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Edahn Golan

Pourrait-on envisager que les employés des services postaux du monde entier soient incités à boycotter le courrier d’un pays parce que celui-ci commet des violations des droits de l’homme ? » C’est ce que m’a récemment demandé un acteur du secteur, complètement abasourdi. Sa réponse se fait l’écho d’un sentiment de plus en plus prégnant dans la section centrale de la filière du diamant, qui regroupe les acheteurs de brut, les fabricants et les grossistes de taillé. Il ne faut pourtant pas y voir un manque d’éthique ou de qualités morales. En fait, quand il s’agit de traiter des problèmes, cette section de la filière s’est toujours trouvée au premier plan.[:]

Les négociants de diamants et leurs représentants ont joué un rôle essentiel dans la formation du Kimberley Process (KP) et ils ne comprennent pas pourquoi la section inférieure de la filière, les bijoutiers, demandent à ce que « quelque chose soit fait ».

Près de 52 000 certificats du KP ont été délivrés en 2010. Près de 41 000 d’entre eux (79 %) ont été recensés dans les centres de négoce et de fabrication en Belgique, au Royaume-Uni, en Israël et en Inde. Aucun n’est parvenu jusqu’aux bijoutiers.

Les négociants payent le prix et assument tant la responsabilité juridique que la charge de respecter parfaitement le KP. Ce sont eux qui sont confrontés au surcroît de travail et aux charges administratives et financières liés à la certification ou au dédouanement des marchandises ; et ce sont eux qui doivent effectuer les vérifications nécessaires pour s’assurer que les marchandises qu’ils achètent sont bien conformes au KP.

En outre, c’est bien cette section qui était visée lors de la rédaction du KP. Ce sont eux qui participent aux missions d’examen du KP dans des zones sensibles comme le Zimbabwe, le Libéria et la RDC. Or, ces missions ne comportaient pas de bijoutiers. La section médiane de l’industrie s’est véritablement engagée et soutient la mise en œuvre du KP.

De ce point de vue, le fait que les bijoutiers demandent que quelque chose soit fait, c’est un peu comme si une voiture n’avait pas de moteur parce que le conducteur n’a jamais regardé sous le capot. Sans moteur, la voiture n’ira nulle part, quelles que soient les compétences du chauffeur. Les négociants font beaucoup, mais les commerçants ne le voient pas.

Les organisations de bijoux se présentent avec toutes sortes de suggestions impossibles pour modifier le KP. Elles peuvent sembler ingénieuses aux oreilles de bureaucrates non-avertis mais elles sont tout simplement impossibles à appliquer. En plus d’être impraticables, elles engendrent des frictions inutiles au sein de la communauté du KP.

Le commerce du diamant s’est imposé à lui-même des garanties volontaires, que les bijoutiers traitent à la légère. Ils ne comprennent pas qu’il s’agit de déclarations signées par les négociants et qu’elles les contraignent légalement. Les fausses déclarations constituent une fraude qui peut déboucher sur d’autres actions en justice.

Ces garanties sont sérieuses et, à ma connaissance, les bijoutiers ne se sont rien imposé de tel.

Les gouvernements des pays membres du KP contrôlent également les garanties du KP sur le taillé. Le secteur est prêt à vivre avec ce fardeau. Tout ce qu’il demande, c’est à ne pas être contesté par des organisations de bijoutiers désireuses de surpasser les ONG.

Les négociants ont bien d’autres sujets de préoccupations. Ils achètent du brut avec des liquidités, investissent lourdement dans la technologie, supportent des coûts salariaux élevés, puis financent les bijoutiers, qui demandent à obtenir des marchandises par accord informel ou avec un crédit de 120 jours.

Pour aggraver encore les choses, les bijoutiers ne semblent pas réaliser que les négociants ont une marge très faible, de près de 10 %. La majoration appliquée par les commerçants avoisine les 30 à 100 %, voire plus.

Lorsque les organisations de bijoux demandent la mise en place de la garde permanente, les négociants entendent : « Tout ce que vous faites, ce n’est pas encore assez, vous devez investir plus pour mettre en œuvre un système supplémentaire, afin que nous, les bijoutiers, nous puissions faire mieux. » En revanche, les bijoutiers ne sont pas prêts à payer plus cher les diamants qu’ils achètent. Ils le disent eux-mêmes, et sans ambages.

Les négociants se trouvent donc pris entre le marteau et l’enclume. Si un éventuel futur événement entraînait une désaffection des consommateurs pour les diamants, les bijoutiers pourraient toujours vendre des bijoux en or. Les négociants en diamants, eux, seraient au chômage.

Ce débat fait naître une faille dans l’industrie du diamant, qui est représentée au KP par une seule organisation, le World Diamond Council (WDC). Le WDC représente l’ensemble de la filière, du mineur au bijoutier. Avec des besoins et des perspectives aussi différents, certains commencent à voir d’un mauvais œil que plusieurs ONG agissent comme observateurs indépendants dans le KP, mais qu’une seule entité représente une activité aussi diversifiée. Or, tout pourrait bientôt changer.

En Inde et en Israël, les dirigeants de l’industrie et les faiseurs d’opinion réfléchissent déjà à la formation d’un corps d’observateurs indépendants supplémentaire qui communiquerait au KP les besoins de l’industrie et du commerce. Il s’agit là d’une avancée bénéfique et nécessaire et nous espérons que la Belgique et d’autres pays se joindront à cette initiative. Le groupe estime que les décideurs au sein du KP n’écoutent pas les utilisateurs quotidiens. Par conséquent, il veut pouvoir s’exprimer de façon indépendante des bijoutiers et présenter leur point de vue divergent.

Ainsi, le membre mentionné ci-dessus (qui a demandé à garder l’anonymat) explique : « le KP est, pour l’essentiel, une organisation douanière internationale du brut. » De ce fait, les questions relatives aux droits de l’homme doivent être adressées au Conseil de sécurité de l’ONU.

Le Conseil de sécurité a bien géré les cas de l’Angola et du Libéria, en imposant des sanctions sur les diamants et les armes et des interdictions de voyager pendant et après les guerres civiles dans ces pays. En avril dernier, il a fait de même avec la Côte d’Ivoire, en plaçant un embargo sur les armes, en interdisant les déplacements, en gelant les avoirs et en imposant des sanctions sur les diamants du pays. Le KP, bien sûr, lui emboîte le pas : il interdit le commerce des diamants en provenance des pays sanctionnés. Ce n’est là qu’un pas de plus parmi le grand nombre d’avancées significatives réalisées par la communauté internationale.

C’est également une bien meilleure solution que la suggestion de faire mention des droits de l’homme dans les documents de base du KP, en particulier du fait que plusieurs pays, au sein de ce système fondé sur le consensus, n’accepteront jamais le changement. Pourquoi alors perdre du temps dans un débat conflictuel et stérile ?

Il faut aujourd’hui former un nouvel organe d’observateurs indépendants. La voix de l’industrie du diamant se fera ainsi entendre plus clairement et un plus grand nombre d’acteurs partageront la responsabilité au sein des comités et des organes du KP. C’est toute la chaîne de valeur du diamant qui en profitera, y compris les clients ou les ouvriers mal payés chargés de l’excavation en Afrique.

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