenter dans les mois à venir pour obtenir de la rentabilité sur le brut acheté à ALROSA et aux enchères en janvier.

Le risque est donc que les fabricants tombent dans le piège ordinaire de la spéculation sur des gains à court terme au lieu d’assurer la pérennité et le long terme. Bien qu’ils constatent une certaine amélioration de la rentabilité avec des prix du taillé qui se sont raffermis ces derniers mois, en sera-t-il toujours ainsi si les tarifs du brut ne baissent plus et si les pénuries de taillé sont réglées ? Leur enthousiasme pour le brut encouragera-t-il les miniers à augmenter les prix lors des prochaines ventes ?

Les sightholders ont donc apprécié les mesures prises par la De Beers pour baisser les prix, à une période où la société aurait normalement vendu les mêmes volumes sans engager d’autre démarche. La baisse va contribuer à la rentabilité des fabricants à court terme. On craint en effet que la nouvelle offre de taillé, fabriquée sur le brut de janvier, ne dépasse la demande lorsqu’elle arrivera sur le marché dans trois à quatre mois.

Les tendances de consommation au cours de cette période vont jouer un rôle majeur. D’ici là, le Festival de printemps du Nouvel An chinois et la Saint-Valentin seront terminés et l’industrie devrait mieux appréhender les niveaux de stock des détaillants. La demande de taillé s’améliorera peut-être lorsque les détaillants américains passeront de grosses commandes pour se réapprovisionner et lorsque les joailliers chinois reviendront sur le marché en masse après le Festival de printemps. Pourtant, rares sont ceux à parier sur ce dernier facteur.

Le salon international de la joaillerie de Hong Kong, qui se tiendra du 1er au 7 mars, sera un excellent indicateur des besoins du retail sur le marché du taillé et pourrait montrer, sans le vouloir, si l’exubérance actuelle du brut se poursuivra. Comme un sightholder l’a fait remarquer à Rapaport News, « la hausse de la demande de brut ne peut durer que si elle est entraînée par les consommateurs – et nous n’en sommes pas encore tout à fait là. »

La morosité du mois de janvier s’explique par des marchés boursiers fragilisés, la chute des cours du pétrole et de mauvaises perspectives économiques mondiales. En outre, un dollar fort a un effet certain sur les ventes de bijoux en diamants en dehors des États-Unis, comme l’ont montré les ventes de Tiffany & Co. pendant les fêtes : elles ont reculé de 6 % en raison d’une baisse des dépenses de la part des touristes.

L’augmentation de la demande de brut était donc plus sûrement le résultat des commandes des usines et des pénuries de taillé que des niveaux actuels de consommation. Cela pourrait convenir pour le moment et ce regain de bonne humeur pourrait même stimuler une certaine dynamique sur le marché. Mais l’industrie doit envisager sa situation dans les six mois, lorsque la nouvelle offre de taillé risque de dépasser la demande.

Après tout, les échanges de taillé restent bien inférieurs à ceux des années précédentes. Cela est dû au fait que les détaillants sont devenus des gestionnaires attentifs de leurs stocks ; les miniers sont par ailleurs incités à surveiller leur offre. Les fabricants un peu trop enthousiastes seraient bien avisés de faire preuve d’une prudence similaire en ce début d’année 2016, même s’ils profitent d’un surcroît de valeur sur le marché du brut.

Source Rapaport