Le Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) en Inde se prépare généralement un ordre du jour ambitieux. Avec près de 5 300 membres dans le pays, cet organisme est chargé de faire pression sur le gouvernement, le secteur et les consommateurs afin d’assurer la croissance de l’industrie des diamants et des bijoux.[:]
La tâche était auparavant plus facile. Le gouvernement connaît un déficit croissant de sa balance courante, dans un contexte économique mondial et national difficile. Il a ainsi été contraint d’introduire des mesures plutôt défavorables aux diamants et bijoux, ainsi qu’aux sociétés étrangères qui ont l’intention d’entrer sur ce marché. La hausse des droits sur l’or, l’argent et les diamants a pour but de limiter les importations et la consommation locale, et donc de réduire le déficit.
Le conseil se retrouve dans une position inconfortable. Ses membres doivent équilibrer leur volonté d’apporter leur contribution à leur pays et leur souhait de développer l’industrie.
Vipul Shah, le président récemment élu du GJEPC, n’est que trop conscient de cette dichotomie. Dans un entretien exclusif avec Rapaport News, organisé à la veille de l’annonce du budget le 28 février, Vipul Shah a fait remarquer que le conseil travaille à sa mission de lobbying.
Le budget, surveillé avec une grande attention, a eu un goût amer pour le marché. Relativement bien accueilli par le pays, Moody’s l’a qualifié de positif et d’optimiste, mais de difficile à réaliser. Or, très peu des recommandations du conseil ont été prises en compte (voir l’éditorial « Le lobby indien des diamants et des bijoux », publié le 8 février 2013).
Le plus gros défi
Le ministre des Finances, Palaniappan Chidambaram, a évité les hausses de droits d’importation supplémentaires sur l’or que beaucoup prévoyaient. Il avait déjà relevé les taxes de 4 % à 6 % en janvier.
Toutefois, il n’a pas adopté non plus la plupart des recommandations anticipatives du conseil destinées à développer l’industrie. Les principales concernaient la mise en œuvre d’un régime fiscal plus favorable aux investisseurs pour les sociétés minières. Le but était de créer un pôle commercial local du brut. Selon le ministère, l’énorme secteur indien de la fabrication devait pouvoir acheter du brut directement à la source, sur son territoire.
Vipul Shah, également directeur général d’Asian Star, un fabricant de diamants et de bijoux, a évoqué la volonté de l’industrie locale de mettre en place une plaque tournante d’échange de brut à Mumbai. Il s’agissait d’une priorité pour le conseil sur l’exercice fiscal 2013-2014.
« En ce moment, notre plus grand défi est de trouver du brut, a-t-il affirmé. Actuellement, les marchandises transitent par la Belgique, Dubaï ou Israël. Nous pourrions réduire des coûts de transaction importants si le brut était vendu directement ici. »
Le conseil a recommandé de créer des zones notifiées spéciales pour l’importation et le commerce de brut. Elles permettraient aux entreprises minières d’ouvrir un bureau sur place et de n’être imposées que sur les marchandises vendues, plutôt que sur les lots importés. Ceux-ci ne sont en effet pas toujours écoulés en totalité.
Or, ces démarches prennent du temps, en particulier en Inde. Dans une déclaration ultérieure au budget, Vipul Shah a salué le gouvernement qui a accepté un rapport du groupe de travail visant à approfondir la question. Il a souligné que les négociations sont en cours pour aller plus avant sur ce sujet. Le conseil « attend avec impatience l’annonce de réforme liée à la politique du commerce extérieur. Elle pourrait être favorable au secteur des diamants et des bijoux.»
Une fenêtre pour le taillé
Il est d’ailleurs tout aussi urgent de maintenir un certain équilibre sur le marché du taillé indien ; c’est en effet l’une des propositions de réforme. Là encore, le gouvernement a repoussé les recommandations du conseil, à savoir une franchise de droits sur les importations, portant sur 15 % des exportations de taillé de l’année précédente. Les droits de 2 % introduits en janvier 2012 ont considérablement limité les importations de taillé en Inde. Vipul Shah insiste sur un fait, ils ont permis à l’industrie de contribuer de façon positive à l’économie du pays.
« À l’heure actuelle, le gouvernement lutte contre le déficit de la balance courante. Conscients de notre responsabilité, nous avons fait un pas en avant et demandé au gouvernement d’imposer la taxe sur le taillé », a-t-il expliqué.
Avec le recul, a-t-il ajouté, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les importations indiennes de taillé ont atteint 20 milliards de dollars au cours de l’année civile 2011, pour terminer à égalité avec les exportations. Les droits, associés à la faiblesse du marché, ont engendré un recul de 72 % des importations de taillé, à 5,63 milliards de dollars en 2012. Les exportations ont quant à elles chuté de 37 % pour atteindre 17,03 milliards de dollars. Les exportations indiennes nettes de taillé (exportations moins importations, soit le montant net de taillé qui a quitté le pays) ont progressé de 62 %, soit 11,4 milliards de dollars, un chiffre plus acceptable (voir graphique ci-dessous).
Une fois de plus, le conseil fait pression. Vipul Shah explique que les 15 % de marge de manœuvre aideront les sociétés à éviter une imposition sur les marchandises expédiées qui sont réimportées sans avoir été vendues. De même, Vipul Shah souligne que, sur le marché de l’or, le conseil est en équilibre précaire, entre compréhension des contraintes des comptes courants du gouvernement et besoins de l’industrie de la joaillerie. Au lieu de créer de nouvelles taxes, le conseil a recommandé de mettre un terme à la demande de pièces et médailles en or. Vipul Shah estime qu’elles représentent environ 35 % des importations d’or du pays. L’arrêt de ces importations n’aurait aucune incidence sur le secteur de la joaillerie, a-t-il fait remarquer.
Mettre l’accent sur la croissance
Malgré les contraintes, Vipul Shah, qui a été élu président du GJEPC en octobre 2012, est optimiste. Le dernier trimestre de l’exercice, qui se termine le 31 mars, est le plus solide à ce jour. « Nous constatons des commandes intéressantes de bijoux et de diamants dans la zone économique spéciale SEEPZ, a-t-il précisé. Dans l’ensemble, la situation semble plus prometteuse ; nous prévoyons une croissance des exportations de diamants et de bijoux d’environ 15 % pour l’exercice à venir. »
Même si l’essor devrait être stimulé par les États-Unis, l’Extrême-Orient et le Moyen Orient, le conseil se concentre naturellement sur la croissance continue de la consommation de diamants et de bijoux en Inde. Vipul Shah insiste, les meilleures années de l’Inde sont devant elle. Il explique que le potentiel de croissance réside dans les villes de niveau 2.
« Le consommateur indien est plus conscient de son statut et plus exigeant. Il est de plus en plus averti des notions de qualité et de normes, a-t-il affirmé. Il veut plus de luxe et de produits de marque qu’auparavant. »
Le conseil a engagé des efforts pour cibler directement les consommateurs. Il a organisé un salon de la joaillerie de détail (des professionnels aux consommateurs) à New Delhi en avril, en plus de ses événements plus traditionnels de B2B. Au vu du succès rencontré, l’idée pourrait se décliner dans d’autres parties du pays. Le conseil axe également sa semaine IIJW (India International Jewelry Week), lancée à Mumbai il y a trois ans, vers les marchés internationaux. La première destination est Dubaï, où l’événement sera organisé plus tard cette année.
Toujours sur le plan international, le conseil a l’intention de renforcer ses rencontres entre acheteurs et vendeurs, avec des groupes de Chine, de Russie, d’Australie et des États-Unis entre autres. L’Inde sera mise en vedette dans les grands salons, notamment à Hong Kong, Las Vegas et Vicence.
Le conseil risque de rencontrer des difficultés auprès des consommateurs avec ses activités de promotion. Vipul Shah explique qu’une campagne de marketing générique est en réflexion. « En l’absence d’une promotion homogène qui serait établie par un quelconque organisme, le GJEPC envisage de prendre l’initiative. Nous souhaitons agir auprès des consommateurs pour stimuler la demande de diamants et bijoux en diamants en Inde, a-t-il souligné. Le calendrier et les modalités sont en cours d’élaboration. Cette activité devrait démarrer très bientôt. »
Responsable devant qui ?
Le temps nous dira si le conseil peut réussir dans le marketing générique, là où d’autres ont échoué. De nombreux intervenants indiens du marché des diamants et des bijoux admettent qu’un coup de pouce serait le bienvenu. Ils considèrent d’ailleurs le conseil comme un facteur clé du secteur local, dans un environnement de plus en plus réglementé.
« C’est un problème car, même si [ces restrictions] n’affectent pas les exportations, elles ont un impact sur le marché intérieur, a déclaré M. Shah. Nous en parlons au gouvernement, mais ils ont fort à faire avec la balance courante. »
Le débat est permanent et nécessaire. Vipul Shah et le GJEPC disposent de leur propre budget et d’un programme ambitieux visant à renforcer l’industrie locale. Ils sont pourtant déçus que le gouvernement ne leur ait pas facilité la tâche pour l’année fiscale à venir. En attendant, une fois de plus, le budget du trésor n’a pas réussi à aider le secteur du diamant et des bijoux. Le conseil se voit donc dans l’obligation de continuer à trouver un juste équilibre entre l’État et l’industrie.